Le management éthique des firmes multinationales

, par Agnès Leroy

Au 21e siècle, les firmes multinationales se caractérisent notamment par le fait qu’elles produisent un grand nombre de leurs biens à l’échelle mondiale en fragmentant la chaîne de valeur. Cela signifie que les diverses opérations de conception, de logistique, de production et de services nécessaires à la fabrication d’un produit final peuvent être réparties à travers un grand nombre de pays. La responsabilité sociale et sociétale des firmes envers les différents acteurs internes et externes semble engagée dans le processus de production même si cela n’est pas toujours aisé à prouver. Pour l’ensemble des firmes, la mise en place de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE), passe notamment par un management éthique et génère pour l’ensemble des parties prenantes des enjeux parfois ambivalents. Une entreprise peut notamment mettre en place un management éthique grâce à un système de bonnes méthodes de gouvernance, formalisé, avec l’utilisation de différents « outils » tels que les codes de bonnes conduites. Dans une démarche de RSE, les firmes doivent également prendre en compte les parties prenantes externes telles que les Etats, les clients, les institutions internationales ou les ONG jouant un rôle complémentaire, aboutissant à une performance sociale et économique.

 Introduction

Après Siemens, Alcatel, Alstom, « l’affaire Volkswagen », consistant à installer un logiciel diminuant la mesure de la pollution des moteurs diesels, a été révélée en 2015. La justice américaine, souhaitant éviter des arbitrages stratégiques (« coût de l’amende contre gains possibles en cas de tricherie ») envisage de condamner la firme multinationale pour un montant pouvant aller jusqu’à dix-huit milliards de dollars.

A côté de cela, de nombreuses firmes font des efforts notables en ce qui concerne la mise en place d’un management éthique.

A ce sujet, le 9 mars 2015, Schneider Electric, firme multinationale française présente dans une centaine de pays, avec plus de 150 000 collaborateurs et spécialiste de la gestion de l’énergie et des automatismes a été distinguée parmi les entreprises les plus éthiques au monde par l’Institut Ethisphere. Ce dernier est un acteur international de premier plan dédié à la définition et à la promotion des meilleures pratiques en matière d’éthique des affaires.

Ce classement honore les entreprises mondiales dont les pratiques commerciales ont tangiblement intégré des principes de respect de la déontologie, de promotion de l’intégrité et de culture de la transparence à tous les niveaux de leur organisation.

L’entreprise Schneider Electric est reconnue pour la cinquième année consécutive pour ses efforts dans la promotion de pratiques éthiques visant à créer de la valeur ainsi que des relations pérennes avec ses différentes parties prenantes – clients, collaborateurs, prestataires, pouvoirs publics et investisseurs.

Schneider a fait de son management éthique, un atout de compétitivité pour son entreprise.

Selon un communiqué de presse publié en mars 2015, « Chez Schneider Electric, l’éthique et la gouvernance sont donc des éléments centraux de la croissance et de la compétitivité de l’entreprise. Elles sont régies par une charte, « Nos Principes de Responsabilité », qui regroupe un ensemble de directives donnant aux collaborateurs du Groupe un socle commun en matière de comportement responsable. Ce document a été élaboré dans le respect des 10 principes du Pacte Mondial, des principes de gouvernement d’entreprise, de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et des Normes Internationales du Travail. Les collaborateurs de Schneider Electric sont également accompagnés via le programme « Responsability & Ethics Dynamics » pour les aider dans la gestion de dilemmes éthiques éventuels ».

Par ailleurs, Enjeux – Les Echos (juillet 2015) indiquait les cinq points forts de cette firme multinationale où 95% de ses filiales appliquent : la protection de la biodiversité ; une politique d’achats responsables ; un « programme vigilance » formalisé et consultable en matière de respect des droits humains et sociaux, de l’environnement et de lutte contre la corruption. Suite à la publication de ce classement, Jean-Pascal Tricoire, Président directeur Général de Schneider Electric indiquait « les valeurs et les pratiques responsables sont essentielles dans le management de nos collaborateurs et dans la manière dont nous interagissons avec nos différentes parties prenantes ».

Contrairement aux idées reçues, le mot Management et son incarnation « le manager », ne sont pas anglo-saxons. Ce terme provient de l’italien maneggiare (manier). Ainsi, d’après l’étymologie, le manager n’est pas une sorte de super gestionnaire rivé sur son taux horaire de travail, dépendant d’un système productiviste et mercantile, mais une personne qui mène les gens et les choses « à sa main », c’est-à-dire avec aisance, et sans effort apparent. Le verbe manager a également été influencé par le mot français manège (faire tourner un cheval dans un manège).

Il faut également ajouter aux origines du mot management le concept de « ménagement » et la notion de « ménage » (gérer les affaires du ménage), c’est-à-dire d’administration domestique, qui consiste à gérer des ressources humaines et des moyens financiers.

Selon THIETART (2010), le management est une activité humaine et sociale visant à stimuler les comportements, à animer des équipes et des groupes, à les coordonner, à développer des structures organisationnelles et à conduire les activités d’une organisation en vue d’atteindre un certain niveau de performance. Les dimensions humaines et politiques sont prégnantes. Le jeu des acteurs, les aspects relationnels, la coordination des actions, la répartition du pouvoir sont essentiels en management.

Pour P. Drucker, c’est l’anglais Robert Owen qui serait le premier entrepreneur, vers 1820, dans le cadre de son activité de textile, à se préoccuper des problèmes de motivation, de productivité et de pouvoir. Owen obtint de grands succès. De par son style de management, il acquit la confiance de la population qu’il employait. Lassé par ces gens qui ne cherchaient que le profit, Owen fonda une nouvelle société grâce à laquelle il allait donner libre cours à ses projets philanthropiques (1813). Il serait, en ce sens, le premier manager ne s’intéressant pas au profit pour le profit admis comme tel.

Enfin, le management peut correspondre au fait de tenir en main et de prendre soin dans une optique de maintenance ou de développement (Louart (1999)). Plus récemment, les travaux de M.Barabel et d’O. Meier (2006) en France montrent que les dirigeants d’entreprises interrogés placent au premier plan l’honnêteté, la force de persuasion, l’imagination, l’enthousiasme et la capacité d’analyse. Mais selon les cultures, le management n’est pas réalisé de la même manière.

L’éthique qui est à distinguer de la morale est un terme provenant des Etats-Unis. Il apparaît en France à partir des années 80, touchant notamment la biologie, la finance, la politique, les médias, l’environnement, la publicité, le commerce international…

Historiquement, ce sont les entreprises américaines qui ont été les premières à se préoccuper de la notion d’éthique. Dès 1913, l’entreprise Penney Company possède un code éthique. Le mouvement se développera dans les années 50. Les chartes éthiques se multiplient dans de nombreuses entreprises et au sein d’universités américaines qui proposent des cours sur ce thème comme notamment l’université d’Harvard. La business ethics constituera la théorie fondamentale de l’éthique des affaires aux Etats-Unis. Elle relève d’une logique utilitariste, combinant morale, droit et contrat.

En France, l’éthique des affaires apparaît chez certains auteurs à partir des années 60. O. Gélinier (1991), président d’honneur de la Cegos, est le premier à publier un livre sur l’éthique des affaires intitulé : « L’Ethique des affaires, halte à la dérive ». Par ailleurs, des cours d’éthique apparaissent notamment dans des écoles comme HEC. Des philosophes s’y intéressent comme A. Etchegoyen et des normes éthiques sont créées telles que la norme SA 8000 (Social Accountability) ou la norme SA 26000. Des cabinets français se sont d’ailleurs spécialisés dans ce secteur en mettant en place des indicateurs de la mesure de l’éthique, en proposant des audits et des bilans éthiques dans les entreprises dont la notion est englobée dans la RSE.

 1. Quelques précisions notionnelles concernant l’éthique des FMN

Le terme éthique est d’origine grecque, ethos signifiant « mœurs, habitudes, comportements ». Sa première apparition dans la langue française date de 1265. C’est Cicéron qui traduira éthique par morale en latin, mot qui vient lui-même de mores signifiant « mœurs ». Ses caractéristiques ont pour fondement la liberté de jugement et d’action. C’est l’hypothèse qui détermine l’action (« tu peux, tu ne peux pas »). L’éthique s’appuie sur l’expérience. L’intention est primordiale. Un sens est donné à ce que l’on fait à travers ses propres choix, ses valeurs et ses priorités. Une distinction est donc faite entre le bon et le mauvais : les individus agissent en fonction de ce qu’on estime bon. L’attitude éthique ne naît pas du jugement, elle s’acquiert grâce à sa pratique. C’est un apprentissage.

Pour distinguer la morale et l’éthique, il faut remonter à l’histoire des idées. Dès l’Antiquité, les Grecs considèrent l’éthique comme une réflexion sur les principes qui guident la vie humaine tandis que les Romains donneront à la morale une connotation juridique.

La morale est un terme d’origine grecque. C’est une réflexion qui guide l’activité humaine avec un code social. C’est-à-dire qu’il existe un ensemble de règles auxquelles il faut se soumettre pour être admis dans une société. Il y a donc un impératif (devoir). Les règles s’imposent à tous.

La morale enseigne à l’homme le fait de se plier à un ensemble de règles qui lui sont imposées bien souvent par la religion. Avec le siècle des Lumières, mouvement intellectuel lancé en Europe au XVIIIe siècle (1715-1789), s’instaure une morale laïque, s’appuyant non plus sur la chrétienté mais sur les droits fondamentaux de l’homme comme la liberté. Elle cohabite avec l’ordre moral.

Au 21e siècle, la morale, pour certains théoriciens, s’efface devant l’éthique, non plus pour des raisons philosophiques mais pour des raisons de politiques stratégiques menées par les entreprises afin de développer leur notoriété grâce à la communication mise en place au sein de leurs groupes.

Pour résumer les différences qui peuvent exister entre la morale et l’éthique, selon A. Comte-Sponville « La morale commande, l’éthique recommande ».

Avec l’évolution de la société prenant en compte les découvertes scientifiques et ses applications technologiques, la collectivité a pris conscience des dangers qu’elles véhiculent, nécessitant une éthique. Selon H. Jonas, « Nous sommes responsables du futur lointain de l’humanité » et la société est « en quête de sens ».

Le paternalisme a été une première forme d’éthique patronale, s’attachant à faire respecter les vertus familiales à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise. Dans ce cas de figure, il ne s’agit pas d’éthique mais davantage d’une attitude morale d’abord imposée aux salariés. Le paternalisme découle d’une forme patriarcale d’organisation économique où le chef de famille est à la fois le père et le maître de ceux qui travaillent sous ses ordres. Ce type de management est notamment appuyé par l’analyse freudienne où, selon celle-ci, l’individu a besoin d’autorité. Selon Françoise de Bry (1980), le paternalisme est « un état d’esprit qui se traduit par une attitude tendant à établir artificiellement des relations familiales entre un supérieur et son inférieur, quel que soit le niveau hiérarchique ». Le paternalisme restreint en quelque sorte la liberté. Il est notamment justifié par rapport au fait que les salariés sont considérés comme incapables de prendre des décisions rationnelles au sein des firmes.

Concernant le management éthique, il traite de la manière dont l’éthique est mise en place dans une organisation en tenant compte du micro et macro environnement. Ce concept est lié à la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE). Au 21e siècle, aucune entreprise ne peut prétendre de ne pas se préoccuper de la RSE et donc de l’implémentation d’un management éthique au sein de sa structure.

Face à la diversité des firmes multinationales (FMN), nombre d’économistes préfèrent raisonner en termes de multinationalisation, processus selon lequel :

  • son activité se développe dans au moins un autre pays que son pays d’origine ;
  • sa stratégie n’est plus centrée sur ce dernier.

Selon la CNUCED (Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement) une firme transnationale est une société qui détient une participation significative en capital dans des filiales ou des sociétés apparentées situées à l’étranger. Une société détient une filiale si elle contrôle plus de 50 % du capital directement ou indirectement. C’est donc le contrôle du capital qui est essentiel dans cette définition puisque la CNUCED mesure le phénomène de multinationalisation des firmes par les IDE (Investissements Directs à l’Etranger).

L’internationalisation de la firme peut être réalisée sans participation au capital et peut concerner la sous-traitance, la licence, la franchise…

Pour C. A. MICHALET (« Qu’est-ce que la mondialisation », 2002), une FMN est une entreprise le plus souvent de grande taille, qui, à partir d’une base nationale, a implanté à l’étranger plusieurs filiales dans différents pays, avec une stratégie et une organisation conçue à l’échelle mondiale.

Les firmes multinationales se sont développées avec la mondialisation et le processus d’ouverture des économies nationales favorisé par l’interdépendance accrue entre les hommes, la libéralisation des échanges, le développement des moyens de transport et des technologies, etc. Néanmoins, la mondialisation ne signifie pas pour autant uniformisation et homogénéisation du monde.

Par ailleurs, il existe principalement trois dimensions de la mondialisation :

  • l’intensification des flux commerciaux internationaux avec la DIPP : Division Internationale des Processus Productif [LASSUDRIE-DUCHÊNE, 1982]
  • le développement des flux d’IDE (Investissements Directs à l’Etranger)
  • l’unification des marchés financiers sur le plan mondial

Avec l’augmentation considérable du commerce mondial depuis les années 1960, les pays importent et exportent simultanément les mêmes biens (Brülhart). Cela contribue au processus de fragmentation de la chaine de valeur concernant la production d’un bien incluant de nombreux acteurs tels que des fournisseurs, bien souvent positionnés dans des pays à faibles coûts de production où les règles sociales en vigueur peuvent être assez permissives. Les firmes multinationales ont donc largement recours à des sous-traitants, et ce, pour différentes raisons telles qu’une course à la baisse des coûts de production ou le fait de se recentrer sur ses activités « cœurs » ou encore de pouvoir pénétrer plus facilement un marché en créant une filiale dans un pays. Cela entraîne notamment la mise en concurrence des états entre eux afin d’attirer le maximum de firmes sur leur territoire, augmentant la création de valeur au niveau national, avec in fine un taux de croissance accru.

Tous les états, selon notamment leurs cultures n’ont pas tous une éthique identique. De plus, ils ne mettent pas toujours tout en œuvre afin que les Droits de l’Homme soient respectés. Les FMN elles-mêmes, peuvent aussi mener des réflexions plus ou moins stratégiques sur le fait de mener un management éthique au sein de leurs entités et en particulier vis-à-vis de leurs sous-traitants. Ce type de management peut varier en fonction de la culture de l’organisation, de la pression des institutions internationales, des ONG, des Etats et donc de l’ensemble des parties prenantes. Cependant, l’objectif premier d’une entreprise, comme l’a indiqué Aristote condamnant la chrématistique commerciale, n’est pas uniquement le profit qui est contre-nature (Politique, I, 9, p59).

Dans ce contexte, nous verrons si le management éthique est une contrainte ou bien une opportunité pour les firmes multinationales ; et quel doit être l’engagement de l’ensemble des parties prenantes internes et externes pour la mise en place d’un management éthique au sein des entreprises.

 2. Le management éthique des FMN : contrainte ou opportunité ?

Le concept d’éthique n’a pas toujours fait l’unanimité. Comme l’a indiqué M. Friedman, prix Nobel d’Economie (1962) : « Les entreprises n’ont pas d’autres responsabilités que celle de gagner de l’argent et quand, animées par un élan de bienveillance, elles tentent d’assumer des responsabilités supplémentaires, il en résulte souvent plus de mal que de bien ».

Le management éthique peut être instrumentalisé en développant le sentiment d’appartenance des salariés et en établissant une autorité incontestable qui se présente sous les traits d’une éthique commune mondiale, uniformisée. Or, l’éthique d’une organisation s’apparente également à sa culture et n’est pas homogène selon les pays. Cela devient donc un outil stratégique au service du profit de l’entreprise. Certains auteurs évoquent d’ailleurs l’éthique stratégique par rapport à l’éthique organisationnelle. R. Solomon et K. Hanson proposent « les 3C de l’éthique ». Selon eux, l’éthique des affaires doit se traduire par :

  • la conformité aux règles (lois, principes moraux, coutumes, politique de l’entreprise, équité),
  • les contributions que l’entreprise peut apporter à la société,
  • les conséquences de l’activité commerciale à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise.

L’éthique est donc une notion évoluant au cours du temps et en fonction des cultures. En 2016, Le Nord domine encore largement au niveau de la répartition des FMN puisque 93% sont détenues par des pays développés. Même si l’apparition de multinationales émergentes est un phénomène réel où l’Asie du Sud-Est est une zone « pépinière de multinationales », celles-ci sont encore peu nombreuses par rapport à leurs concurrentes appartenant aux économies avancées. Dans les cent plus importantes multinationales, selon l’importance du chiffre d’affaires réalisé à l’étranger, la Chine continentale, ne compte, pour le moment, que trois « challengers » contre onze pour la France. Se pose alors notamment la question de la responsabilité des firmes multinationales vis-à-vis de leurs parties prenantes.

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2.1 La responsabilité des firmes multinationales

Une des questions est de connaître la part de responsabilité de la firme et de savoir s’il faut qu’elle soit propriétaire de son unité de production pour que sa responsabilité soit engagée en cas de « comportement non-éthique ». Avec la fragmentation de la chaîne de valeur, une même firme peut être présente dans le monde entier sans pour autant être propriétaire de ses unités de production. Les responsabilités sont donc diluées, extrêmement difficiles à cerner au niveau de l’organisation elle-même, ou bien au niveau d’un groupe, au niveau national ou international. Certaines ont acquis un pouvoir supérieur aux Etats. Par ailleurs, contrairement aux Etats et aux personnes physiques, ces entreprises n’ont pas de personnalité juridique internationale ce qui les empêchent d’être responsables vis-à-vis des salariés de leurs filiales à l’étranger ou des sous-traitants.

Par exemple l’entreprise d’origine italienne Fila, spécialisée dans les produits « fashion », à la suite de mauvais résultats à partir de 1997, a été rachetée par une firme américaine : SBI (Sport Brand International) et un fonds d’investissement. Alors que ses activités de production étaient essentiellement basées aux Etats-Unis et en Italie, il a été alors décidé de les transférer dans des pays à bas coûts salariaux. En 2000, 80% de la production de Fila était originaire de nombreux pays d’Asie dont l’Indonésie, la Chine, le Vietnam…. Cette dispersion géographique a rendu complexe l’identification de la filière d’approvisionnement et le suivi éthique de ces firmes comme son évaluation.

Fila n’est pas la seule entreprise à produire en fragmentant sa chaîne de valeur. La plupart des firmes appartenant à différents secteurs d’activités ont recours à des sous-traitants d’origine asiatique pour leur permettre, dans un contexte de concurrence par les prix très soutenus, d’être compétitives. Ces donneurs d’ordre font pression sur les firmes sous-traitantes, qui, elles-mêmes ont fait à leur tour, pression sur les travailleurs en détériorant leurs conditions de travail sous prétexte d’augmenter leur productivité. Par ailleurs, l’ensemble des risques (conjoncturels, baisse de la demande…) est donc pris par les firmes sous-traitantes et non par celles à l’origine des commandes de produits.

L’externalisation de la production est devenue un phénomène important dans l’économie mondiale depuis les années 1980 (Strange et Newton, 2006). Elle a entraîné le transfert d’une partie de la production dans des pays à bas coûts salariaux afin de maximiser les profits des firmes multinationales. Selon Dunning (1993) la firme qui externalise sa production n’aurait aucun « pouvoir » sur l’entité qui fabrique ses produits. En fait, cette vision des choses est contredite par Gereffi (1999), pour qui l’externalisation n’empêche pas le contrôle. La possession des actifs productifs n’est alors pas nécessaire pour que les firmes multinationales maintiennent le contrôle sur leur utilisation. Cette théorie est d’autant plus vraie que la régulation étatique est moins importante au niveau international par rapport au niveau national (De George, 1999).

Par ailleurs, la mondialisation de l’économie met aujourd’hui en concurrence les firmes mais aussi des territoires avec leurs Etats ayant des niveaux de développement, de normes et des éthiques différentes. Cela pose également la question des dommages créés par les FMN dans certains pays en développement (PED). Pour plusieurs ONG qui enquêtent en Indonésie telles que Les Amis de la Terre, « les impacts environnementaux et sociaux des exploitations d’étain [en Indonésie] sont tels qu’ils ne peuvent pas être occultés par les géants du secteur de l’électronique » […] « Les mines d’étain ont détérioré plus de 65 % des forêts et plus de 70 % des récifs coralliens de Bangka ». Dans son livre « Des Ecocrimes à l’Ecocide » (2015), Laurent Neyret dénonce d’ailleurs l’exploitation de mines d’étain de manière illégale par de grandes firmes.

Selon la théorie de la citoyenneté de l’entreprise (Caroll, 1999 ; Matten et Crane, 2003 ; Waddock, 2004), les firmes peuvent être responsables, au sens propre et légal du terme de leurs impacts négatifs ou positifs au niveau local (ville, région, pays) en termes de développement environnemental et social dans les pays où elles produisent leurs biens.

Même si les FMN sont des acteurs économiques incontournables dans la création de valeur d’une économie donnée, elles peuvent donc porter une certaine responsabilité vis-à-vis d’acteurs externes qu’elles ont choisis tels que leurs fournisseurs.

Néanmoins, agir éthique peut comporter des coûts pour les entreprises selon les lois du marché en vigueur. A contrario, si agir éthique n’entraîne pas forcément des coûts supplémentaires, il peut exister des coûts indirects liés au non-agir éthique (Ballet, 2011). En effet, des conséquences négatives ressenties sur l’ensemble des parties prenantes internes et externes de l’entreprise peuvent avoir des impacts importants à court mais aussi à long terme. Les clients « consom-acteurs » peuvent se détourner d’une marque qui ne serait pas assez éthique ou consommer davantage d’un certain type de produit s’il est garanti éthique à tous les stades de production comme c’est le cas de la marque de glace Ben and Jerry’s. Cela passe aussi par une certaine formation à l’éthique des consommateurs.

Par ailleurs, Cécile Renouard (2007, L’Ethique des Firmes Multinationales) a montré l’importance d’être éthique pour une firme en indiquant que les firmes doivent aujourd’hui être responsables en intégrant les dimensions sociales, sociétales et environnementales et pas seulement économiques pour atteindre la performance globale tel que l’entend Cappelletti (2006). L’entreprise doit donc être un acteur citoyen où les dirigeants des firmes sont essentiels pour la mise en place d’un management éthique.

Par ailleurs, selon Becker qui a publié un article paru en 1974, « l’enfant pourri » simule l’altruisme envers sa famille afin d’obtenir davantage de choses de son père. Le fils est alors « poussé » à simuler un altruisme réciproque, sous la seule incitation de son intérêt personnel. En échange, il reçoit davantage que s’il n’avait pas eu ce comportement. Cette théorie, transposable aux firmes multinationales, montre qu’une attitude responsable envers les différentes parties prenantes internes et externes de la firme permettrait d’accroître le profit. « A l’instar du rotten kid, la rotten firm adopte un altruisme stratégique afin de réaliser des profits plus importants. Finalement, pour Becker, peu importe ses motivations du moment que « l’objectif éthique » est atteint et que l’ensemble des parties prenantes sont gagnantes.

Manager éthiquement est cependant l’objet d’enjeux pour l’ensemble des parties prenantes appartenant à l’écosystème des firmes multinationales.

2.2 Les enjeux d’un management éthique pour les parties prenantes

Les firmes multinationales ont pris une place grandissante à la recherche d’une compétitivité toujours accrue afin d’augmenter les profits, mais à quel prix ? En effet, dans une période de dérégulation de la finance et d’affaiblissement des Etats, tous les dirigeants ne sont pas philanthropes (Postel et al., 2006 ; Bodet, Lamarche, 2007).

Les parties prenantes et les théories attenantes à ce concept ont notamment été développées par Freeman (« Strategic Management : A Stakeholder Approach », 1984). Les Stakeholders sont représentés par tous les partenaires de l’entreprise qui voient dans l’activité de l’entreprise une source quelconque d’intérêt pour eux. Freeman a placé son raisonnement des parties prenantes au-delà du couple dirigeants/actionnaires. Tous les acteurs sont intégrés à l’environnement proche ou non de l’organisation et concernés par l’activité de l’entreprise servant des intérêts stratégiques.

Ces firmes dépendent pour leur existence, croissance et pérennité de ces parties prenantes (Garriga et Melé, 2004). Les firmes doivent donc éventuellement adopter un comportement qu’elles estiment attendu par les stakeholders. Ces comportements peuvent provenir de leur volonté propre ou/et de mesures coercitives, normatives ou mimétiques (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2007 ; DiMaggio et Powell, 1983). Dans cette partie, nous nous limiterons à analyser les enjeux de trois parties prenantes : les firmes elles-mêmes, les clients et les salariés.

  • Au niveau des FMN :

L’enjeu pour les firmes multinationales est de mener un management éthique au sein de leur structure ce qui est aujourd’hui essentiel, et ce, pour de multiples raisons. Une enquête a notamment été ouverte en 2015 pour tromperie aggravée de la part de Volkswagen puisque de nombreux véhicules sont concernés par cette affaire visant à tromper les contrôles anti-pollution des voitures.

Octobre 2015

Suite à cette affaire, l’AFP annonçait en décembre 2015 que Volkswagen, pour la première fois depuis plus de vingt ans, affichait une perte opérationnelle au troisième trimestre. Un comportement non éthique de certains managers peut donc engendrer des répercussions néfastes pour une entreprise puisque certains clients se sont détournés de la marque, dont les véhicules Diesel sont interdits à la vente aux Etats-Unis et en Suisse. Ils ont donc vu leur chiffre d’affaires plonger au troisième trimestre 2015, alors que le colossal groupe allemand, avec ses 593 000 salariés répartis dans le monde entier, était devenu le premier constructeur de véhicules devant Toyota cette même année. Outre les amendes énormes que les Etats pourront lui infliger, la notoriété de la marque est touchée. Ne pas être éthique peut donc être un mauvais calcul stratégique pour une firme.

Être éthique est devenu un enjeu stratégique majeur afin d’accroître des avantages concurrentiels en développant une image positive vis-à-vis de ses actionnaires, salariés et clients. A la fin des années 90, les consommateurs occidentaux ont été indignés du traitement des salariés des entreprises sous-traitantes de NIKE en Chine qui travaillaient dans des conditions particulièrement difficiles, avec de nombreuses heures supplémentaires forcées, des abus arbitraires avec des enfants faisant parties des travailleurs (Gasmi, Grolleau, 2005). La sauvegarde de leur réputation étant primordiale au maintien de leurs ventes, Nike et d’autres firmes multinationales se sont trouvées dans l’obligation d’intégrer des critères sociaux dans la sélection de leurs sous-traitants. Nike a mis en place des procédures de contrôle afin de respecter leurs nouveaux engagements en termes de respect des droits des travailleurs ce qui a notamment permis de relancer leurs ventes.

  • Les clients :

Être éthique pour une entreprise permet d’instaurer de la confiance entre les différentes parties prenantes dont les clients, à condition d’être transparent concernant les informations diffusées. Le client doit donc être certain d’acheter un produit tel qu’il est décrit afin d’être éventuellement fidèle vis-à-vis d’une marque. Par ailleurs, les clients des pays développés se soucient de plus en plus des conséquences sociales et environnementales de leur acte d’achat. Un mode de consommation éthique impliquant en amont un management éthique de la part d’une firme est préférable.

La marque italienne Illy, commercialisant du café premium, a d’ailleurs bien compris l’importance d’être éthique en achetant directement ses matières premières auprès de 4 000 producteurs auxquels ils « garantissent des prix 30 % supérieurs à ceux du marché et un niveau minimum de profit en cas de baisse », explique Erika Le Noan, directrice générale pour la France et le Benelux. De plus, cette entreprise, qui a fait de l’éthique le cœur de sa stratégie de communication, a été couronnée trois années de suite (2013, 2014, 2015) par l’Ethisphere Institute, récompensant son comportement éthique. Elle affiche d’ailleurs une augmentation de son chiffre d’affaires au fil des années. Ce mode de distribution s’apparente au commerce équitable qui est un système d’échange dont l’objectif est de parvenir à une plus grande équité. Les produits échangés dans ce cadre doivent respecter des modalités strictes de production dans des domaines aussi divers que l’environnement mais également le social et les droits de l’homme. C’est un des leviers de développement et de réduction des inégalités, en veillant à la juste rétribution des producteurs. À un objectif économique s’ajoutent donc des préoccupations éthiques, sociales, sociétales et environnementales. Néanmoins, même avec la mise en place de certains labels tels que Max Havelaar et la distribution de ses produits en grande distribution, il occupe une place marginale dans les échanges.

Être éthique permet de développer des avantages concurrentiels et est source de performance sociale, sociétale et économique.

  • Les salariés

L’ONU, en 2013, dénombrait 75 000 000 de salariés dans le monde et 80 000 firmes multinationales pour 840 000 filiales. Au cours des quarante dernières années, leur nombre a été multiplié par 12. Les enjeux d’un management éthique pour les salariés sont nombreux et non sans répercussions pour les performances de l’entreprise puisque la majorité des études montre (Orlitzky et al (2003) ; Walsh et al (2007) ; Nelling et al (2009)) qu’il existe une corrélation positive entre la performance sociale et la performance financière. Ceci étant, en 2016, l’objectif de rentabilité est un critère de compétitivité octroyant un avantage concurrentiel à une multinationale qui incite ces dernières à choisir un sous-traitant parfois peu regardant sur les critères éthiques (Locke et al., 2007, 2009) même si cela n’est pas forcément un bon calcul stratégique. L’asymétrie d’information entre les firmes et les fournisseurs ne semble pas s’être atténuée au fil du temps, le partage de la valeur ajoutée restant largement favorable aux premières (Yu, 2006 ; Pun, Sum, 2005) notamment dans la perspective de rémunération des actionnaires.

Les salariés des FMN sont présents dans le monde entier. Concernant les travailleurs les moins protégés socialement, ils sont principalement présents dans les pays en développement où le cadre légal est parfois flou ou peu existant et où les multinationales produisent une grande partie de leurs biens, les coûts étant bas. Malgré tout, certains scandales ayant éclaté dans les domaines du textile et de l’habillement, les firmes multinationales (FMN) du jouet, de la distribution puis de l’électronique ont à leur tour été incitées à mettre en place des programmes éthiques durant les années 2000. Un management éthique avec la RSE (Responsabilité Sociale de l’Entreprise) a été mis en place comme une alternative permettant d’assurer la protection des travailleurs (Chan, 2013) même s’il est difficile de mesurer concrètement son impact sur les populations des pays en développement dont la Chine fait partie actuellement. La mise en place de la RSE au niveau chinois a été notamment mise en place par l’agence China National Textile and Apparel Council (CNTAC) en 2005. Par exemple, la norme CSC 9000 T [1] propose des avancées en termes de travail des enfants, en temps de travail, de contrats, etc. même si ses impacts sont parfois difficilement mesurables concrètement sur le terrain. Malgré tout, comme le montre le tableau ci-dessous, de nombreux outils existent pour mesurer la RSE.

Différentes sources de mesure de la RSE

Pour François Perroux (1926), le profit d’une entreprise est indispensable mais cela peut aller à l’encontre du progrès dans le sens où il ne permet pas obligatoirement le progrès social en particulier pour les plus défavorisés. Pour que le progrès social soit possible, il est préférable qu’un management éthique soit mis en place de manière délibérée ou adaptative par les dirigeants de l’organisation.

Les salariés ne bénéficiant pas d’un management éthique peuvent être notamment démotivés ou bien ne pas adhérer au fonctionnement et à l’image de la firme ; ce qui diminue leurs performances sociales et donc à terme, les performances économiques de l’organisation. A contrario, des salariés socialement préservés seront plus productifs et permettront l’augmentation du profit au sein des structures.

Par ailleurs, les parties prenantes peuvent exercer certaines « pressions » sur la firme, que cela soient les clients, les salariés avec les syndicats, les actionnaires, les fournisseurs, les pouvoirs publics, les ONG… En règle générale, plus l’entreprise est puissante en termes de profits, plus le rôle des parties prenantes est important (Ballet, 2011).

Enfin, la présence d’une filiale internationale, ou la création d’une usine de sous-traitance peut être source de richesse créée en augmentant la valeur ajoutée d’un pays et donc favoriser la croissance économique. Les Etats soutiennent donc bien souvent ces agents économiques, moteurs pour leur économie, en ayant intérêt à prendre en compte la dimension éthique.

Nous présenterons dans la partie suivante, les modalités de mise en œuvre et de diffusion du management éthique que cela soit au niveau local, national et international en n’omettant pas les difficultés qui peuvent être rencontrées.

 3 Le nécessaire engagement de l’ensemble des PP pour un management éthique

La mise en place d’un management éthique nécessite l’engagement de l’ensemble des parties prenantes que cela soit au niveau de la firme elle-même que des acteurs externes.

3.1 Le rôle de la gouvernance au niveau des FMN

La gouvernance au niveau des FMN joue un rôle primordial pour instaurer un management éthique dans l’optique de contribuer à une relation juste et équitable entre les différentes parties prenantes. Les entreprises peuvent notamment avoir une démarche proactive ou bien adaptative en fonction des contraintes de l’environnement et de la stratégie choisie en matière de RSE.

La rémunération du capital est, pour Cécile Renouard, pertinente, uniquement si les salariés ne sont pas « sacrifiés au bénéfice des seuls profits financiers » (C. Renouard, 2015). Aujourd’hui encore, comme au siècle dernier, dans de nombreuses firmes multinationales, la rémunération des actionnaires et la course à l’avantage concurrentiel de court terme peut primer par rapport au fait de développer un management éthique. Cela passe par des outils à mettre en place au sein des organisations. Il peut s’agir par exemple de l’équité concernant la rémunération des dirigeants et des salariés quel que soit le lieu de production. Même si le niveau de qualification des salariés des pays du sud est globalement moindre comparé à ceux du nord, leur rémunération est également bien plus faible avec des conditions de travail parfois difficiles.

Néanmoins, certaines firmes multinationales sous-traitant leur production en Asie ont élaboré des discours et des pratiques promouvant une amélioration des conditions de travail d’ouvriers situés en amont des « chaînes globales de valeur » (Vercher et al., 2011) comme cela été le cas pour Nike en Asie.

Cela passe notamment par une mise en pratique de normes. Reynaud (1992) indique l’importance de deux principes pour que des règles soient mises en place au sein d’une organisation. Elles doivent notamment respecter un certain équilibre entre des habitudes et un modèle à suivre, et faire l’objet d’une discussion entre représentants des employeurs et employés sur les modalités de sa mise en œuvre, et ce, quelle que soit la culture. Or, en prenant l’exemple de la Chine, il y a souvent un décalage entre les énoncés officiels et la réalité de la gestion de la main d’œuvre dans les ateliers chinois où les codes de bonnes conduites sont souvent difficilement applicables. Par exemple, dans les « nouveaux codes chinois », la durée de travail par semaine, par personne ne doit pas excéder 44h/semaine et 8 heures par jour. Or, il n’est pas rare que la semaine de travail effective excède 80h dans l’industrie. Il semble d’ailleurs qu’il y ait des obstacles politiques et institutionnels propres au contexte chinois. Il y a donc une problématique de mise en pratique des lois au niveau des firmes qui pourtant permettraient une certaine régulation (Friedman, 2009). De plus, le problème peut être également l’absence de dialogue avec d’autres acteurs locaux susceptibles de favoriser l’assimilation de ces normes dans les ateliers. La non-existence d’institutions intermédiaires est donc un vrai handicap pour permettre la réinterprétation des règles par les acteurs (Reynaud, 1992). Si les salariés ne sont pas impliqués dans la mise en pratique de ces normes, cela freine une mise en place performante de ces dernières au sein de l’entreprise. Parfois, les employés ne sont pas au courant de l’existence de codes de conduite et ne sont pas considérés comme des acteurs du changement (Pun, Sum, 2005). Pour pouvoir être mise en œuvre, une règle ne peut pas être fondée exclusivement sur des considérations morales, par obligation. Elle doit être connectée aux pratiques existantes pour que les acteurs puissent se l’approprier. C’est le rôle des règles procédurales que de favoriser l’assimilation de principes en les rendant compatibles avec les spécificités de chaque entreprise (Reynaud, 1992). Or, selon Capron et Petit (2011), les codes de bonne conduite inspirés des critères de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) s’inscrivent dans un registre éthique visant à « discipliner » les usines sous-traitantes sans pour autant leur donner les moyens de les mettre en place (Clément Séhier, 2014). En effet, la firme Apple dispose d’un code de bonnes conduites. Pourtant en 2015, le journal « Le Monde » publiait un article où l’ONG China Labor Watch dénonçait dans un rapport les conditions de travail misérables dans une usine d’un sous-traitant chinois de l’entreprise Apple, recensant une « vingtaine de violations » au droit du travail.

  • La formalisation du management éthique avec les codes de bonnes conduites au sein des FMN

Le nombre de codes de bonne conduite adopté varie cependant selon les pays : sur 223 codes recensés par l’OCDE, 27% provenaient des Etats-Unis et 9% du Royaume-Unis. Mis en place au sein des firmes, c’est un acte juridique unilatéral qui provient de la direction. Ils sont le plus souvent conçus par la direction générale et rarement le résultat d’un consensus (de Bry, Ballet, Carimentrand, Jolivet, 2011).

Il s’agit par exemple de codes émanant de fédérations patronales comme la Charte de Bonne Conduite des entreprises du Keidaren japonais, qui insiste surtout sur le devoir de mécénat philanthropique.

Ils ont pu notamment être mis en place à la suite d’interventions d’ONG dans des groupes tels que Fila ou Nike. Ces derniers s’engagent au :

  • respect de la réglementation du travail et de celle relative aux échanges extérieurs
  • refus du travail forcé
  • refus du travail des enfants
  • droit à la santé et à la sécurité
  • refus de la discrimination à l’emploi […] » (Boudier, Bensebaa, 2008)

Mais, cela n’est pas toujours facile à mettre réellement en place comme nous l’avons montré précédemment.

Aujourd’hui une entreprise ne peut pas faire l’économie d’un comportement éthique au risque de perdre la confiance de ses parties prenantes mettant en péril sa pérennité. Selon F. de Bry, « pour être considérée comme responsable, une entreprise doit être non seulement éthique, mais utiliser des bonnes méthodes de gouvernance ». Le gyroscope présenté ci-dessous indique comment concilier éthique, responsabilité sociale et développement durable.

Les Firmes multinationales peuvent aussi former leurs salariés dans la mise en pratique du code éthique avec des procédures de contrôle et d’ajustement afin que ce dernier soit mieux appliqué.

3.2 Le rôle des parties prenantes externes

Une entreprise multinationale, pour mettre en place un management éthique au sein de l’ensemble de sa structure, doit tenir compte également d’acteurs externes. Nous nous limiterons à l’analyse du rôle de l’Etat, des institutions et des ONG dans son implémentation.

Le rôle de l’Etat :

Au XXIe siècle, stratégiquement, les Etats sont en compétition entre eux pour attirer le maximum de firmes au détriment parfois de la mise en place d’un management éthique (corruption, pollution…). En effet, des impératifs économiques poussent certains Etats à fermer les yeux sur certaines pratiques de manière à attirer des investisseurs potentiels dans la perspective d’augmenter la valeur ajoutée créée dans leur pays et pour stimuler la croissance économique. La menace de voir partir des firmes multinationales dans d’autres pays plus compétitifs est réelle et peut contribuer à ne pas mettre en place une amélioration des conditions de travail des salariés notamment dans les pays en développement. En Chine, par exemple, il existe des difficultés pour octroyer des droits collectifs dans le cadre des lois aux travailleurs chinois au sein des ateliers. Une entreprise qui souhaite mettre en place une politique de Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE) en Chine, doit donc tenir compte de l’ensemble des parties prenantes pour optimiser ses chances de réussite. La Chine a pourtant construit un cadre juridique visant à encadrer la relation salariale dans les entreprises chinoises selon C. Séhier (2014). Avec la loi salariale de 1994, tous les salariés chinois sont obligés de signer un contrat de travail (Friedman, Lee, 2010). Cette loi fixe également les bases légales de la négociation collective et d’un mécanisme de règlement des conflits, pour la première fois depuis 1950 (Lee, 2009), ce qui est une avancée sociale non négligeable.

Par ailleurs, en l’absence de droit de propriété ou de possibilité de contrôle sur les fournisseurs, seules les règles de droit d’un pays peuvent fixer le périmètre de la responsabilité des firmes.

Néanmoins, certains accords économiques régionaux mis en place dans différentes régions du monde tels que l’ALENA en Amérique du Nord ont mis en place un respect des normes sociales et un mécanisme d’obligation pour les signataires afin de protéger les travailleurs.

En Europe, il existe la directive européenne sur la transparence des informations sociales et environnementales modifiée en 2014. Le texte rend obligatoire la publication annuelle des informations relatives à leurs impacts environnementaux, sociaux, au respect des droits de l’homme et à la lutte contre la corruption. Les entreprises concernées (6 000 dans l’Union Européenne) doivent avoir plus de 500 salariés (pour un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros) et rendre compte de la politique de diversité au sein de la gouvernance.

Au niveau mondial, il n’existe pas de réel consensus entre entreprises et encore moins entre Etats même si quelques tentatives ont eu lieu avec notamment le pacte mondial proposé par l’ONU. En l’absence d’accord entre Etats, le rapport de force se fait souvent en faveur des FMN qui imposent leurs règles au détriment des pays d’accueil, les mettant en concurrence les uns contre les autres. Cependant, les Etats à travers leurs règles juridiques en vigueur peuvent apporter un soutien indispensable à la mise en place d’une éthique au niveau national.

Le rôle des institutions internationales

Concernant la mise en place d’un management éthique au sein des firmes, les institutions internationales jouent un rôle important.

Des institutions telles que l’ONU peuvent contribuer à jouer un rôle essentiel en matière de management éthique et donc de RSE.

Depuis 2000 existe le Global Compact (Pacte Global). C’est une initiative internationale lancée par le secrétaire de l’ONU de l’époque Kofi Annan. Les entreprises rejoignant ce projet s’engagent à intégrer les dix principes dans leur stratégie. Elles doivent également communiquer annuellement sur leurs bonnes pratiques en publiant un document sur le site du Global Compact. C’est un processus d’amélioration continue où les firmes s’engagent à être transparentes par rapport à leur fonctionnement en termes de responsabilité éthique. Fin 2015, l’ONU comptait plus de 13 000 organisations engagées réparties dans plus de 160 pays.

L’ONU, le 25 septembre 2015, a invité les FMN en remplacement des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) à contribuer à l’atteinte des objectifs de développement durables d’ici 2030. Parmi les objectifs fixés, il y a la prise en compte des dimensions économiques, sociales et environnementales du développement. Près de 200 firmes multinationales présentes au sommet newyorkais se sont portées volontaires pour suivre ce programme en l’intégrant dans sa stratégie. Dix-sept objectifs de développement durable ont été fixés dont certains concernent exclusivement les comportements éthiques que s’engagent à suivre les FMN de manière purement volontaire.

Les moyens mis en œuvre pour un management plus éthique des FMN à différents niveaux que cela soit mondial, national, local, existent. Cela nécessite une implication de l’ensemble des parties prenantes pour être performant. Enfin, la notion de culture ne peut être mise de côté dans l’étude du management éthique des firmes multinationales puisque selon l’entreprise et les zones géographiques mondiales où elle est implantée, l’éthique peut être appréhendée de manière différente (O. Meier, Le management Interculturel).

Avec ces objectifs, il ne s’agit pas seulement de développement durable mais aussi de proposer aux entreprises de mettre en place l’éthique à travers la RSE portée notamment par l’ISO 26 000 ainsi que par la directive européenne sur la transparence des informations sociales et environnementales.

L’OIT, avec ses 177 Etats membres en 2015, de son côté, propose également aux entreprises des principes essentiels aux droits des travailleurs. Pour l’OIT, la mise en place d’un management éthique au travers de la RSE doit avoir les caractères suivants :

  • elle est volontaire
  • elle fait partie intégrante de la gestion de l’entreprise
  • elle est systématique et pas occasionnelle
  • elle n’est pas un substitut au rôle du gouvernement ou à la négociation collective ou aux relations professionnelles

[/Source : http://www.ilo.org/]

Enfin, de son côté l’OCDE propose des principes directeurs à l’intention des firmes multinationales. Ils ont été édictés en 1976 et revus pour la dernière fois en 2011 couvrant notamment le respect des droits sociaux, le respect des droits de l’homme et en assurant le respect des normes fondamentales du travail reconnues au niveau international. L’ensemble des pays membres de l’OCDE et douze pays non membres adhèrent à ces principes. Ces derniers ont d’ailleurs servi de base de coopération entre la Chine et l’OCDE en vue d’encourager ces pratiques.

Les ONG

Les ONG sont des éléments moteurs dans le développement de pratiques éthiques mais leur rôle est variable.

En effet, certaines ONG concernent le commerce équitable comme nous l’avons évoqué précédemment. D’autres sont productrices de normes éthiques comme par exemple Sullivan Principles qui propose des codes de bonnes conduites pour les entreprises étrangères établies en Afrique.

Le Council on Economic Priorities (CEP) a lancé de son côté, en 1997, la norme de responsabilité sociale (Social Accountability) SA 8000, déjà citée précédemment. Elle est basée sur les conventions de base de l’OIT, sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ainsi que sur d’autres conventions de l’ONU. Elle est à la disposition des entreprises cherchant à prouver qu’elles garantissent le respect des droits fondamentaux des travailleurs dans leurs filiales partout dans le monde.

Il existe également le Global Reporting Initiative (GRI) proposant un référentiel d’indicateurs qui permet de mesurer l’avancement des programmes de développement durable des entreprises et notamment dans le domaine de l’éthique. La Global Reporting Initiative (GRI) est une initiative internationale à laquelle participent des entreprises, des ONG, des cabinets de consultants, des universités pour élaborer un cadre et des règles destinées aux entreprises soucieuses de développement durable. Lancée par une ONG américaine en 1997, son objectif est d’élaborer et de diffuser des lignes directrices pour aider les entreprises à produire des rapports sur les dimensions économiques, sociales et environnementales de leurs activités, produits et services. La GRI est soutenue par les Etats-Unis. En France, c’est l’ORSE (Observatoire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises) qui travaille sur la mise en œuvre du référentiel GRI par les entreprises.

Enfin, certaines privilégieront un rôle de surveillance des droits fondamentaux (lobbying,…) comme cela a été le cas avec Volkswagen puisque c’est l’ONG américaine ICCT qui a détecté l’origine du « litige ».

 Conclusion

Le management éthique évolue au cours du temps, selon les cultures et en fonction des firmes au sein desquelles il est mis en place. Par ailleurs, avec la mondialisation des échanges et la division internationale des processus productifs à travers le monde, la responsabilité des firmes multinationales est devenue plus compliquée à établir.

Néanmoins, selon notamment la théorie de la citoyenneté, il est possible de prouver que les firmes sont parfois responsables de leurs impacts sociaux, sociétaux et environnementaux. Elles peuvent également agir en menant un management éthique, ce que la plupart d’entre elles tentent de faire.

Avec la place importante que prennent les firmes multinationales, manager éthiquement est l’objet d’enjeux pour l’ensemble des parties prenantes internes et externes. C’est d’ailleurs un enjeu stratégique majeur puisque cela leur permet d’être performantes socialement, avec des salariés motivés, et donc certainement plus productifs. A contrario, le comportement non éthique de certaines entreprises entraîne parfois un détournement de la marque de la part des clients. Être éthique est donc source d’avantages concurrentiels et source de performance économique.

Cela étant, mettre en place un management éthique nécessite la prise en compte du rôle essentiel des acteurs internes dont fait partie la gouvernance au niveau des firmes multinationales. Les codes de bonne conduite sont également primordiaux, mais leur application concrète n’est pas toujours aisée.

Les acteurs externes jouent des rôles complémentaires, que cela concernant les institutions internationales, les ONG ou encore les Etats. Cependant, il n’existe pas encore de réel consensus au niveau mondial pour l’ensemble des parties prenantes. Pour conclure, Albert Schweitzer, prix Nobel de la paix en 1952, indiquait : « L’éthique, c’est la reconnaissance de la responsabilité envers tout ce qui vit ». Selon cette « formule », les firmes, en souhaitant manager éthiquement, s’engagent vis-à-vis des hommes qu’elles emploient, sources de création de richesse et d’avantages concurrentiels.

 Bibliographie

Ouvrages

  • Le management durable, Editions Lavoisier, Dominique Wolff et Fabrice Mauléon, 2005
  • La responsabilité sociale d’entreprise, Michel Capron, Françoise Quairel-Lanoizelée, 2007
  • L’entreprise au cœur du développement durable, La stratégie RSE, Edition GERESO, 2010
  • L’entreprise éthique, Philippe Détrie, Editions Dunod, 2005
  • 100 questions pour comprendre et agir, RSE et développement durable, Alain Jounot, Editions Afnor, 2010
  • L’entreprise et l’éthique, Jérôme Ballet, Françoise de Bry, Aurélie Carimentrand, Patrick Joliver, 2011
  • La Responsabilité Ethique des Firmes Multi Nationales, Cécile Renouard, 2007
  • Principes d’économie éthique, Peter Koslowski, 1998, Collections Passages
  • Management Interculturel, Olivier Meier, 2013, éditions Dunod
  • La justice climatique, Olivier Godard, édition La Découverte, octobre 2015
  • *« Des écocrimes à l’écocide ». Le droit pénal au secours de l’environnement, Laurent Neyret, Editions Bruylant, 2015
  • La controverse éthique en entreprise, Christian Mahieu, Éthique économique/Ethics and Economics, 12 (2), 2015
  • Responsabilité et crimes économiques, François Régis Mahieu, Editions L’Harmattan

Articles

Conférences – Tables Rondes

  • Table-Ronde du 14 octobre 2015, Université Paris Dauphine, Fondation Dauphine, « Ethique et Business »

Sitographie :

Vidéos :

Pour télécharger cet article au format pdf, cliquer su’ l’icône ci-dessous :

Notes

[1une présentation plus détaillée de la norme : csc9000 : http: //csc9000.ctic.org.cn/en/AboutCSC9000T.asp

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