Le droit peut-il encore réglementer l’économie ?

, par Michelle Graziani

« Le droit intervient d’abord pour rétablir un minimum d’ordre, d’honnêteté et de sécurité dans les relations entre les professionnels du commerce et de l’industrie ». Par cette citation, le Professeur Y. Guyon souligne le rôle dévolu au droit des affaires : organiser les activités professionnelles des principaux acteurs de l’économie, autrement dit, des entreprises. Les liens entre le droit et l’économie sont donc très étroits, chacun cherchant à influencer l’autre et, à ce petit jeu, le droit a souvent gagné par une réglementation minutieuse de la vie économique. On peut citer, pour exemple, l’ordonnance de 1986 relative à la liberté des prix qui a pourtant permis de mettre en place un blocage temporaire des prix lors de la mise en circulation des pièces et billets en euros, le 1er janvier 2002. Pour éviter des dérives importantes, avec un impact psychologique et économique d’autant plus conséquent que cette modification des prix avait lieu dans un contexte de ralentissement de la croissance, des mesures réglementaires avaient été prises visant à apporter une réponse adaptée à la « valse des étiquettes » !

Aujourd’hui, le contexte a changé et, dans le cadre de la mondialisation de l’économie, le droit interne peine à imposer ses propres règles dans le jeu économique qui s’étend à l’échelle planétaire.

L’économie est la science qui étudie comment les agents économiques, qu’il s’agisse des ménages, des entreprises, des pouvoirs publics ou bien de toutes autres organisations sociales, font des choix et comment ces choix déterminent la façon dont sont utilisées les ressources de la société. La rareté occupe une place centrale en économie et, c’est parce que les ressources sont rares, que les choix ont de l’importance. Les agents économiques doivent effectuer des arbitrages compte tenu de multiples contraintes dont la contrainte budgétaire.

Cette définition de l’économie de L. Robbins, dite « formelle » parce que les institutions sont ignorées, s’oppose à celle de K. Polanyi, dite « substantive », pour qui, l’économie est un « processus institutionnalisé d’interactions entre l’homme et son environnement naturel et social ».

Sous cet angle, l’économie vise à comprendre comment une société parvient à assurer et à organiser la subsistance de ses membres et, de facto, la notion d’institution devient essentielle. Le marché existe, mais il est encastré dans un réseau de structures sociales qui peuvent, dans certains cas, rendre la logique offre/demande fondée sur la rareté totalement non pertinente. Comprendre l’organisation sociale, c’est alors s’intéresser aux institutions qui sous-tendent les relations économiques. K. Polanyi montre que la mise en œuvre d’un système où tous les processus économiques sont régis par le marché, sans aucun correctif, contribue à asservir la société à l’économie laissant les individus sans défense et sans protection.

Dans les sociétés modernes, le modèle économique retenu est celui de l’économie de marché. L’économie de marché correspond à une économie capitaliste caractérisée par la liberté d’entreprendre, la liberté de contracter, la propriété privée des moyens de production et la recherche du profit.

L’économie, qui rassemble l’ensemble des activités économiques d’une collectivité humaine, repose sur des structures sociales organisées par le Droit.

Le Droit objectif se définit comme l’ensemble des règles juridiques en vigueur dans un Etat qui gouvernent les rapports des hommes qui vivent en société. Le droit objectif est un droit évolutif, les règles de droit ne sont pas définitivement fixées, elles peuvent être modifiées dès lors qu’elles apparaissent en décalage avec les besoins de régulation exprimés par la société.

Pour H. Kelsen, le droit s’organise en une structure hiérarchisée des normes. On parle d’ailleurs de « pyramide des normes » dans laquelle toute règle de droit doit respecter la norme qui lui est supérieure. La norme la plus importante est, pour de nombreux pays, la Constitution, en dessous de laquelle se trouvent les traités internationaux, les directives et règlements européens et les lois nationales. L’ensemble de ces sources directes du droit, complétées par les sources indirectes du droit que sont la jurisprudence, l’usage, la coutume et la doctrine, forment le droit objectif.

Les droits subjectifs découlent du droit objectif et ils regroupent l’ensemble des prérogatives accordées à chaque personne, physique ou morale, en vertu du droit objectif.

Le respect du droit est assuré par l’autorité publique qui dispose d’un pouvoir de sanction en cas d’infraction à la règle de droit.

Le Droit, appliqué à l’économie, relève, en priorité, du droit des affaires, branche du droit privé qui comporte un ensemble de droits relatifs aux affaires des entreprises : droit commercial, droit des sociétés, droit des contrats, droit de la concurrence et de la consommation, droit monétaire et financier, droit du travail, droit fiscal, droit pénal des affaires, droit des entreprises en difficulté, droit international… Discipline du droit privé, et pendant longtemps, totalement identifié au droit civil qui est le droit commun auquel on déroge ou que l’on complète par les autres droits, le droit des affaires s’est progressivement distingué du droit civil avec notamment la rédaction du Code de commerce en 1807. Le droit des affaires englobe des notions de droit public économique (ou droit public des affaires) dès lors qu’il y a intervention de l’Etat sur le marché en tant que régulateur, qu’offreur de biens ou de services ou bien encore, en tant que collaborateur avec des entreprises privées.

Le droit économique montre la façon dont le droit encadre les activités économiques tandis que l’économie du droit montre la manière dont les principes économiques s’appliquent à la règle de droit. L’instrumentalisme du droit signifie que le droit est appliqué pour rendre plus satisfaisante une situation économique.

Réglementer l’économie consiste à définir un cadre organisationnel qui permette de réguler, d’orienter et de contrôler les activités économiques.

Encore revient à poser un présupposé. Le droit a pu réglementer l’économie, être un instrument au service du bon fonctionnement de l’économie. Cela semble situable historiquement jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale, et même en France, jusqu’au premier choc pétrolier qui mettait fin à la période des Trente Glorieuses, période pendant laquelle l’Etat, via la mise en place de la planification indicative, réglementait l’économie en orientant la politique industrielle pour aider, de la façon la plus efficace possible, à la reconstruction du pays. Mais, cela n’est plus d’actualité, d’une part, en raison de la construction européenne et, d’autre part, en raison du décloisonnement des économies. Aujourd’hui, l’économie présente certaines spécificités qui concernent la mondialisation des échanges commerciaux et l’essor de nouveaux acteurs, la globalisation financière, la prise en compte de l’environnement comme bien public mondial, ou bien encore le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Ces nouvelles spécificités économiques conduisent à se poser la question présentée dans le sujet mais également à se poser des questions annexes telles que, par exemple : Qui va édicter le droit ? Sur quel territoire ? Selon quels principes ?...

Dès lors, il est possible d’énoncer la problématique suivante : Au-delà de la mise en place d’un cadre juridique et institutionnel de l’économie, le droit peut-il suffire, à lui-seul, à influencer et à orienter l’économie ?

Une réglementation indispensable mais parfois trop contraignante (I)… qui se révèle insuffisante dans un contexte de mondialisation (II) … justifiant l’existence d’un droit international et d’une nouvelle conception de la réglementation (III).

 I - Une réglementation indispensable mais parfois trop contraignante…

La réglementation, voie privilégiée par les pouvoirs publics pour instaurer un ordre économique sur un territoire donné (A) est parfois perçue comme étant un frein à l’activité économique (B).

A/ Un cadre réglementaire au service de l’économie

Pour organiser l’activité économique, le législateur a posé le principe de la liberté du commerce et de l’industrie (Article 7 du décret d’Allarde de 1791). Toutefois, dans le cadre d’une économie de marché, ce principe connaît des limites qui sont envisagées par la mise en évidence, en matière de réglementation, de la notion d’ordre public économique. C’est, par exemple, le cas des professions règlementées listées par l’article 16 de la loi du 5 juillet 1996 qui nécessitent un diplôme pour leur exercice, celui de l’implantation des pharmacies qui doit correspondre à un nombre d’habitants déterminé ou bien encore celui de la profession de chauffeur de taxi qui requiert l’obtention d’une licence administrative.

La réglementation économique se justifie pour des raisons de sécurité, d’efficacité et d’équité et il appartient à l’Etat d’instaurer des règles de droit considérées, certes, comme un instrument de justice mais aussi comme un système d’incitation permettant d’orienter les comportements et comme un instrument de politique économique permettant d’allouer au mieux les ressources entre les agents. L’activité économique peut alors se développer dans un cadre juridique qui favorise autant qu’il encadre la liberté d’entreprendre.

De nombreuses branches du droit font référence au droit des affaires des entreprises, chacune ayant sa propre utilité, et il est possible, à titre d’exemples, de s’attarder sur deux d’entre elles, le droit du travail et le droit de la concurrence, afin d’en observer les effets sur l’activité économique.

Le Droit du travail organise la relation de travail et joue un rôle d’arbitrage entre les intérêts des parties en présence. Les conditions de travail sont encadrées par des règles d’ordre public et par des règles conventionnelles issues de la négociation collective entre les partenaires sociaux. Des clauses spécifiques, telles que la clause de mobilité ou la clause de non concurrence, peuvent être insérées pour permettre une adaptation du contrat de travail aux besoins des parties. Le droit du travail reconnaît aux salariés, dans l’exercice de leur travail, un certain nombre de libertés individuelles et collectives qui limitent les pouvoirs de l’employeur : respect de la vie personnelle, liberté d’expression… ou bien encore le droit de grève comme le stipule l’article L. 2511-1 du code du travail. La rupture du contrat de travail fait également l’objet d’une réglementation stricte destinée à protéger le ou les salariés des conséquences du licenciement. Le développement de formes précaires, telles le contrat de travail à durée déterminée, le contrat de travail temporaire ou le travail à temps partiel, a conduit le législateur à fixer un cadre spécifique à ces contrats, depuis leur formation jusqu’à leur rupture (article L. 1242-1, article L. 3123-16 du code du travail…).

Le Droit de la concurrence cherche à préserver la loyauté dans les relations économiques et sanctionne les pratiques anticoncurrentielles ou restrictives de concurrence. Ainsi, les opérateurs économiques ne peuvent pas proposer leurs biens et services en utilisant n’importe quels procédés. Les pratiques anticoncurrentielles telles que l’entente ou l’abus de position dominante sont sanctionnées lorsqu’elles ont un effet néfaste sur le marché (articles L. 420-1 et suivants du code de commerce). Les pratiques restrictives de concurrence telles que la revente à perte ou bien encore la rupture d’une relation commerciale établie, sont également condamnables car elles ont pour objet de fausser la concurrence. Les pratiques de concurrence déloyale comme l’imitation, le dénigrement, le parasitisme, la désorganisation ou bien encore la contrefaçon sont également sanctionnées par l’Autorité de la concurrence et les autorités judiciaires. La responsabilité civile des auteurs des ententes peut également être engagée s’il en résulte un dommage pour la victime (article L. 716-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle).

B/ Une réglementation perçue comme source de rigidité

La théorie libérale prône un système de marchés libres, caractérisé par la liberté contractuelle, qui conduirait à une allocation optimale des ressources et, par là même, à un optimum économique au sens de Pareto, c’est-à-dire à une absence de gaspillage des facteurs de production. Lorsque le marché est en situation de concurrence parfaite, c’est-à-dire, qu’il répond aux critères d’atomicité, de fluidité, d’homogénéité des produits, de transparence de l’information et de mobilité des facteurs de production, le seul jeu des mécanismes du marché, animés par des agents qui n’ont à l’esprit que leur intérêt personnel (la main invisible d’A. Smith) conduit à une situation qui satisfait ce critère d’efficacité. Sur chaque marché, la parfaite flexibilité des prix permet d’atteindre un prix d’équilibre qui correspond aux souhaits des agents et qui évite toute forme de rationnement (la théorie de l’équilibre général de L. Walras). Le marché est donc capable de s’autoréguler et, par conséquent l’Etat n’a pas à intervenir sauf pour assurer ses fonctions régaliennes que sont la justice, la sécurité et la défense.

Ainsi, pour les libéraux, c’est l’intervention même de l’Etat qui est à l’origine de certains dysfonctionnements dans l’économie. Selon eux, sur le marché du travail, c’est bien la réglementation en matière du droit du travail qui constitue une entrave au libre jeu du marché et qui est la cause du chômage. Les rigidités institutionnelles liées au coût du travail trop élevé (salaire horaire minimum (SMIC) et charges sociales), à la durée du travail (passage des 39 heures aux 35 heures), à l’existence des syndicats, ou bien encore, au coût global des licenciements, constituent les facteurs explicatifs du chômage. C’est pourquoi, les libéraux préconisent une déréglementation du marché du travail qui permettrait au salaire de jouer son rôle de variable d’ajustement entre l’offre et la demande de travail.

Le législateur a tenté d’apporter une solution, destinée à faciliter la procédure qui met fin à l’exécution d’un CDI, en instaurant, par la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, la « rupture conventionnelle du contrat de travail ». Cette procédure tend à s’imposer mais elle reste encore minoritaire derrière les ruptures classiques de contrats qui découlent d’une démission ou d’un licenciement.

Le droit du travail peut également être considéré comme une source de rigidité dès lors qu’il freine la croissance économique en limitant l’ouverture des magasins à quelques dimanches par an. La loi « pour la croissance et l’activité » (loi Macron), dont l’objectif est d’assouplir cette mesure en autorisant l’extension du nombre de dimanches ouvrés à douze par an au lieu de cinq, est très controversée, entre ceux qui la considèrent comme une « avancée sociale » et ceux qui pensent qu’elle est « une régression au niveau national » et, de fait, son passage en force, avec le recours à l’article 49.3 de la Constitution, montre que cette loi, considérée par le gouvernement comme essentielle à la réforme de l’économie, est loin de faire l’unanimité parmi les membres du Parlement. Si la plupart des commerçants considère que cette loi « est déjà un grand progrès par rapport à la situation précédente », d’autres, et c’est le cas pour les magasins d’habillement, voudraient aller encore plus loin et souhaiteraient « se voir accorder des dérogations permanentes d’ouverture dominicale !  ».

Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen, co-auteurs de « Le travail et la loi », dénoncent, dans leur livre paru en juin 2015, la lourdeur du Code du travail qui comprend plus de 8 000 articles alors qu’il n’en comptait que quelques centaines au départ. « La loi n’est pas responsable du chômage mais le Code du travail, dans sa complexité, dans sa dentelle, créé une sorte de méfiance dans la loi. On attend trop de choses de la loi », explique Antoine Lyon-Caen.

La législation relative au bail commercial, même si elle a pour but de sécuriser l’activité économique du commerçant, peut constituer également un exemple de rigidité du marché de l’immobilier. L’article L145-14 du Code de commerce autorise le bailleur à ne pas renouveler le bail commercial mais, dans ce cas, le droit au renouvellement du bail le contraint à verser au locataire évincé, une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 (loi Pinel), en renforçant la réglementation dans le but d’accroître la protection du locataire au dépend du bailleur, apporte des rigidités supplémentaires sur ce marché.

Sur le marché des biens et des services, la profusion de normes rendues obligatoires par un texte réglementaire, un décret ou une loi, freine l’activité économique dans plusieurs secteurs, comme, par exemple, le secteur du BTP. Dans une interview accordée à Challenges en avril 2014, C. Delapierre, P-DG de la société Kaufman & Broad, dénonçait ce phénomène dans le secteur de la construction. « Avec 3 000 normes à respecter par habitat, construire devient un véritable cauchemar ! » déplorait ce chef d’entreprise. De fait, le durcissement de certaines normes, même s’il apparaît légitime dès lors qu’il permet d’améliorer le bien-être social, est ressenti par les professionnels du bâtiment comme une rigidité supplémentaire sur ce marché !

On peut également s’interroger sur la logique du législateur qui a autorisé la constitution d’une SARL ou d’une SAS sans exiger un capital minimum obligatoire (loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique et loi LME du 4 août 2008) au risque de favoriser la création d’entreprises sous-capitalisées. Bien que l’objectif visé soit de permettre la création de très petites entreprises, le risque encouru est de voir se créer des entreprises dans l’impossibilité de faire face à leurs dépenses de création et qui se heurteront au refus des banques de leur ouvrir un compte et encore plus de leur prêter des capitaux à moins d’offrir une garantie financière ou une caution personnelle. Mais alors, dans ce cas, la responsabilité des associés ne sera plus limitée au montant de leurs apports !

De même, si la réglementation est trop changeante, elle finit par créer de l’insécurité économique. Pour exemple, tandis que les entreprises ont lourdement investi pour mettre en place le compte pénibilité prévu par la loi du 20 janvier 2014 sur la réforme des retraites, de nouvelles mesures sont encore envisagées qui retardent de plusieurs mois la pleine application de ce dispositif.

Le droit français de la concurrence prévoit des interdictions portant sur les pratiques d’ententes (art. L. 420-1 du Code de commerce) et d’abus de position dominante (art. L. 420-2 du Code de commerce) et il comprend également un système de contrôle des concentrations. Cependant, la question de la pertinence du droit relatif au regroupement d’entreprises se pose lorsque, en matière de fusions d’entreprises, ce dernier est appliqué au nom du « patriotisme économique » afin d’éviter le rachat d’une entreprise nationale par une entreprise étrangère et ce, afin de conserver les « fleurons nationaux ». On peut légitimement se demander si, par exemple, la fusion entre Gaz de France et Suez, en 2006, n’aurait pas eu, pour objectif principal, d’empêcher le rachat de Suez par l’Italien Enel plutôt que d’optimiser le service proposé à la collectivité ?

 II - … qui se révèle insuffisante dans un contexte de mondialisation

Dans un contexte de mondialisation, la réglementation territoriale semble insuffisante en raison, d’une part, de l’ouverture des économies (A) et, d’autre part, en raison des mouvements des firmes multinationales (B).

A/ En raison de l’ouverture des économies

1. La mondialisation des échanges commerciaux

D’inspiration libérale, le libre-échange s’accompagne d’une politique de déréglementation, celle-ci ayant pour objectif, sur le plan économique, de réduire la réglementation qui pèse sur les entreprises et l’interventionnisme de l’Etat sur le marché des biens et des services. Le libre-échange s’oppose à toute mesure protectionniste, mise en place par un pays, pour favoriser la compétitivité de ses entreprises nationales, qu’il s’agisse de barrières tarifaires (droits de douane) ou non tarifaires (quotas, normes, subventions, dumping…).

Le commerce international porte principalement sur les échanges, en termes d’importations et d’exportations, de produits manufacturés. S’intéresser aux processus de fabrication conduit à s’immiscer très loin dans la souveraineté des Etats et dans leur réglementation respective.

Les réglementations fiscale, sociale et environnementale des pays développés sont contraintes par le dumping pratiqué par les pays émergents. La possibilité, pour les entreprises des pays d’Europe occidentale, de délocaliser dans les pays en développement ou dans les pays d’Europe centrale et orientale afin de tirer profit de législations peu exigeantes, oblige les gouvernements des pays du Nord à assouplir leurs réglementations en matière fiscale, sociale ou environnementale. Cela se traduit par l’obligation, pour ces pays, de diminuer les prélèvements obligatoires, de réformer le Droit du travail ou bien encore, de tolérer des entorses au droit de l’environnement…

Le Code du commerce français s’applique aux sociétés commerciales et aux commerçants domiciliés en France ainsi qu’aux actes de commerce accomplis sur le territoire national mais, dès que les transactions commerciales impliquent des relations avec l’Etranger, les conventions et les règles du commerce international supplantent, en matière de législation, le Code du commerce français. Or, parce que les règles du commerce international proviennent de différents ordres juridiques, l’entrepreneur, dans sa conquête des marchés étrangers, se doit de connaître le droit du pays de l’acheteur avec ses nombreux aspects juridiques notamment en matière fiscale et sociale. La préparation minutieuse des transactions et des contrats, l’assurance que les produits respectent les règles du territoire où ils seront commercialisés ainsi que la prévention des mécanismes à mettre en œuvre en cas de litiges permettront, au chef d’entreprise, d’éviter les obstacles qui pourraient entraver sa réussite sur la scène internationale.

En matière de santé et sécurité des produits alimentaires importés, la législation française est souvent impuissante à faire respecter les normes juridiques qui permettent d’éviter les risques sanitaires. La maladie de la « vache folle » dans les années 1986-1996 qui a fait son apparition au Royaume-Uni pour ensuite s’étendre à d’autres pays comme le Canada ou les Etats-Unis, mais aussi à des pays situés en Europe continentale comme la France, le Portugal, l’Espagne ou l’Allemagne, la contamination de la volaille et des œufs à la dioxine en 1999, l’épidémie de grippe aviaire en 2003, le saumon d’élevage norvégien contaminé aux métaux lourds et aux dioxines… sont autant d’exemples qui montrent l’état de dangerosité auquel est exposée la filière agro-alimentaire et ce, malgré le durcissement des lois concernant le commerce des denrées alimentaires.

La loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 « relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité alimentaire des produits destinés à l’homme » a notamment créé un établissement public national, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), qu’elle a chargée d’une mission d’expertise de la sécurité sanitaire de l’ensemble de la chaîne alimentaire.

Quant à la loi n° 2012-1442 du 24 décembre 2012 visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A, en même temps qu’elle permet la transposition d’une disposition du droit de l’Union européenne dans le droit national, elle répond au principe constitutionnel de précaution.

Un grand nombre de produits manufacturés qui sont importés, notamment des pays d’Asie, font l’objet de contrefaçons. Or, la contrefaçon est « une pratique anticoncurrentielle, en violation d’un droit de propriété intellectuelle ». Elle concerne tous les domaines de la consommation et, au-delà de son impact économique pour l’entreprise, elle constitue une menace pour la santé et la sécurité des consommateurs et pour l’image des produits authentiques. La loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon impose le marquage CE pour tous les produits importés dans l’Union européenne, mais, celui-ci étant obligatoire, les contrefacteurs enfreignent la loi en n’hésitant pas à le reproduire !

Le Code de la propriété intellectuelle prévoit toute une série d’actions auxquelles peut avoir recours l’entreprise victime de contrefaçon et qui vont de la protection de l’invention via un dépôt de marques, brevets, dessins et modèles auprès de l’Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI) en passant par l’intervention des services des douanes, la retenue de la marchandise incriminée et l’action en justice qui consiste à porter le litige devant les juridictions civiles et/ou pénales. Pour autant, les flux de marchandises sont tels qu’il est impossible de contrôler tous les produits qui arrivent sur le territoire national, de même qu’il est impossible d’enrayer le commerce des produits contrefaits dans les pays d’Afrique ou d’Asie et même d’Europe. Bien que la loi n° 2014-315 du 11 mars 2014 tende à renforcer la lutte contre la contrefaçon, il semble difficile d’éradiquer ce fléau.

2. La globalisation financière

La globalisation financière oblige à repenser la réglementation des activités financières, non plus sur une base nationale ni même régionale, mais mondiale. Tandis que la coopération entre grands pays développés à économie de marché est souvent facilitée par la densité de leurs relations économiques et politiques, il s’avère que ce n’est pas toujours le cas avec des petits pays considérés comme des paradis fiscaux.

La globalisation financière s’est traduite par une déréglementation et un décloisonnement des marchés financiers ainsi que par une désintermédiation bancaire. Les capitaux, sous la forme d’investissements directs à l’Etranger (IDE) ou bien d’investissements de portefeuille, doivent pouvoir circuler librement à travers le monde c’est-à-dire, qu’ils ne doivent faire l’objet d’aucune taxation, ni à l’entrée, ni à la sortie d’un territoire.

Qu’il s’agisse du marché des changes, du marché monétaire ou du marché financier, tous échappent, de plus en plus à la régulation des pouvoirs publics. Globalement, les pouvoirs publics sont de plus en plus impuissants par rapport au volume des transactions qui sont réalisées sur ces marchés. Le poids des autorités diminue au profit des institutions privées, notamment les investisseurs institutionnels et les firmes multinationales qui, par le biais des IDE, sont très présentes sur le marché des capitaux et réalisent la plus grande partie des transactions financières.

Cette libre circulation des capitaux facilite la transgression de la réglementation d’un pays dans le domaine de la fiscalité, et par conséquent, favorise l’évasion fiscale. C’est ainsi que des sociétés multinationales, par un simple jeu d’écriture, peuvent transférer une partie des profits réalisés dans des filiales situées en France dans des filiales implantées dans des pays où la fiscalité est plus avantageuse. La pratique utilisée pour faire passer les profits d’une filiale à l’autre est celle des « prix de transfert ». Ce sont les prix auxquels les différentes entreprises d’un même groupe se vendent des biens et des services. Ces prix sont censés obéir à une réglementation stricte, établie par chaque pays ou au niveau multilatéral, à l’OCDE notamment, et ne pas être différents de ceux entre deux entreprises appartenant à des groupes distincts. Ils sont pourtant largement manipulés par les entreprises qui cherchent à profiter des différences de règles d’imposition entre pays pour minimiser le taux d’imposition auquel elles doivent faire face.

Le combat contre la fraude fiscale est difficile à mener surtout lorsque celle-ci est orchestrée et encouragée par une institution financière, comme ce fut le cas avec la banque HSBC de Genève, accusée d’avoir mis en place, en 2006 et 2007, un système international de fraude fiscale dont a pu bénéficier un grand nombre de personnes physiques et morales. Ces malversations ont permis l’évasion de plus de 180 milliards d’euros à travers plus de 200 pays dont 6 milliards d’euros dissimulés sur des comptes off-shore par des contribuables français dont certains sont des chefs d’entreprises.

3. L’environnement, un bien public mondial

D’après certains experts, les réserves d’énergie non renouvelables seront épuisées dans cinquante ans, au rythme de consommation actuel, tandis que les ressources naturelles dites renouvelables risquent de devenir inutilisables car trop polluées ! Face à de tels enjeux, la question environnementale interfère désormais directement avec la conduite de la politique économique. Au niveau local et national bien sûr, mais également au niveau international.

La réglementation en matière d’environnement, mise en place par les pays signataires du protocole de Kyoto, impacte considérablement l’économie d’un pays au sens où son respect induit des coûts supplémentaires que doivent supporter les entreprises : coûts relatifs aux investissements à réaliser pour se doter d’un appareil productif plus respectueux de l’environnement, coûts relatifs à la gestion des déchets, coûts liés aux recyclages des produits… De fait, pour contourner la loi, des entreprises peuvent choisir de réaliser une partie de leurs activités à l’Etranger, dans des pays non signataires du protocole ou qui l’ont signé mais qui ne l’ont pas encore ratifié.

En 1999, la société Total affrétait l’Erika, un navire pétrolier battant pavillon maltais (pavillon de complaisance) qui, en sombrant au large des côtes bretonnes, provoquait une catastrophe environnementale de grande ampleur. Ainsi, pour avoir voulu profiter d’une législation en matière de fiscalité, de sécurité du navire et du droit du travail peu contraignante, l’entreprise pétrolière française endossait la responsabilité d’une marée noire aux conséquences écologiques désastreuses !

La France s’est dotée d’un Code de l’environnement et elle a introduit dans sa Constitution, la Charte de l’environnement (Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005), mais, pour autant, cette réglementation peut s’avérer inefficiente dans la mesure où l’environnement est un bien public qui n’a pas de frontières et le non-respect de l’environnement par certains pays pollueurs génère des externalités négatives qui rejaillissent sur tous.

Il semble, par exemple, que l’environnement intéresse peu les entreprises chinoises ! En 2011, 2 % seulement des plus grandes entreprises chinoises publiaient des preuves de leur action en faveur de l’environnement et 5 % seulement affichaient une politique en la matière ! Il apparaît alors comme une évidence que le refus de certains pays d’intégrer, dans le fonctionnement de leur économie, des critères écologiques, conduit à une moindre efficacité de la réglementation édictée au plan national.

Même si des avancées ont été réalisées en matière de droit de l’environnement, celui-ci, reste constitué de législations d’origines et d’époques différentes, mal écrites et incomplètes, qui ont souvent peu évolué, au moins jusqu’à une période récente, et ce, sans véritable souci de cohérence. P. Billet, professeur de droit public, déplore que « le recours au droit administratif pour régler des litiges concernant des infractions au droit de l’environnement prédomine en France. Lorsqu’un industriel est accusé de polluer, ce n’est pas lui qui, le plus souvent, est remis en cause devant un tribunal mais l’Etat car celui-ci a échoué à faire respecter le droit ». Dans une interview récente, les propos tenus par N. Hulot viennent conforter ceux de P. Billet : « Il faut adapter le droit pénal aux réalités de l’écologie ! », propos qu’il justifie par le fait que « l’application de sanctions pénales reflète une désapprobation de la société qualitativement différente de celle manifestée par le biais des sanctions administratives ou d’une indemnisation au civil ! ». La Cour de cassation semble partager cet avis puisque, dans l’affaire de l’Erika, elle a reconnu un préjudice écologique et confirmé à la fois la responsabilité civile et pénale de Total (Cass. Crim. 25 septembre 2012).

4. L’essor des NTIC

Les NTIC peuvent, de manière générale, être définies comme « L’ensemble des supports et techniques qui permettent d’acquérir et d’échanger des informations au sein et à l’extérieur de l’entreprise ». Les NTIC ont acquis une place primordiale pour les entreprises et l’on parle même de l’ « Economie de l’information » ce qui montre l’importance donnée à l’information comme facteur d’orientation économique.

Le développement des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication implique l’élaboration d’un droit spécifique à ce domaine. L’application du droit sur Internet s’est affinée par l’adaptation du droit commun faite par le juge et par l’évolution de la jurisprudence relative aux litiges qui impliquent l’Internet. Les branches du droit, tels que le droit de la propriété intellectuelle, le droit de la consommation, le droit des contrats, la protection de données à caractère personnel, le droit pénal… s’appliquent à Internet, néanmoins, certaines dispositions existantes du droit français ont dû être modifiées à l’occasion de l’émergence de ce nouvel outil, de même que certaines règles spéciales ont dû être élaborées comme, par exemple, la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) n° 2004-575 du 21 juin 2004, la loi Hadopi n° 2009-669 du 12 juin 2009 relative aux échanges de courriers électroniques et aux téléchargements de fichiers et, plus récemment, la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (loi Hamon) et destinée, entre autre, à renforcer la réglementation concernant le e-commerce.

Compte tenu de la dimension planétaire de l’Internet, le droit international privé est à même de déterminer les juridictions compétentes et les règles de droit applicables en cas de litiges mais, la complexité de la réalité juridique est telle, que l’entrepreneur, qui veut profiter des avantages commerciaux d’Internet, risque de se perdre dans un labyrinthe juridique. Etant donné le caractère d’extranéité d’Internet, il n’est pas très aisé, pour lui, de prévoir le cadre législatif auquel il doit conformer son comportement sur le web. L’entrepreneur sera alors contraint, s’il veut user du web pour faire connaître son entreprise ou s’il a l’intention d’y installer un réseau de distribution, de supporter le coût relatif à des investissements majeurs en matière de conseil juridique (affaire Licra contre Yahoo – Cour suprême des Etats-Unis - 30 mai 2006).

Pour les salariés, le droit de l’Internet renseigne sur l’utilisation de ce nouvel outil et sur celle de la messagerie au travail. Ces derniers sont protégés par des réglementations permettant d’instaurer une certaine confiance dans les NTIC. En matière de cyber-surveillance, les principes sont fixés depuis l’arrêt rendu par la Cour de cassation, le 12 octobre 2004, concernant Sulzer orthopédie Cédior. Chaque salarié doit être individuellement informé des dispositions collectant de l’information à son égard et il a droit, même pendant le temps et sur le lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée. Ce respect implique, en particulier, le secret des correspondances. L’employeur ne peut, hors de la présence du salarié, prendre connaissance des dossiers et fichiers identifiés comme étant personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail (Cass. Soc., 5 juillet 2011, Société Gan Assurances).

L’article L 1121-1 du code du travail stipule, en effet, que : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. ».

B/ En raison des mouvements des FMN

Pour reprendre la définition de M. Merle, l’expression « firmes multinationales » recouvre un « ensemble de situations très variées allant de l’entreprise nationale qui cherche à étendre son action au-delà des frontières jusqu’aux entreprises ou groupes d’entreprises qui échappent, par leur structure comme par leur organisation, à tout contrôle national et qui affrontent directement de multiples partenaires, privés et publics, nationaux et internationaux ». Par le biais des investissements directs à l’Etranger (IDE), elles sont en mesure de planifier leur développement à l’échelle mondiale contribuant ainsi à la mobilité du capital au niveau planétaire.

A la faveur de la théorie économique libérale qui prône le laissez-faire et le laissez-passer, plusieurs entreprises, européennes et américaines, se sont implantées dans différentes régions du monde, dans le but de s’assurer le contrôle de l’approvisionnement en matières premières et celui des débouchés nécessaires à l’écoulement de leur production. Aujourd’hui, le phénomène s’est à la fois étendu et déplacé compte-tenu des changements induits par l’arrivée des pays émergents dans le paysage économique. Et ce sont bien ces sociétés transnationales qui profitent de l’existence de normes juridiques moins sévères, en matière de sécurité, de protection de l’environnement, de conditions de travail, de fiscalité… en vigueur dans ces pays et qui sont, de ce fait, à l’origine de nombreux problèmes sociaux, économiques, culturels et écologiques !

Depuis 2013, la Commission européenne enquête sur les impôts d’Amazon et tente de répondre à la question suivante : « Le groupe avec son siège européen au Luxembourg est-il resté dans les clous de « la concurrence fiscale loyale » au sein du marché unique européen ? ». Au travers des contrôles fiscaux effectués, il apparaît que, tandis que le site américain a réalisé, en France, en 2012, un chiffre d’affaires estimé à 1,63 milliards d’euros, il n’a déclaré, dans l’Hexagone, qu’un chiffre d’affaires de 110 millions d’euros. Ce faisant, Amazon a réussi à ne payer quasiment pas d’impôts sur les bénéfices en France, seulement 3,3 millions d’euros lors de l’exercice 2011 au lieu des 200 millions d’euros considérés, par le fisc, comme lui étant dus ! La stratégie mise au point par Amazon a consisté à créer une filiale au Luxembourg puis à transférer la propriété des filiales européennes, dont la filiale française, à sa filiale luxembourgeoise. De cette façon, en réalisant toutes ses ventes en Europe depuis sa filiale située au Luxembourg, Amazon pouvait, d’une part, bénéficier d’une TVA réduite (6 %) sur la vente de biens immatériels (livres électroniques, films…) et d’autre part, déclarer la majeure partie des bénéfices réalisés en Europe dans cette filiale située dans un paradis fiscal !

Cet exemple illustre bien les propos de F. Clairmont, économiste contemporain, pour qui, « Les firmes géantes se jouent parfaitement des Etats » d’autant que le souhait des différents pays, à les voir s’implanter sur leur propre territoire, a conduit à une concurrence entre les Etats pour attirer les capitaux transnationaux contribuant ainsi à augmenter le pouvoir des FMN qui disposent désormais de nombreuses possibilités concurrentielles d’implantation.

L’absence d’harmonisation fiscale conduit à une concurrence déloyale des géants américains et c’est ainsi, qu’à l’instar d’Amazon, Google, Apple, Facebook et Microsoft auraient à payer 22 fois plus d’impôt sur les sociétés si leurs activités de production étaient localisées et taxées en France, soit 828 millions d’euros au lieu de 37,5 millions. Et si l’on ajoute la perte de recettes de TVA sur l’e-commerce, l’impôt s’élèverait entre 1,1 et 1,5 milliard d’euros !

Les entreprises pratiquent le « Law shopping » et, comme le soulignent P. Hirst et G. Thompson dans leur ouvrage intitulé « Globalization in question », en 1996, « C’est la mouvance des FMN qui remet en cause la capacité de régulation de l’économie mondiale ».

Sur le plan juridique, toute société industrielle est dotée d’une nationalité, déterminée par le lieu d’implantation de son siège social. Elle est alors soumise à la réglementation de l’Etat dans lequel celui-ci se situe. A ce niveau, en référence à la théorie des conflits de lois, se pose la question, en cas de litiges, de la compétence internationale : dans quel pays le litige peut-il être jugé ?, Quel est le pays dont la loi s’applique ? ainsi que celle de la reconnaissance des décisions prises par des juridictions étrangères. Or, les sociétés transnationales ne sont pas dotées d’une personnalité internationale et, par conséquent, elles échappent complètement à toute réglementation particulière et ne sont saisies, par le droit, qu’à travers leurs activités nationales.

 III - … justifiant l’existence d’un droit international et d’une nouvelle conception de la réglementation

Le droit international s’impose comme instrument de régulation de l’économie mondiale (A) assorti d’une nouvelle conception de la réglementation (B).

A/ Une réglementation mieux adaptée à l’économie mondiale

1. Une réponse à la régionalisation : le droit européen

Selon J.M. Siroën, le terme de régionalisation (ou d’intégration commerciale) appliqué à l’économie mondiale signifie que « les transactions commerciales augmentent davantage entre pays appartenant à une même zone géographique qu’entre ces pays et le reste du monde ».

L’Union européenne, qui réunit aujourd’hui 28 pays, constitue la forme la plus aboutie d’intégration régionale avec l’adoption de la monnaie unique. Cet espace économique intégré est régi par le droit européen. Celui-ci est constitué de traités européens qui constituent le fondement juridique de l’UE (droit primaire) et de textes élaborés par les institutions européennes (Conseil, Commission ou Parlement) que sont les règlements, les directives, les décisions, les avis, les recommandations et les accords (droit dérivé). Le droit subsidiaire vient compléter les sources du droit européen et il est formé par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, par le droit international et par les principes généraux du droit.

La directive est un acte juridique pris par le Conseil de l’Union européenne, seul ou avec le Parlement selon les cas. Elle lie les Etats destinataires de la directive quant à l’objectif à atteindre mais leur laisse le choix des moyens et de la forme pour atteindre cet objectif et ce, dans les délais qu’elle a fixés. Les Etats membres doivent donc transposer la directive dans leur droit national, ce qui implique, pour ces derniers, de rédiger ou de modifier des textes du droit national afin de permettre la réalisation de l’objectif fixé par la directive et d’abroger les textes qui pourraient être en contradiction avec cet objectif.

On peut citer, à titre d’exemple, la loi n° 2008-757 du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de l’environnement, qui assure la transposition de la directive n° 2004/35/CE du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux.

La non transposition d’une directive, dans les délais impartis, peut faire l’objet d’une procédure de manquement devant la Cour de justice de l’Union européenne. Les Etats membres ont le devoir d’informer la Commission sur les mesures prises pour l’application de la directive. Les directives sont publiées au Journal Officiel de l’Union européenne.

Le règlement européen est un acte de portée générale du Conseil ou de la Commission, obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout Etat membre.

C’est ainsi que le statut de « Société européenne » est né du Règlement (CE) n° 2157/2001 du Conseil du 8 octobre 2001 complété par la Directive 2001/86/CE du Conseil du 8 octobre 2001 pour ce qui concerne l’implication des travailleurs. La société européenne a pour objectif d’offrir aux entreprises dont l’activité transnationale s’y prête, une formule leur permettant de mener à bien la réorganisation de leurs activités à l’échelle européenne et de permettre aux acteurs économiques d’agir sous la forme d’une seule société opérant par le biais d’établissements dans les Etats membres. Sur le fond, la société européenne offre de nouvelles possibilités de réaliser des opérations transfrontalières avec plus de simplicité, plus d’efficacité et une sécurité juridique accrue.

La politique de concurrence de l’Union européenne est mise en œuvre par la Commission européenne qui veille à l’application directe des règles européennes de concurrence, définies dans les articles 101 à 109 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en collaboration avec les autorités nationales. Elle vise à améliorer le fonctionnement des marchés européens, en garantissant une concurrence juste et équitable entre les entreprises. Le respect de ces règles profite aux consommateurs, aux entreprises et à l’ensemble de l’économie européenne. La commission européenne a également en charge le contrôle des concentrations d’entreprises transfrontalières (Règlement CE n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises).

L’Union européenne a, de la sorte, donné naissance à un nouvel ordre juridique et, face à l’intensification des échanges internationaux, les différents pays de l’Union européenne ont adapté leur réglementation pour permettre aux entreprises européennes de mieux se structurer afin de favoriser leur développement en Europe et à travers le monde.

2. Une réponse à la mondialisation : le droit international

« Le droit international est, pour les Etats, non seulement un ensemble normatif mais aussi un langage commun ». Boutros Boutros-Ghali, Secrétaire général de l’ONU de 1992 à 1996.

Le droit international public « régit les relations entre les Etats ou entre les personnes ou entités de nationalités différentes ». Le droit international privé est « la branche du droit qui étudie le règlement des différends de droit privé présentant un caractère international, que les parties soient de nationalités différentes, résident dans des pays différents ou soient liées par des engagements pris dans un pays autre que leur pays de résidence ». Les textes définissant le droit international sont les traités, les conventions et les accords.

La question qui se pose alors est de savoir qui édicte le droit international ?

Les firmes multinationales, elles-mêmes, édictent le droit international lorsqu’elles élaborent leurs codes de conduite, leurs règles déontologiques, leurs chartes éthiques qui tentent de tenir compte de la multiplicité de leurs sites dispersés géographiquement et par là-même, soumis à des législations différentes. Ainsi, l’adaptation des documents éthiques d’un groupe international à la culture nationale dans laquelle opère la filiale, se révèle souvent délicate et la nécessité de recourir à la traduction est un obstacle important à la diffusion internationale du document éthique. Le document éthique du groupe mondial doit pourtant apparaître comme étant celui de la filiale pour qu’il ait une chance sérieuse d’être accepté et vécu.

Les normes internationales sont élaborées, au sein de trois principales organisations, la CEI (Commission Electrotechnique Internationale), l’ISO (Organisation internationale de Normalisation) et l’UIT (Union Internationale des Télécommunications), composées d’organisations internationales gouvernementales, d’ONG, mais aussi de groupes d’experts, des industriels qui viennent du monde entier. Dès lors que des dispositions légales ou réglementaires imposent aux professionnels d’un secteur d’activité le respect de ces normes dans la conception, la composition et la fabrication des biens ou des services, on peut assurément dire, que les entrepreneurs ont participé activement à l’élaboration du droit international.

Ainsi, tandis que le règlement européen n° 178/2002 sur la sécurité des aliments impose la mise en place d’un système de traçabilité alimentaire qui permet notamment le rappel de lots ou le retrait des produits alimentaires du marché s’ils s’avèrent dangereux, la norme ISO 22005-2007, édictée par des professionnels du secteur de l’industrie agro-alimentaire, fixe les principes et spécifie les exigences fondamentales s’appliquant à la conception et à la mise en œuvre d’un système de traçabilité de la chaîne alimentaire.

Les lobbies industriels qui regroupent les représentants des entreprises et les syndicats patronaux et qui cherchent à faire pression sur les institutions politiques internationales de façon à influencer, dans un sens qui leur est favorable, les décisions des élus politiques, sont également les auteurs du droit international.

Le lobbying consiste « à entretenir des contacts étroits avec les personnels politiques, individuellement ou dans le cadre de groupes de travail, au prétexte de les assister dans leur tâche législative ou décisionnelle. Les lobbyistes en viennent souvent à rédiger des lois, qui sont ensuite votées par les élus politiques, ce qui nuit à l’indépendance des pouvoirs publics. ».

Au plan mondial, la BRT (US Business Round Table - Table ronde des hommes d’affaires américains) est un des plus puissants lobbies. Créé en 1972, il compte les dirigeants d’environ 200 transnationales, dont 37 des 50 des plus importantes entreprises des Etats.

Au niveau européen, l’un des plus puissants lobbies est l’ERT (European Round Table -Table ronde des industriels européens), fondé en 1983 et constitué de nombreux dirigeants de transnationales européennes qui sont régulièrement accueillis par les chefs de file européens pour discuter des politiques européennes. Et c’est ainsi, qu’ensemble, la BRT et l’ERT ont réussi, en 2013, à convaincre la Commission européenne « d’entamer des négociations officielles pour la création d’un Grand Marché Transatlantique qui viserait à libéraliser le commerce entre les Etats-Unis et l’Europe, ce qui pourrait conduire à la privatisation de l’ensemble des services publics, à la disparition de normes sociales telles que le SMIC et à la disparition de normes sanitaires et alimentaires considérées comme des obstacles techniques au commerce libre et non faussé, et ce, au profit des transnationales ».

Les ONG, à l’instar des lobbies industriels, s’érigent elles-aussi en contre-pouvoirs et participent à la construction du droit en exigeant, de la part des institutions politiques, européennes et internationales, qu’elles prennent en compte, dans l’élaboration des réglementations, des considérations d’ordre environnemental ou bien encore humanitaire. Dotées, pour plusieurs d’entre elles, d’un statut consultatif, elles entretiennent des relations de travail et de coopération privilégiées avec les instances européennes et internationales. Certains vont même jusqu’à considérer « qu’elles ont acquis un pouvoir exagéré, notamment par rapport à celui des Etats ! ».

On peut citer, pour exemple, Médecins du Monde qui, en participant à différents collectifs de travail, accède facilement aux instances internationales de décision. Parallèlement, cette ONG développe des partenariats avec d’autres organisations internationales, ce qui lui vaut de renforcer sa position sur la scène internationale.

On peut également se poser la question de savoir qui interprète le droit ?

Les Conventions internationales, sous la direction et l’impulsion d’instances internationales, telles que l’Organisation des Nations Unies (ONU), l’Organisation Internationale du Travail (OIT)…, contraignent les pays signataires. Si l’on prend, pour exemple, la Convention de Vienne, conclue le 11 avril 1980, qui règlemente la vente internationale de marchandises, elle concerne uniquement les 81 pays qui, à ce jour, ont ratifié cette Convention, laquelle s’applique indépendamment des droits nationaux. L’application de la Convention de Vienne dépend entièrement de la volonté des deux parties. Les entreprises peuvent soit l’exclure totalement, soit l’appliquer partiellement. En tout état de cause, les entreprises qui désirent développer une activité internationale, doivent prendre connaissance du système juridique du pays ciblé et de la Convention de Vienne.

La Convention de Genève du 21 avril 1961 instaure l’arbitrage commercial international qui permet, aux parties à un contrat du commerce international, de choisir de soumettre à une juridiction arbitrale, les litiges qui pourraient naître entre elles à l’occasion de l’exécution du contrat. Elles évitent, de ce fait, le recours aux juridictions étatiques. Les arbitres sont des juges privés, nommés par les parties pour rendre une sentence arbitrale qui aura, pour elles, la même force qu’une décision rendue par un tribunal étatique.

Il y a donc bien là, constitution d’un véritable droit, détaché d’un droit national qui ne s’appliquerait que sur un territoire bien délimité.

B/ Une nouvelle conception de la réglementation

1. Le principe de la régulation

Dans le domaine économique, la régulation désigne « L’ensemble des mécanismes et des moyens d’action dont dispose un Etat ou une instance internationale et qui ont pour objectif soit la régulation de l’économie dans sa globalité soit le maintien de l’équilibre d’un marché de biens ou de services (régulation sectorielle) ».

Parmi les différents mécanismes contribuant à la régulation de l’économie, la réglementation par l’Etat joue souvent un rôle primordial mais elle est complétée par d’autres formes d’intervention.

a) Les théories de la réglementation publique

L’économie du Bien-être (A. Marshall, A.C.Pigou, V. Pareto) démontre que l’action de l’Etat vise à restaurer la norme d’un équilibre au sens de Pareto. L’Etat est bienveillant, omniscient, il recherche l’intérêt général et intervient pour pallier les défaillances du marché.

Dans le cadre de l’économie industrielle (G. Stigler) qui prend ses racines dans l’Ecole du Public Choice (J.M. Buchanan, G. Tullock), l’Etat est vénal, il sert ses propres intérêts et subit l’influence des groupes de pression.

Les théories de la nouvelle économie publique (J.J. Laffont, J. Tirole), montrent que l’Etat est contraint de rechercher l’intérêt général mais il se heurte à des problèmes d’asymétries d’information.

Enfin, dans le champ de l’économie institutionnelle (R. Coase, O. Williamson), l’Etat cherche à minimiser les coûts, il est ouvert à toutes les solutions y compris celle du laissez-faire. Marché et réglementation du marché génèrent des coûts de transaction qui nécessitent de rechercher, cas par cas, la solution qui minimise ces derniers.

La régulation, pour être efficace, nécessite que le régulateur soit indépendant. Or, l’Etat, est souvent propriétaire majoritaire des entreprises régulées. Il ne peut donc, de manière crédible, agir à la fois comme un actionnaire, ce qui, en gestionnaire avisé, le pousserait à laisser à l’entreprise des rentes et comme régulateur puisqu’il s’agirait alors, au contraire, de priver l’entreprise de ces rentes pour les redistribuer à la collectivité. C’est pourquoi, une séparation marquée doit exister entre la puissance publique, l’entreprise et le régulateur permettant, en même temps, d’éviter les phénomènes de capture.

Les problèmes de capture des réglementeurs correspondent à des décisions que ces derniers peuvent prendre et qui répondent à d’autres objectifs que ceux qui leur sont assignés, c’est à dire, le « bien-être » collectif. L’une des premières sources de capture provient des groupes d’influence émanant de l’industrie elle-même. Selon Richard Posner, juriste et économiste à l’université de Chicago, « ce sont les asymétries d’informations qui font que les autorités réglementaires en viennent à être dominées par les industries qu’elles régulent ».

Ainsi, un réglementeur chargé de promouvoir l’entrée de nouveaux concurrents pourra ainsi céder au groupe de pression des entreprises en place et rendre finalement cette entrée plus difficile que ne le voudrait une décision conforme à l’intérêt général. De fait, les lobbies de toute sorte, peuvent influencer les décisions des réglementeurs de façon à servir leurs propres intérêts.

L’analyse de G. Stigler met en évidence qu’il existe un marché de la réglementation, celle-ci étant une marchandise qui s’échange avec, pour offreurs, les décideurs politiques et pour demandeurs, les entreprises qui veulent être protégées de la concurrence et notamment de la concurrence étrangère. Ainsi, les firmes offrent de contribuer au financement des campagnes électorales, offrent leur notoriété en faveur de telle ou telle cause publique ou bien encore, offrent des carrières aux fonctionnaires, « achetant » ainsi, grâce à ce « marchandage politique », la défense, par l’Etat, de leurs propres intérêts au détriment de l’intérêt collectif. Pour autant, l’Etat doit intervenir pour pallier les défaillances du marché qui sont au nombre de trois : les effets externes, les biens publics et les monopoles naturels.

Les effets externes

Dans le cas des externalités positives, le bénéfice privé est inférieur au bénéfice social d’où une sous-production. Dans le cas des externalités négatives, le bénéfice privé est supérieur au coût social d’où une surproduction. Pour éviter la sous-production d’activités générant des effets externes positifs, l’Etat met en place des politiques de financement en matière d’éducation, de formation et de R&D. Par le biais des subventions, il incite les agents à réaliser davantage d’investissements productifs.

A l’inverse, l’Etat régule la surproduction d’activités générant des externalités négatives par le biais des taxes (éco-taxe, taxe du pollueur-payeur) ou l’attribution des droits à polluer sur le marché des droits à polluer en matière de Co2. L’objectif est que les agents économiques internalisent les effets externes en incluant le coût social dans leurs calculs.

Les biens publics

La production des biens publics, par le secteur privé, se heurte à deux obstacles :

  • Le risque de défection lié au fait que les consommateurs ne révèlent pas leur préférence car chacun attend que ce soit les autres qui le fassent et, par conséquent, payent le prix du bien. Ainsi, ceux ayant adopté un comportement de passager clandestin, pourront profiter gratuitement du bien puisqu’ils n’auront pas contribué à son financement. Cependant, comme tout le monde adopte la même attitude, en fin de compte, le bien n’est pas demandé et ce, même s’il contribuait à améliorer le bien-être collectif.
  • La tarification des biens publics liée au fait que dans la théorie néo-classique, la règle veut que le prix égalise le coût marginal de production. Mais, pour les biens publics, le coût marginal d’un usager supplémentaire étant nul, le prix est également nul ce qui implique qu’il faille offrir ces biens gratuitement et, de ce fait, aucune entreprise ne va s’engager dans de telles activités faute de profits suffisants.

Pour vaincre ces deux obstacles, le recours à l’Etat s’avère indispensable car, lui-seul a un pouvoir de coercition qui prend la forme de l’instauration d’un impôt destiné à financer la fourniture des biens collectifs, fourniture assurée directement par le secteur public ou déléguée à des entreprises privées dans le cadre d’une délégation de services publics.

Les monopoles naturels

Le monopole naturel est dû à ce que les rendements sont croissants tandis que les coûts de production sont décroissants. Les coûts marginaux deviennent inférieurs aux coûts moyens. Lorsqu’une entreprise, par sa grande taille, est capable de satisfaire à elle seule la demande, elle écarte du marché toutes les entreprises de taille inférieure qui voudraient y entrer. Les économies d’échelle qu’elle réalise lui permettent de diminuer ses coûts unitaires de production et l’entrée d’une petite entreprise moins performante est vouée à l’échec. Si, dans ce type de situation, les mécanismes de marché permettent de sélectionner la structure industrielle qui est optimale du point de vue de la collectivité, ils conduisent, en revanche, à un niveau de production sous optimal et à une tarification également sous optimale.

C’est pourquoi, dans le cas du monopole naturel, il apparaît légitime que les pouvoirs publics interviennent pour éviter une sous-production et une surtarification des biens collectifs. L’autorité publique peut alors, soit nationaliser l’entreprise de façon à ce que le déficit résultant d’une tarification au coût marginal soit financé par le budget de l’Etat, soit, dans le cas où le monopole serait une entreprise privée, exiger la signature d’un contrat entre l’entreprise et l’autorité publique en charge de la réglementation pour fixer les conditions relatives à la production du service public et à sa tarification.

b) La régulation par les politiques économiques

Tandis que le libéralisme prône une intervention minimale de l’Etat dans l’économie (Etat-gendarme), à l’inverse, l’interventionnisme est la conception selon laquelle l’Etat doit jouer un rôle actif dans l’économie (Etat-Providence).

La fonction de régulation de l’État consiste à agir sur l’évolution économique de façon à en améliorer les principaux indicateurs (croissance, emploi, équilibre extérieur et stabilité des prix), à court et moyen terme, par la régulation conjoncturelle et, à long terme, en orientant l’économie par la régulation structurelle.

Les politiques structurelles visent à modifier en profondeur et durablement les structures de l’économie. Par exemple, la politique industrielle de l’Etat regroupe l’ensemble des actions entreprises par l’Etat afin d’améliorer les performances et la compétitivité de l’appareil productif.

Les politiques conjoncturelles sont la politique monétaire et la politique budgétaire. Politiques de relance destinées à stimuler la demande ou politiques de rigueur destinées à rétablir les équilibres (lutte contre l’inflation et le déficit extérieur), elles influent, à courte échéance, sur l’évolution de l’économie.

2. Les instances de régulation

Au plan national, des autorités administratives indépendantes ont été créées telles que l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes), la CREG (Commission de régulation de l’électricité et du gaz), l’AMF (Autorité des marchés financiers), la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), l’Autorité de la concurrence…

Une autorité administrative indépendante (AAI) est une institution de l’État, chargée, en son nom, d’assurer la régulation de secteurs considérés comme essentiels et pour lesquels le gouvernement veut éviter d’intervenir trop directement. Leur mise en place permet d’éviter les risques de capture mis en évidence par les théoriciens de l’Ecole des choix publics.

Les AAI sont une catégorie juridique nouvelle car, contrairement à la tradition administrative française, elles ne sont pas soumises à l’autorité hiérarchique d’un ministre. C’est dans la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 créant la CNIL que le terme est apparu pour la première fois.

Les autorités administratives indépendantes intervenant dans le domaine économique sont chargées de la régulation des activités économiques et, pour effectuer leurs missions, elles disposent d’un certain nombre de pouvoirs tels que le pouvoir de recommandation, de décision, de réglementation et de sanction.

Au plan communautaire, la Banque européenne d’investissement (BEI) est un organe autonome de l’Union européenne. La BEI entretient d’étroites relations de travail avec les autres institutions de l’UE et coopère avec les autres institutions multilatérales et bilatérales d’aide au développement. Elle a pour mission de financer des projets qui soutiennent les objectifs définis par les politiques de coopération et d’aide au développement de l’Union dans les pays, notamment, d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. La BEI rend compte de ses activités à son Conseil des gouverneurs composé d’un ministre du gouvernement des 28 Etats membres, en principe le ministre des Finances.

Sur le plan international, l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est la seule organisation internationale qui s’occupe des règles régissant le commerce entre les pays. Son but est d’aider les producteurs de marchandises et de services, les exportateurs et les importateurs à mener à bien leurs activités. Les accords de l’OMC, négociés et signés par la majeure partie des puissances commerciales du monde et ratifiés par leurs parlements, constituent les règles juridiques de base du commerce international. Il s’agit essentiellement de contrats garantissant aux pays membres d’importants droits commerciaux. Ils contraignent également les gouvernements à maintenir leur politique commerciale à l’intérieur des limites convenues, dans l’intérêt de tous.

Les négociations portent aussi sur les droits de propriété intellectuelle. Les accords ADPIC, signés par les membres de l’OMC, fixent de nouvelles règles internationales pour l’ensemble des pays en matière de brevets et de propriété intellectuelle. L’OMC s’est dotée d’un Organe de Règlement des Différends (ORD) qui constitue une juridiction internationale chargée de trancher les contentieux commerciaux entre les parties. L’ORD ne sanctionne pas le pays qui pratique le protectionnisme mais elle autorise le pays qui s’estime lésé à prendre des mesures de rétorsion à l’encontre de celui-ci.

Le Fonds monétaire international (FMI) est un instrument de régulation financière et d’aide aux pays en développement, chargé de permettre à ces pays de surmonter des crises temporaires de financement de leur déficit de la balance des paiements. L’action du FMI consiste à prêter de l’argent aux pays connaissant ce type de difficultés, à condition que ceux-ci mettent en œuvre des politiques appropriées pour parvenir à l’équilibre de leur balance des paiements.

C’est ainsi que, depuis 2010, le FMI, en partenariat avec l’UE, a accordé à la Grèce de nombreux prêts pour que celle-ci puisse faire face à la crise de la dette souveraine. En contrepartie, la Grèce s’est engagée à mettre en place des mesures d’austérité destinées à réduire son déficit public.

La Banque mondiale est une institution financière internationale créée pour lutter contre la pauvreté à travers le monde. Elle accorde des prêts aux pays en développement et son action consiste principalement à apporter son aide à la reconstruction des pays ayant connu des situations de crises. Elle abrite le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), créé par la Convention de Washington du 18 mars 1965 et compétent pour régler les litiges entre Etats et ressortissants d’autres Etats : une entreprise qui investit dans un pays autre que le sien s’expose à un risque juridique : le pays hôte peut prendre des décisions arbitraires nuisant à son activité, ou ne pas respecter certains engagements envers cette entreprise. Afin de réduire le risque pris par les investisseurs, certains pays acceptent de mettre en place un dispositif pour régler de façon impartiale les différends éventuels entre ces investisseurs et les États qui les accueillent. (Arrêt Tecmed – Mai 2003).

Par ailleurs, il appartient aux différentes banques centrales d’imaginer de nouveaux mécanismes multilatéraux incitatifs, voire coercitifs, pour le respect des règles internationales dans le domaine de la finance. Les Accords de Bâle sont des accords de réglementation bancaire qui visent à garantir un niveau minimum de capitaux propres, afin d’assurer la solidité financière des banques. L’objectif est d’assurer la stabilité du système bancaire afin d’éviter l’apparition des crises financières qui nuisent à l’économie.

L’Union européenne, de son côté, prévoit l’adoption, dès 2016, de la taxe Tobin qui consiste à taxer les transactions financières. Mais cette mesure n’est pas certaine de voir le jour, dès lors qu’elle se heurte, d’ores et déjà, au lobbying acharné des banques, notamment des banques françaises !

Enfin, en matière de gestion des entreprises, l’adoption des normes IFRS sur l’information financière des entreprises joue un rôle d’unification important. Depuis 2005, les sociétés cotées en bourse ont dû adopter un référentiel commun, nommé IFRS (International Financial Reporting Standards), fondé notamment sur le principe de la juste valeur. Les normes IAS/IFRS imposent aux entreprises cotées de présenter un état annuel de leur situation financière au travers de deux documents : le compte de résultat et le bilan fixés par un référentiel comptable. Les normes comptables et financières sont édictées par les régulateurs comptables : l’Autorité des Normes Comptables (ANC) en France, l’International Accounting Standard Board (IASB) au niveau international qui publie les normes IFRS et la Federal Accounting Standard Board (FASB) aux Etats-Unis.

De plus, depuis janvier 2014, le contrôle fiscal d’une comptabilité informatisée impose à l’entreprise de fournir un fichier aux normes de l’administration : un fichier par exercice, le classement des écritures par ordre de validation etc.

En conclusion et en réponse à la question posée en introduction : « Au-delà de la mise en place d’un cadre juridique et institutionnel de l’économie, le droit peut-il suffire, à lui-seul, à influencer et à orienter l’économie ? », on peut soutenir l’idée que, pour fonctionner de façon harmonieuse, l’activité économique a besoin d’être encadrée. C’est le rôle dévolu au droit que d’organiser et de réglementer les rapports économiques en fournissant un cadre juridique pour les échanges réalisés par les acteurs économiques. Pour autant, le droit peut être à l’origine de certaines rigidités et certaines réglementations peuvent se révéler inefficaces. La limite de l’application du droit est d’abord territoriale et le législateur est impuissant face, par exemple, aux pays qui font de la contrefaçon une ressource économique majeure. De même, le droit ne peut prévenir toutes les catastrophes, car il ne peut contraindre à l’infini et, c’est pourquoi, face à un risque réalisé, le législateur ne pourra que tenter d’éviter son renouvellement en élaborant une nouvelle réglementation comme par exemple, la mise en place du principe de précaution. De nombreuses fois, la législation n’empêchera pas les entreprises de prendre des risques ou d’adopter un comportement déloyal et, dans ce cas, le droit ne pourra que sanctionner les responsables, civilement et/ou pénalement.

Parce qu’il s’avère que le droit ne peut suffire, à lui seul, à influencer l’économie, l’Etat intervient également dans la vie économique par le biais de la régulation qui prend différentes formes telles que la production, la répartition, la mise en place de politiques économiques…

La mondialisation de l’économie, caractérisée par la croissance des échanges commerciaux, l’essor des mouvements internationaux de capitaux, le développement des NTIC et la contrainte environnementale ont provoqué une interdépendance plus forte des économies et, de facto, une contrainte supplémentaire pour les pays obligés d’harmoniser leur réglementation à l’échelle planétaire.

Tandis qu’au niveau de chaque Etat, des liens étroits se sont tissés entre le droit et l’économie, en revanche, il n’existe pas de telle coordination au niveau international et la frontière entre droit et économie apparaît de façon très distincte. S’est alors posée la question de la mise en place d’une gouvernance mondiale capable de réguler l’économie mondiale. Et c’est bien le rôle dévolu au droit européen et au droit international que de réglementer les relations économiques transfrontalières !

Il faut donc renforcer la crédibilité des institutions européennes et internationales car, comme le souligne J. Habermas, philosophe allemand contemporain : « Il faut redonner de la légitimité aux institutions européennes et renouer avec l’idéal transnational car ce qui rend l’exercice du pouvoir politique légitime n’est pas la forme juridique en tant que telle, mais seulement le respect du droit légitimement édicté ! ».

 Bibliographie

  • Benoît Frydman : « Comment penser le droit global ? », 2011.
  • Corporation des Etudiants en droit de Nantes : « Le flou du droit », Préface 2e éd PUF, 2004.
  • Emilio Grossman : « Lobbying et vie politique », Problèmes politiques et sociaux, La Documentation française, n° 918, 2005.
  • Frédéric F. Clairmont : « Ces firmes géantes qui se jouent des Etats », Le monde diplomatique, 1999.
  • François Perroux : « Indépendance de la Nation », Paris, Aubier, 1969.
  • Marcel Merle : « Sociologie des relations internationales », Dalloz, Paris, 1982.
  • Prosper Weil : « Vers une normativité relative en droit international », Ecrits de droit international, PUF, 2000.

 Sitographie :

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