Jeu pour les fabricants, set pour les distributeurs, Match en faveur des consommateurs ? Vers une nécessaire coopétition fabricants / distributeurs ?

, par Isabelle Jenniches

Troisième pilier du marketing, la distribution et ses circuits ont subi de profondes mutations depuis un demi-siècle en France.

Les canaux suivis par un bien de consommation, destiné à un consommateur final, permettent à ce produit de passer de l’état de production à l’état de consommation. Ils font alors intervenir différents acteurs et forment le circuit de distribution de ce bien.

Ainsi, un produit peut être commercialisé par le biais d’une multitude de canaux de distribution et avoir un circuit de distribution extrêmement large. En outre, un même consommateur pourra utiliser plusieurs canaux de distribution pour répondre à ses besoins.

Mais n’est-ce pas l’émergence de cette multitude de canaux de distribution qui influence le consommateur ou qui oblige un fabricant à en utiliser plusieurs pour un même produit, afin de gagner ou de conserver sa place sur le marché, ou bien le comportement du consommateur qui oblige les distributeurs et les fabricants à imaginer le meilleur moyen de l’influencer et provoquer son acte d’achat ?

Les fabricants ont-ils eu tout d’abord la part belle, pour ensuite se soumettre au jeu des distributeurs. Les fabricants et les distributeurs ont-ils dû laisser ensuite leurs querelles de côté pour coopérer ?

Cette dichotomie n’est pas aussi évidente au premier abord.

En nous penchant sur leur histoire, nous verrons que si, petit à petit les circuits de distribution se sont organisés, les luttes de pouvoirs entre producteurs et distributeurs ont été prépondérantes au détriment de l’intérêt du consommateur, qui aujourd’hui, les oblige à coopérer pour le conquérir.

 I. Une organisation progressive de la distribution, avec le fabricant comme point de départ ….

A/ Un circuit qui s’organise

Des méthodes de vente au détail séculaires

De l’Antiquité au milieu du XIXe siècle, les méthodes de vente au détail ont relativement peu bougé. Le marchand vend ses produits au détail, et le simple fait pour un consommateur de rentrer dans un magasin, où il est possible, à l’époque, de discuter les prix, l’oblige à acheter.

Ces méthodes de vente archaïques ont été bouleversées par la Révolution Industrielle. De façon directe, elle a contribué à la baisse des prix de vente des produits, grâce à leur production en masse. Cette dernière a également obligé les fabricants à trouver de nouveaux canaux de distribution pour leurs produits, vers 1850.

Naissance des grands magasins

C’est donc en 1852 qu’Aristide Boucicaut a créé, en France, le premier grand magasin, le Bon Marché : l’entrée y est libre et les prix y sont fixes. Il y vend plusieurs types de marchandises en les organisant en rayons et celles qui sont présentées dans ces grands magasins sont un véritable spectacle pour les yeux des chalands.

Apparition du libre-service puis du discount aux USA

C’est aux Etats-Unis que s’est développée, par la suite, une autre forme de distribution : le libre-service. Clarence Saunders l’introduit dans ses épiceries au nom de Piggly Wiggly, dont la première est située à Memphis. Proposer les produits en libre service entraîne peu à peu la disparition du marchand qui faisait un écran entre les produits et les clients. Le produit va alors peu à peu devoir se vendre tout seul, grâce à son conditionnement et sa marque, qui est mise en avant, grâce au développement de la publicité, financée par les fabricants, ce qui leur confère un pouvoir encore considérable.

C’est tout naturellement suite au développement de ce type de vente que le discount émerge peu à peu, suite à la grande dépression aux Etats-Unis : l’objectif est de proposer au consommateur les prix les plus bas possible, un service minimum et une mise en scène des produits minimaliste, ce qui contraste fortement avec les grands magasins.

B/ Développement de nouvelles formes de distribution à partir du milieu du 20e siècle

L’avènement de la société de consommation accélère le processus

Les aspirations des Français à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale sont conjointes aux changements qui frappent les circuits de distribution. Après la Seconde Guerre Mondiale : « Les classes moyennes tâchent de se rapprocher de la bourgeoisie en soignant leur tenue. En cela, elles sont favorisées par des changements dans les circuits de distribution. Les magasins à succursales se multiplient et concurrencent le petit commerce qui reste, cependant, largement dominant. Le mouvement coopératif et mutualiste a lancé ce nouveau mode de distribution dans le but de vendre à plus bas prix. »

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, la France bascule dans la société de consommation. Le système de production et de distribution s’oriente vers la satisfaction ou la création de ces nouveaux besoins en élaborant des outils de plus en plus sophistiqués (crédit, marketing, publicité) qui, à leur tour, deviennent des moteurs de la société de consommation.

Naissance de la grande distribution

Une mutation profonde du comportement d’achat des Français est en train de s’opérer et, nécessairement, les circuits de distribution doivent s’adapter. C’est à Sainte-Geneviève des Bois que se crée le premier supermarché sur plus de 2500 m2. Les économies d’échelle réalisées par les distributeurs, la pratique de prix plus bas que les petits commerces traditionnels, vont enclencher un processus de modification du paysage commercial en France. L’innovation de Carrefour est de mixer à la fois le discount et le libre-service : proposer en un même lieu, des produits en libre-service à bas prix. Pour cela, il faut de très grandes surfaces de vente, qu’il n’est possible de construire, à bas prix, qu’en périphérie des villes. Or, attirer les consommateurs, loin de leur domicile, oblige ces grandes surfaces à proposer des parkings spacieux et accessibles et des prix plus qu’attractifs. Le prix devient d’ailleurs le fer de lance de ces hypermarchés, puisqu’attirer les consommateurs hors des villes, est une véritable gageure. Pour faire baisser les prix et augmenter leur pouvoir de négociation, les hypermarchés se regroupent donc à travers de puissants mouvements d’indépendants (Leclerc, Intermarché, Système U…).

Impact sur le mode de consommation des Français

Or, de très nombreuses références ou très nombreux produits proposés sur un même lieu ont modifié profondément les habitudes de consommation des Français.

Dans les années 80, nous assistons à l’essor encore plus poussé de la grande distribution alimentaire suivie de près par la distribution non-alimentaire proposant aux consommateurs, une gamme large et profonde de produits. En 1994, 33% des achats de produits alimentaires et non-alimentaires sont réalisés en hyper et supermarché. En 1992, les cinq premières enseignes de distribution représentaient 55.7 % du total des achats, en 2000 plus de 80 %. Le nombre d’épiceries – alimentation générale - a été divisé par six en trente ans. La distribution a donc un poids économique renforcé par rapport aux producteurs, spécialement dans les secteurs où ceux-ci ne sont pas concentrés, comme nous le verrons plus loin.

Cet appareil commercial a connu cependant de nouvelles mutations au cours des vingt dernières années.

C/ Un appareil commercial en pleine mutation

Les innovations évoquées ci-dessus dans le développement des circuits de distribution en France et dans le monde ont abouti au commerce de détail tel qu’il existe aujourd’hui dans de nombreux pays industrialisés. Or, au cours des dernières années, de nouvelles formes de vente ont émergé et sont en train de modifier profondément les rapports entre fabricants, distributeurs et consommateurs.

Le hard-discount

La première innovation est le hard discount. C’est l’enseigne Aldi, lancée par les frères Albrecht, en Allemagne, juste après la Seconde Guerre Mondiale, qui est précurseur de ce mouvement. Le principe consiste, pour les magasins, à se trouver à proximité du domicile des habitants, pour cause de législation allemande contraignante (fermeture imposée des magasins à 18 heures en semaine et le samedi après-midi). Ces magasins, qui doivent par conséquent être implantés en milieu urbain, ne peuvent pas bénéficier de surfaces commerciales aussi imposantes que celles d’un grand hypermarché. La construction de magasins de moyennes surfaces (400 m2 environ) à dominante alimentaire, ne proposant qu’une seule référence par article, s’est alors imposée.

L’aménagement de ces magasins est rudimentaire, pour cause de moindre coût, le nombre de références y est réduit. Les prix proposés sont inférieurs de 20 à 30% à ceux d’une autre grande surface alimentaire et chaque produit fait l’objet de sélections rigoureuses et d’un cahier des charges contraignant. De nombreux concurrents ont ensuite emboîté le pas à Aldi en Europe (Lidl, Norma, Netto …). En France, en l’an 2000, ce type de commerce représente 10% des ventes au détail de produits alimentaires. Le développement des hard discount a été favorisé au cours des dernières années grâce à la loi Galland, qui a favorisé la hausse des prix des produits de grandes marques, tout comme le passage à l’Euro en 2002. La part de marché des hard discounters se situe à 14% fin février 2008 et a explosé au cours de l’année 2009, avec pour objectif d’atteindre 20% dans les prochaines années, favorisée probablement par l’arrivée massive de marques nationales dans leurs rayons.

Le convenience store

Le convenience store permet au consommateur de se procurer à toute heure du jour ou de la nuit les produits de première nécessité qui lui font défaut, ce qui est son avantage principal. Les prix qui y sont pratiqués sont relativement élevés, pour cause de frais de personnel élevé et de coût du service. Ce type de magasin ne représente qu’une très faible part de l’appareil commercial français, contrairement à l’Amérique du Nord où ce type de magasin dépanneur est très répandu. En France, on trouvera des petits commerçants indépendants à Paris ou dans les grandes villes, ou des associations ponctuelles entre des compagnies pétrolières et des distributeurs alimentaires (BP et Carrefour…) .

La grande surface spécialisée

La spécificité des grandes surfaces spécialisées est de proposer un large assortiment de produits dans une catégorie donnée (habillement, sports, électroménager, loisirs et culture….).

Des enseignes telles que Décathlon, Kiabi, Cultura, Leroy Merlin, Boulanger en sont de parfaites illustrations. Le consommateur y trouvera conseils, choix et des prix raisonnables, dans la moyenne du marché.

Le category killer

Apparue aux Etats-Unis au début des années 1980, le category killer est une grande surface spécialisée qui propose des produits de qualité à des prix agressifs et concurrentiels. Leur succès réside dans une logistique efficace, alliée à une concentration massive des achats. Une réduction drastique des coûts leur permet de pratiquer des prix inférieurs de 20 à 30% par rapport à leurs concurrents.

Bricodépôt (Castorama), en France en est la parfaite illustration, suivi de près par Bricoman, émanation de Leroy Merlin.

Le discount store

Le discount store est un hypermarché pratiquant des prix équivalents à ceux d’un hard-discount. C’est Walmart qui fut le précurseur en la matière aux Etats-Unis. C’est grâce à une maîtrise totale de sa chaîne logistique, du système d’information à l’approvisionnement de ses points de vente, qu’il s’est taillé un succès incontestable dans sa catégorie.

Le megastore (ou magasin amiral ou navire amiral)

C’est une des dernières innovations au niveau des points de vente. Un mégastore ou magasin amiral, traduction littérale de l’anglais flagship store, consiste à proposer, en un même lieu, aux clients, un large choix en matière de produits, de services mais aussi de plaisirs, de dépaysement, d’attractions et animations. Réservée et développée tout d’abord par les grands centres commerciaux tels que nous les connaissons en banlieue parisienne ou dans quelques villes de province, pour n’évoquer que la France, et qu’illustrent parfaitement le centre commercial Val d’Europe (Serris, 77) ou le tout récent Odysseum (Montpellier, 34), les megastores ont pour objectif de distraire leurs clients au cours d’un laps de temps le plus long possible, afin de développer leur chiffre d’affaires de façon conséquente.

Ainsi, les circuits de distribution, d’abord parsemés, constitués de petits indépendants, ont, peu à peu, engendré, en l’espace d’un siècle et demi, un appareil commercial extrêmement organisé, concurrentiel et encore en plein essor.

Or, l’organisation progressive de ces circuits de distribution des produits a entrainé des luttes de pouvoir entre fabricants ou producteurs et distributeurs, comme nous allons le voir ci-après.

 II. ….qui a entraîné des luttes entre producteurs et distributeurs ….

Si les intérêts des industriels et des distributeurs convergent vers le développement des marchés, c’est-à-dire l’efficacité de la filière du producteur au consommateur, ils divergent cependant sur de nombreux points, et notamment sur la prise de pouvoir des uns et des autres, ou des uns par rapport aux autres, comme nous allons le voir, à travers les différentes théories développées ci-dessous.

A/ Les théories de Galbraith, Stigler, Porter et Steiner, entre 1950 et 1990

Théorie de Galbraith (1952) : le « countervailing power »

Si on suit la théorie de l’économiste américain John Kenneth Galbraith, les distributeurs ont un fort pouvoir sur les producteurs, par l’intermédiaire du marché, à savoir, leurs clients, et grâce à leurs achats à moindres coûts, ils en font profiter ces derniers.

Le « countervailing power » est donc la capacité des distributeurs à limiter les profits des fabricants, de par leur forte puissance d’achat. En effet, la part de marché des distributeurs dans le chiffre d’affaires d’un producteur leur confère un pouvoir sur ce dernier, ce qui le réduit à accepter leurs conditions de négociation et à accepter leurs conditions tarifaires. Pour se défendre, les producteurs tentent alors de garder le pouvoir sur des organisations de petits détaillants qui dépendent d’eux ou choisissent une autre option qui est d’intégrer totalement le circuit de distribution de la production à la consommation : les producteurs tentent de devenir distributeurs à leur tour.

Cependant, même si Galbraith est un éminent économiste, certains de ses congénères ont vivement critiqué sa théorie, dont J. Stigler.

Le point de vue de Stigler

Selon Stigler, Galbraith n’explique pas sa théorie autrement que par des faits évidents. Les distributeurs et les producteurs ne seraient pas aussi liés, sauf dans le cas d’un monopole détenu par un distributeur.

En outre, les distributeurs n’ont pas pour objectif final d’améliorer le pouvoir d’achat des consommateurs mais de réaliser du profit. Quant aux relations producteurs et distributeurs, Stigler contredit Galbraith et souligne d’une part, que de grandes chaînes se sont formées dans des secteurs où les fabricants n’ont pas atteint un niveau aussi élevé de concentration (médicaments, habillement, chaussures...) et que d’autre part, elles ne se sont pas constituées dans des secteurs où la concentration des fabricants est très élevée (produits de pétrole, cigarettes, produits du pétrole). Les grandes chaînes ne se sont pas attaquées aux secteurs dans lesquels elles risquaient de rencontrer de fortes résistances.

Cependant, la théorie de Stigler a ses limites : il n’a qu’un seul argument pour contester la théorie de Galbraith et cet argument est fragile.

L’avis influent de Porter

Tout comme Stigler, il récuse le fait que la concentration des distributeurs serait due à la concentration des fabricants. Selon lui, de nombreux autres facteurs expliquent l’origine et le développement de grandes chaînes de distribution, dont les caractéristiques des produits qui influencent le comportement d’achat du consommateur.

Par contre, comme Galbraith, il admet le fait que le pouvoir des distributeurs limite le profit des producteurs, mais plus à leur capacité de pouvoir différencier leur offre que par leur concentration.

Le pouvoir des distributeurs réside dans le fait que ces derniers peuvent contrôler tous les éléments ayant une forte influence sur le comportement d’achat des consommateurs : image de marque du point de vente, son environnement commercial, les services offerts. Le contrôle exercé sur ces facteurs endogènes extrêmement importants leur permet de réduire notablement les profits des fabricants.

Selon Porter, pour les produits vendus en grande surface alimentaire, c’est la communication publicitaire réalisée par les fabricants qui est déterminante, tandis que dans les chaînes spécialisées, ce sont les distributeurs qui communiquent et qui ont le rôle déterminant. En outre, la possibilité de différenciation des distributeurs alimentaires est faible, donc leur pouvoir est basé sur leur structure, leur implantation et leur capacité à être présent dans de nombreux endroits, en touchant un très grand nombre de consommateurs potentiels.

Pour les distributeurs non-alimentaires : ils peuvent se différencier par leurs services, et par leur capacité à vendre un produit d’un fabricant plutôt que celui d’un autre, ce qui oblige ces derniers à être très convaincants, par tous moyens pour faire vendre leurs produits plutôt que ceux d’un autre. De plus, les marques de distributeurs et les marques non soutenues par la publicité nationale confèrent aux distributeurs d’autres pouvoirs, notamment celui de la différenciation, face aux fabricants. Ces pouvoirs sont moindres vis-à-vis des grandes marques.

L’innovation dans la théorie de Porter a consisté à mettre en avant la capacité des distributeurs à se différencier tant dans les produits offerts à la convoitise des consommateurs que dans les services accompagnant la vente de ces produits, ce qui représente des avantages par rapport aux fabricants, surtout dans les secteurs non alimentaires.

Ces travaux de Porter seront développés de façon encore plus approfondie par la suite, par les économistes industriels et les chercheurs en marketing des canaux de distribution.

Les apports de Steiner

Assez proche de la théorie de Porter, contemporain de ce dernier, Steiner le rejoint sur le fait que la différenciation de la distribution se base sur l’image et la notoriété des magasins et sur leur localisation unique, tout comme sur le fait que les distributeurs peuvent diminuer, à leur avantage, les marges des fabricants.

En augmentant la différenciation d’un point de vente, on réduit celle des marques des fabricants, comme en augmentant celle d’une marque, on diminue celle d’un magasin. Le pouvoir des fabricants et des distributeurs se mesure donc par la propension de consommateurs disposés à changer de point de vente plutôt que de marque, si celle-ci n’est pas disponible dans un magasin. « Si les consommateurs sont plus disponibles à changer de marques à l’intérieur du magasin plutôt que de magasin au lieu de la marque, les distributeurs dominent les fabricants. ».

Les marges des uns et des autres vont de pair avec le pouvoir de l’un exercé sur l’autre ou vice-et-versa. Il est important de souligner que si les fabricants investissent dans des campagnes de communication de façon conséquente, le pouvoir penche en leur faveur, du fait de leurs marges qui sont largement plus élevées que celles des distributeurs.

Plus les marques bénéficient de communication, plus elles doivent impérativement être présentes dans les linéaires des distributeurs et plus ces derniers sont obligés de se battre entre eux sur les prix de ces produits, contribuant à une baisse de leurs marges, donc à leur perte de pouvoir. Cette concurrence ne peut être contrebalancée que si les marques se concurrencent entre elles. C’est alors que les marques de distributeurs jouent tout leur rôle en tant que concurrentes sérieuses.

Pour conclure sur la théorie de Seiner, celui-ci, plus encore que Porter, approfondit le rôle de la publicité comme source de pouvoir pour les fabricants et des marques de distributeurs pour ces derniers.

B/ Les théories des 20 dernières années, 1990/2010

Les théories des économistes industriels

Thomas von Ungern Sternberg (1996) a analysé le concept de contre-pouvoir : dans un premier temps, inspiré du modèle de Nash, selon lequel si les négociations échouent, chacun, fabricant et distributeur, peut, en fait, malgré tout, en tirer un certain profit dit « de réservation » ou « statut quo ».

Si le pouvoir de négociation est identique pour les deux protagonistes, l’issue des négociations dépend essentiellement du nombre des acteurs sur le marché de la distribution. Ainsi, d’après von Ungern Sternberg, le prix payé par les acheteurs d’un produit sera alors fonction de leur concentration. Moins ils seront nombreux, meilleures seront les conditions obtenues dans le cadre de la négociation, ce qui rentre dans le cadre du contre-pouvoir des distributeurs face aux fabricants.

Cependant, si les distributeurs agissent de concert pour faire baisser les prix d’achat auprès du fabricant, le fait qu’il y ait un petit nombre de distributeurs doit aller dans le sens de la baisse du prix au détail. Or, selon Cournot, dans le même cas, les distributeurs sont maîtres du prix de vente au détail et peuvent donc le fixer à leur guise, annihilant l’effet de concurrence, ce qui est le plus souvent le cas dans la réalité. Ils auront ainsi limité les profits des fabricants sans pour autant en faire profiter les consommateurs, donnant ainsi tort à Galbraith.

Les concentrations des distributeurs ne sont donc pas favorables aux consommateurs.

Quant à Paul Dobson et Michel Waterson (1997), ils rejoignent tous deux Thomas von Ungern Sternberg, sauf sur un point, celui de la concurrence entre les distributeurs.

Selon ces derniers, le pouvoir des consommateurs est prépondérant, sachant qu’ils peuvent faire jouer la concurrence entre les distributeurs : ce sont donc les prix qui jouent dans la décision des consommateurs.

Des théories plus récentes montrent cependant que la concurrence entre distributeurs joue de façon prépondérante, malgré une concentration élevée et une différenciation marquée de leur offre car d’autres facteurs tels le pouvoir de la demande des consommateurs, leur sensibilité au prix, les caractéristiques des produits, l’existence de produits de substitution, les barrières à l’entrée, la multitude des acteurs avec des objectifs, des stratégies et des structures organisationnelles différentes entrent en compte (Demsetz 1997, Hunt 2000). Il a été également prouvé que les entreprises qui croissent, réalisent des économies d’échelle, qui elles-mêmes engendrent des gains de coûts, dont les consommateurs peuvent profiter (Allain et Chambolle 2003, Bétancourt 2005).

Pouvoir et contre-pouvoir dans les approches marketing des canaux : les distributeurs ont accentué leur pression sur les fabricants en intégrant la chaîne logistique

Depuis une vingtaine d’années, la grande distribution s’est dotée d’outils logistiques performants en développant des entrepôts et des plateformes à la mesure de leurs besoins pour concentrer les livraisons des fournisseurs et les répartir de façon optimale entre leurs différents magasins (Fernie 1992 et 1997).

Les distributeurs tendent ainsi à contrôler toute la chaîne logistique du produit, de son départ de chez le fabricant à son arrivée entre les mains du consommateur. Cela leur donne un avantage concurrentiel certain sur leurs fournisseurs et renforcent donc leurs pouvoirs sur ces derniers. Le développement des MDD par les distributeurs a contribué à renforcer leur contrôle sur leurs fournisseurs, voire à, peu à peu, remplacer ces derniers, en les intégrant de façon verticale.

La rareté et le contrôle du linéaire renforcent le contre-pouvoir des distributeurs. Ces derniers ont, en effet, intérêt à ne jamais être en rupture de stock des produits des grandes marques nationales, sous peine de voir les consommateurs déserter leurs rayons (Porter et Steiner). Cela va donc accroître la concurrence sur les prix et donc une baisse des marges des petits détaillants (Farris et Albion). Pour sauvegarder leur marge, les distributeurs auront, en outre, tendance à allouer à leurs MDD des places plus favorables qu’aux marques nationales dans leurs rayons (Corstjens et Corstjens, 1995).

De plus, par le biais de contributions versées par le fabricant au distributeur pour rétribution de services, telles que la mise en avant, réelle ou fictive, de ses produits en linéaire (Shaffer, 1999), les distributeurs vont pouvoir ainsi, récupérer de la marge (dite marge arrière).

Pour les produits moins connus, à plus faible rotation, les fabricants doivent accorder des avantages conséquents aux distributeurs, notamment des objectifs de vente à atteindre, sous peine de déréférencement du linéaire, ce qui favorise une féroce concurrence entre fabricants, et donc des conditions de vente de plus en plus compétitives pour garder sa place en linéaire.

Si la grande distribution semble détenir le pouvoir face aux industriels, cette lutte perpétuelle entre eux semble être toutefois favorable aux consommateurs. En effet, les conditions de vente draconiennes imposées aux fabricants par les distributeurs a pour but final de conquérir les consommateurs. Finalement, cela contribue à accroître le pouvoir d’achat de ces derniers, suite à une concurrence féroce des distributeurs entre eux. Or, pour survivre, fabricants et distributeurs devront s’allier et coopérer dans leur intérêt afin de conquérir le consommateur, il s’agira alors de coopétition, ce que nous verrons dans un autre développement.

 Bibliographie

La Consommation, Fabrice Nodé-Langlois et Laurence Rizet, Marabout, le Monde Poche, collection Synthèse, 1995.

L’envol des marques de distributeurs une opportunité pour beaucoup d’industriels, Philippe MOATI, Consommations et Modes de vie, n°211, CREDOC, 10 mai 2008

La distribution : organisation et stratégie, Marc Filser, Véronique des Garets, Gilles Paché, Les essentiels de la gestion, Editions Ems Management et société, 2001.

Management de la distribution, 2e édition, Gérard Cliquet, André Fady, Guy Basset, Editions Dunod, Octobre 2006.

Le contre-pouvoir de la distribution : une synthèse des théories économiques, stratégiques et de marketing des canaux, Enrico Colla, Comindus, 1re journées de recherches Relations entre Industries et Grande distribution alimentaire, 29 mars 2007, Avignon.

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Jeu pour les fabricants, set pour les distributeurs, Match en faveur des consommateurs ?

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