Temps et comportement du consommateur

, par Corinne Nardot

Les relations entre temps, incertitude et comportement du consommateur font actuellement l’objet de recherches en marketing car parallèlement à l’exigence d’immédiateté, les consommateurs sont devenus plus soucieux de leur capital temps, ce qui soumet les entreprises à une nouvelle problématique dans leurs stratégies marketing : la gestion de l’instantanéité.

«  Le temps des courses semble être un invariant sociologique. Les temps de déplacement sont incompressibles, comme la durée des courses proprement dites. Il ne reste plus qu’à pester contre le seul temps qui nous échappe, celui de l’attente aux caisses ».

Ainsi l’étude menée par le journal le Monde en décembre 2001 démontre, que cette épreuve est jugée « insupportable  » par 35 % des personnes interrogées alors que 14 % assurent les éviter à tout prix, la queue au bureau de poste étant citée en premier (42 %), devant la SNCF (23 %).

En vingt ans, la durée de fréquentation moyenne d’un hypermarché est passée de 90 à 50 minutes, mais les clients considèrent toujours y passer plus d’une heure. Parallèlement, la grande distribution n’a progressé que de 5 % en surface, mais le nombre de produits offerts à la vente a doublé (un hypermarché peut proposer jusqu’à 150.000 références). Trop large, le choix peut engendrer une perte de temps : or, les clients cherchent sans cesse à gagner du temps, « un symptôme qui dépasse largement l’univers des courses et s’impose d’abord comme le reflet d’un vécu du temps sous le signe de l’impatience  » (B. Marzloff, groupe Chronos).

Le temps, concept pluridisplinaire : philosophique, ethnologique, économique, psychologique, sociologique,....dont la variable objective a été mise en évidence par Jacoby (1976), alors que Settle (1979) met en évidence sa dimension subjective, l’expérience du temps fait l’objet de nouvelles recherches en marketing.

La notion d’incertitude subjective porte implicitement sur la représentation individuelle du futur. Ainsi lorsque « l’environnement n’est pas assez nouveau, surprenant ou changeant, il devient trop prévisible au point que l’individu s’ennuie » (Berlyne, 1978). Les distributeurs élargissent donc les allées, abaissent les rayons, « réduisent l’éclairage des têtes de gondole, reformatent la musique de supermarché, réduisent le grincement des chariots et réfléchissent (selon Carrefour) à la théatralisation du lieu de vente ».

Les individus « explorateurs » auraient tendance à rechercher des environnements générant des évènements imprévus, ce qui explique en partie la réorganisation des magasins en univers de consommation, mieux identifiés et plus attrayants, car le consommateur demande de la singularité (espaces mieux-vivre chez Auchan Val d’Europe : ordinateurs pour surfer, bar, sommelier,...).

Les recherches sur l’orientation temporelle ne cessent de se développer, et présentent cette représentation humaine du temps, d’origine psychologique, par une représentation linéaire passé—) présent —) futur.

«  Holman, distingue différents types de futur caractérisés par différentes façons d’anticiper celui-ci. Il précise que le changement apparaît intrusif (« disruptif  ») uniquement pour les individus qui considèrent le futur comme une simple projection du passé. Il est au contraire valorisé pour les individus qui ont une image non linéaire et ouverte du futur  » (Urien B., 2001).

La perspective temporelle future correspond ainsi à la distribution des buts au sein du futur de l’individu (projets,...) et le rôle fondamental tenu par la tolérance à l’incertitude du futur personnel pour structurer la configuration de ce dernier est de plus en plus mis en évidence.

Le besoin plus ou ou moins prononcé de réduire cette incertitude correspondrait à des différences individuelles quant au niveau de tolérance à l’incertitude du futur personnel.

«  Les individus tolérant un faible niveau d’incertitude anticiperaient de façon négative leur futur personnel, auraient une perspective future courte, et seraient ainsi anxieux face à l’avenir ou pessimistes  ». B. Urien (2001), dans le cadre de ses recherches sur l’influence du temps sur le comportement du consommateur, met en évidence une dimension méconnue en marketing : l’incertitude du futur personnel, ce qui amène à caractériser chaque individu-consommateur par un « espace-temps » subjectif, qui lui est propre.

Par conséquent, à la dialectique temps-consommation (individualisée, minutée, aléatoire,...) correspond un mode de consommation en rupture avec celui des années 80 où la reconnaissance sociale passait nécessairement par l’achat de marque notoire (voiture,...)  : le rapport qualité-temps se substituant de plus en plus au rapport qualité-prix avec une nouvelle exigence : l’instantanéité (salons de coiffure Jean-Louis David sans rendez-vous, lunettes Grand Optical en une heure,...).

Le gain de temps est devenu aussi bien un argument marketing pour de nouveaux produits (shampoing 3 en 1, légumes surgelés précuits,...), qu’un argument publicitaire : « Prenez le temps d’aller plus vite » (SNCF-TGV).

De plus, « l’avènement et la généralisation des 35 heures conjugués à celui des nouvelles technologies signent l’explosion du temps collectif. La construction synchrone, récurrente et identique pour tous de l’organisation de la vie est en train de disparaître, pour laisser place à un temps social bâti dans la polychronie et la diversité » (B. Marzloff, sociologue, 2001).

Les stratégies marketing devront faire face à de nouvelles problématiques (approvisionnements, production, gestion des heures d’affluence aux caisses,...), du fait de l’élaboration de plus en plus individuelle des emplois du temps des consommateurs.

Une nouvelle segmentation des besoins semble émerger au-delà de cette individualisation croissante des comportements d’achat s’articulant non plus en fonction des produits ou des lieux de vente, mais du temps que le consommateur consacre à ses achats et l’articulation entre achats-corvées (incontournables) et achats-plaisir (non indispensables).

Pour aller plus loin :

  • Bergadaà, « Le temps et le comportement de l’individu », Recherche et applications en marketing, vol. 4, p37-55, 1989
  • Berlyne D.E., « Curiosity and Learning », Motivation et Emotions, vol. 2, p. 97-175, 1978
  • Jacoby J., “Time an Consumer Behavior”, Journal of Consumer Behavior, p. 320-338, 1976
  • Settle B., « Individual Time Orientation and Consumer Life Style », Advances in Consumer Research, vol. 6, p315-319, 1979
  • Urien B. “Tentative d’interprétation temporelle du comportement exploratoire du consommateur”, Thèse de doctorat, 1998 et ses articles dans la Revue Française de Gestion (2001)

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Temps et comportement du consommateur

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