La réforme des institutions françaises - La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008

, par Yvan Potin

La France contemporaine a connu un grand nombre de régimes politiques et de Constitutions différentes. Certaines d’entre-elles n’ont eu qu’une existence théorique (ex : Constitution de 1793), d’autres une existence très brève (Constitution de 1848, abrogée dès 1852, ou celle de 1946, remplacée par la Constitution actuelle après seulement douze années), la Constitution de 1958 peut, quant à elle, s’enorgueillir d’une longévité remarquable.
Si elle a connu vingt-trois révisions, il faut admettre tout d’abord qu’un tiers de ces révisions résulte du choix de la France de s’engager internationalement. Ensuite, deux autres révisions ont pu être qualifiées de « matérielles » à défaut d’être véritablement « substantielles » (objectif de parité, charte de l’environnement) et relevant du « spectacle politique » qui vise à satisfaire le goût du moment.
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 s’impose comme une révision plus profonde et plus large en témoigne notamment le scellement de la loi par le Grand sceau de France le 1er octobre 2008.

 I. Les origines de la réforme

L’idée d’une révision d’ensemble de la Constitution de 1958 n’est pas nouvelle. On est ainsi tenté de penser à l’ensemble de la réflexion juridique et politique qui existe depuis le milieu des années 70. Aujourd’hui, la célébration du cinquantenaire de la Ve Constitution s’impose comme une symbolique et renouvelle la question de cette modification. En tout cas, il donne le ton et incite à la réflexion. Au-delà de cette image emblématique, il existe évidemment d’autres raisons à ce désir de rénovation. Certaines sont profondes, d’autres s’inscrivent dans le temps.

A. La cause profonde : le contrôle du pouvoir

1. Réflexion de départ

« Le problème politique par excellence n’est pas tant la question de savoir qui détient le pouvoir, mais du moyen de contrôler et de limiter celui-ci. Le bon gouvernement ne se juge pas à l’aune du petit ou grand nombre de ceux qui le possède mais du petit ou du grand nombre de choses qui leur est autorisé de faire. » Norberto Bobbio, Libéralisme et Démocratie, Paris, 1996

Dans la pratique médiévale, le Roi, autorité suprême n’était pas livré totalement à son bon plaisir. Il était redevable devant le tribunal feudataire auquel il fallait rendre compte dans le cadre du contrat vassalique. Dans l’étude de Montesquieu, c’est la coexistence de différents pouvoirs qui permet de réaliser le contrôle de l’un par l’autre. Dans l’idée démocratique, on a recours notamment à la responsabilité des délégataires (les élus) face à leurs mandats par lesquels ils sont révocables itérativement.

2. Les instruments du contrôle du Pouvoir : un état des lieux inquiétant !

La séparation des pouvoirs
« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a pas de constitution. » Déclaration des droits - 1789 A ce principe d’opposition du Pouvoir par le Pouvoir, on peut à regret déjà objecter le fait que le chef de l’exécutif choisisse son Gouvernement dans la majorité parlementaire, c’est-à-dire au sein du législatif. Mais ce « détail » relève plus de la tradition que de nos Constitutions.
Un comble est atteint avec l’article 43 de la Constitution qui accorde le pouvoir ordinaire de légiférer au Gouvernement même si ce pouvoir se voit très limité.
On peut ensuite souligner la naissance du droit administratif. Selon Jean-Louis MESTRE (Introduction historique au droit administratif français – Paris, 1985), « L’existence d’un droit administratif en France est généralement présentée comme une conséquence de la Révolution française de 1789 » et donc une réaction à la séparation des pouvoirs. En créant une juridiction administrative distincte de la juridiction judiciaire, on a créé un nouveau droit détaché du droit civil – du droit commun – procurant à l’administration un pouvoir parfois exorbitant.
Enfin, on peut encore s’interroger sur cette phrase de Gianluigi Maltagliati : « La loi ordonne, le règlement dispose ! ». Par là, on peut comprendre que la loi d’ordre général n’est appliquée que par les règlements qui précisent les dispositions particulières. C’est ce que Denis Baranger dénonce en invoquant la notion de « gouvernement par la législation » (Revue de droit public – 1996 – Le Gouvernement par la législation).
On constate donc par ces exemples que le principe de la séparation des pouvoirs n’est qu’une chimère qui s’étiole finalement assez facilement.

Un gouvernement représentatif
L’affirmation de principe du Gouvernement représentatif est la dépendance du pouvoir par rapport à la sanction populaire. Celle-ci s’exprime nettement dans le régime parlementaire par la prééminence du Législatif, de la représentation nationale, principe de départ qui a été progressivement renversé dans son cours historique en une suprématie incontestable de l’exécutif.

La responsabilité des dirigeants et des agents publics
Selon Alexis de Tocqueville, « Le droit de poursuivre les agents du pouvoir devant la justice, ce n’est pas une partie de la liberté ; c’est la liberté même, la liberté dans ce qu’elle a de plus clair et de plus tangible. »
Si le terme de responsabilité concerne évidemment le commun des mortels, elle devrait s’appliquer bien plus à ceux que l’on nomme parfois « les responsables ». Le problème est celui que nous avons détaillé plus haut et qui repose sur l’existence d’un droit administratif mettant hors de portée du droit commun l’ensemble des agents administratifs. Pour ce qui est des ministres et du Président de la République, là encore, on voit apparaître une juridiction particulière (la Haute Cour de Justice de la République) qui répond au même principe de division du droit.
Enfin, on peut s’inquiéter de la dépendance étroite qui existe entre la magistrature debout – le parquet – et le ministère. Cette dépendance est principalement marquée par le principe de l’opportunité des poursuites.

3. Au final, un contrôle réel ?

Malheureusement, les voies détournées du pouvoir sont nombreuses, les collusions entre autorités toujours possibles et la pratique électorale elle-même difficilement contrôlable. Même le contrôle populaire est une illusion : la démagogie et la persuasion clandestine, alliés aux puissants moyens de communication, montrent l’emprise du pouvoir sur l’esprit de ceux-là même qui devraient le contrôler.
De plus, on a tendance à suivre l’idée selon laquelle, si l’élite dirigeante résulte du choix de la population, par le biais du suffrage universel, tout est dit ! Du moment que l’on s’éloigne de l’Ancien régime ou des tyrannies modernes, la question du contrôle du pouvoir semble s’effacer.
Enfin, tout le monde convient aujourd’hui, que le monde moderne impose l’utilisation de moyens d’action pour le Gouvernement de plus en plus étendus (mondialisation, construction européenne…).

Le Pouvoir ne semble donc pas suffisamment contrôlé et les dérives conduisent à s’interroger sur des solutions envisageables.

B. Les causes temporelles : les aléas politiques

1. Une Constitution remise en cause dès ses débuts

Adoptée par le peuple français à 80 % des suffrages exprimés, la Constitution de 1958 a, dès ses débuts été rejetée par la gauche communiste et par certaines personnalités indépendantes comme Pierre Mendès-France et François Mitterrand qui prescriront le « non » au référendum du 28 septembre 1958. La contestation s’étendra à toute la gauche après l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel direct en 1962.
Dans le Programme commun de gouvernement de la gauche adopté en 1972, les signataires s’engagent entre autres à introduire le quinquennat présidentiel et à renforcer les droits du Parlement.
Cette opposition radicale à la Constitution s’affaiblit sinon disparait avec l’élection de 1981. C’est au cours de son second septennat que François Mitterrand entama finalement un processus de révision. En 1992, un Comité consultatif pour la révision de la Constitution, placé sous la présidence du doyen Vedel est formé. Le rapport du Comité (15 février 1993) propose les thèmes principaux suivants : un exécutif mieux précisé, un Parlement plus opérant, un citoyen plus présent. Ce Comité était-il visionnaire ou la réforme de 2008 s’est-elle inspirée largement de ces idées ?
Le président de la République a repris de nombreuses suggestions du comité dans deux projets de loi constitutionnelle déposés au Sénat le 10 mars suivant, l’un sur l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics, et donc l’équilibre des institutions, l’autre sur les droits et garanties reconnus aux citoyens et les organes - Conseil constitutionnel, Conseil supérieur de la magistrature, Haute Cour - qui en sont chargés.
A la suite des élections législatives et du changement de majorité, le gouvernement d’Edouard Balladur n’inscrivit pas à l’ordre du jour des assemblées le projet de loi relatif à l’organisation des pouvoirs publics. En revanche, le projet modifiant les titres VII, VIII, IX et X de la Constitution fut profondément modifié par le Sénat, avant d’aboutir à la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993.

2. La remise en cause progressive du parlementarisme rationnalisé

Le concept de « parlementarisme rationalisé » a été évoquée pour la première fois par le constitutionnaliste russe Boris Mirkine-Guetzevitch pour signifier les Constitutions caractérisées par la codification juridique des rapports politiques d’un régime parlementaire. On utilise maintenant cette expression pour définir les régimes parlementaires organisés de manière à éviter l’instabilité ministérielle chronique. Ce type de régime s’est progressivement établi au Royaume-Uni à partir de la fin du XVIIIe siècle, d’abord sous la forme dénommée dualiste, où la souveraineté est partagée entre le monarque et le Parlement, le gouvernement devant avoir le soutien des deux, puis sous forme moniste, avec l’effacement progressif du monarque.

Le même modèle s’est répandu en Europe au cours des XIXe et XXe siècles. Il est apparu dans certains pays où les gouvernements étaient fréquemment renversés. La IVe République française, ou la République italienne jusqu’à la réforme électorale de 1993 ont été des exemples remarquables de cette situation, qui risque de paralyser l’État, particulièrement en situation de crise (pour la France, le péril montant représenté par l’Allemagne dans les années 1930, ou les crises de la décolonisation après guerre).
Le parlementarisme rationalisé allemand a montré sa valeur dès ses débuts, en particulier grâce à l’instauration d’une procédure de motion de censure constructive, qui n’admettait le renversement du chancelier que si une majorité d’opposition structurée et cohérente parvenait à monter un projet politique crédible.

La Ve République est devenue stable et son efficacité s’est faite au prix d’un bouleversement radical de la tradition constitutionnelle française, en particulier celle qui s’est établie suite aux lois constitutionnelles de 1875. Le parlementarisme rationalisé de 1958 devait redonner à l’exécutif de réels moyens de défense face au Parlement. Le renforcement de l’exécutif a surtout été permis par la démarcation draconienne du domaine d’action du Parlement. Enfin, le conseil constitutionnel apparaît comme l’un des instruments de la rationalisation en ce qu’il assure la défense de l’objectif des constituants et évite que la pratique politique ne vienne rendre inefficaces les tentatives de stabilisation.

Le déséquilibre entre le Parlement et le Président de la République était certes présent dès l’origine avec le parlementarisme rationalisé de 1958, mais il a été accentué par la révision de 1962, avec l’élection du Président de la République au suffrage universel, et par l’instauration d’une « monarchie aléatoire », laissant place à d’éventuelles cohabitations (selon Jean-Marie Denquin, constitutionnaliste).

Depuis la révision de 2000, il n’y a plus de cohabitations possibles et nous sommes passés à une nouvelle phase, l’hyper présidentialisation du régime.

3. Un changement devenu inévitable

Les prémisses :
Des événements ont su marquer de façon très évidente le départ du changement. La dissolution de l’Assemblée nationale en 1997, les élections régionales de 2004 et le référendum de 2005 font parti de ces signes.
D’une manière générale, la remise en cause permanente de certains piliers de la Constitution ont permis également de ressentir ce besoin d’innovation. Ainsi, l’article 49 alinéa 3, même s’il n’a été utilisé que 82 fois dans l’histoire de la Ve Constitution, il l’a été qu’une seule fois au profit de l’Assemblée nationale (motion de censure adoptée contre le Gouvernement Pompidou). Le Parlement a pu alors souvent être qualifié de simple « chambre d’enregistrement » réduisant ainsi son véritable rôle à peau de chagrin.
Le statut pénal du Président de la République a également tardé à être fixé et a laissé une impression négative aux yeux des citoyens ne comprenant pas ce décalage.

Les évidences :
C’est tout d’abord la mise en oeuvre du quinquennat et la permutation du calendrier électoral qui ont depuis 2002 intimement lié le sort politique du Président de la République et de sa majorité. Le pouvoir présidentiel s’en est trouvé de facto renforcé. Le rétablissement de l’équilibre en revalorisant les droits du Parlement devenait donc inévitable.
C’est ensuite l’année 2007 qui s’est présentée comme le déclencheur final. Année électorale, elle a vu se succéder élection présidentielle et élection législative avec un thème commun pour l’ensemble des partis politiques : « les institutions de la République ». Tous visaient un objectif commun : réconcilier les français avec la démocratie !

Résolument poussée en avant par les évènements, la réforme des institutions françaises semblait inéluctable pour tous.

 II. Les objectifs généraux de la réforme

Le 12 juillet 2007, le Président de la République prononce à Épinal un discours, laissant croire au pendant de l’historique Discours de Bayeux, dans lequel le général de Gaulle donna le 16 juin 1946 sa vision des institutions françaises. Le ton est donc donné : la réforme sera profonde mais n’enlèvera rien à l’identité originelle de cette Ve Constitution.
C’est le comité Balladur qui a effectué le travail préparatoire de réflexions et de propositions (rapport rendu le 29 octobre 2007). A ce stade déjà se dégagent trois grandes idées : un exécutif mieux contenu, un Parlement aux pouvoirs renforcés et de nouveaux droits pour les citoyens. Ils seront repris dans la loi constitutionnelle de 2008. Parmi les innovations, la question préjudicielle de constitutionnalité peut tout particulièrement retenir notre attention.

A. Des objectifs généraux

Déjà présentés dans le rapport du Comité présidé par le doyen Vedel en 1993, les objectifs généraux de la réforme 2008 ne s’en éloignent que de peu et s’articulent autour de trois points.

1. Un exécutif mieux contenu

Le statut présidentiel est organisé par la limitation du nombre de mandats à deux et par la mise en place d’un nouveau droit de message : le président peut s’adresser directement aux parlementaires réunis en Congrès. Un débat peut suivre cette intervention hors la présence du Président, mais il ne peut s’achever par un vote.
Certains pouvoirs sont limités : le droit de grâce est restreint à sa dimension individuelle, le président ne préside plus le CSM, les nominations s’effectuent après avis des commissions parlementaires qui peuvent accessoirement s’opposer à celles-ci à la majorité des 3/5e. Enfin en cas de recours à l’article 16, le Conseil constitutionnel peut être saisi trente jours après son entrée en vigueur afin de trancher sur le point de savoir si les conditions du recours à l’article sont toujours présentes. Trente jours plus tard le Conseil peut s’autosaisir.

2. Un parlement renforcé

Le renforcement de la fonction législative
Ce sont d’une part, les pouvoirs du parlement qui sont étendus, d’abord au niveau de l’initiative puisque l’ordre du jour est dorénavant réparti entre l’exécutif et le législatif ensuite au niveau de l’adoption puisque l’article 49 alinéa 3 voit son utilisation restreinte à un seul texte par session.
Mais c’est aussi la procédure législative qui est dépoussiérée sur deux points : tout d’abord, le travail en commission est conforté. En effet, la discussion en séance se fait dorénavant sur le texte que la commission a élaboré et non plus sur celui du gouvernement. D’autre part, l’information des parlementaires est intensifiée par des études d’impact et des avis qui accompagneront les projets de loi.

Le renforcement du contrôle
Il apparaît dans la diversification des domaines du contrôle. Ainsi, les interventions militaires devront être approuvées par le parlement au bout de quatre mois. De plus, les politiques publiques pourront être évaluées.
L’enrichissement des instruments du contrôle participe également de ce renforcement. Ainsi, les débats sont désormais organisés par la Constitution, des résolutions peuvent aussi être adoptées dans tous les domaines. Enfin et surtout, l’opposition bénéficiera d’un statut.

3. Des citoyens plus présents

La France de 2008 n’est plus la France corsetée de 1968, dans laquelle le citoyen s’en remettait entièrement à ses élites pour gouverner le pays. Sans toutefois empiéter sur la légitimité des mécanismes de représentation politique, il convenait donc d’octroyer de nouveaux droits aux citoyens.
Leurs droits sont mieux garantis par l’exception d’inconstitutionnalité et par la création du défenseur des droits. En outre, ils peuvent mieux concourir au fonctionnement de l’Etat à travers le référendum d’initiative populaire et la possibilité de saisir plusieurs institutions : le défenseur des droits, le Conseil économique, social et environnemental ainsi que le Conseil supérieur de la magistrature.

B. Une innovation majeure : la question préjudicielle de constitutionnalité

Pour Hans Kelsen, « l’ordre juridique est un édifice à plusieurs étages, une pyramide ou hiérarchie formée d’un certain nombre d’étages ou couches de normes juridiques » (Théorie pure du droit, 1934). Cette pyramide présente une dimension capitale car elle atteste que les lois ne portent pas atteinte aux principes garantis par la Constitution. Pourquoi cette proéminence de la Constitution ? Car elle a été démocratiquement plébiscitée par le peuple souverain ; les représentants de ce peuple se doivent donc d’édicter les lois en respectant ces principes. Il existe deux manières de les faire respecter : le contrôle a priori, par une cour constitutionnelle, et le contrôle a posteriori, par les tribunaux. La France, qui n’acceptait que le contrôle a priori, a suivi le 23 juillet 2008 l’exemple de nombreux pays européens ou des Etats-Unis [1] en adoptant le principe de l’exception d’inconstitutionnalité (article 61 de la Constitution).

1. Redonner à la Constitution sa place prééminente

Même si la constitution est au sommet des normes, son rôle important ne semble pas convaincre les particuliers : manque de transparence et de communication dans la procédure devant le conseil constitutionnel, ombre portée par la convention européenne des droits de l’Homme qui est plus médiatisée et qui répond concrètement aux attentes des particuliers ?

Limite dans l’espace :
La saisine du Conseil constitutionnel était optionnelle et dépendait des acteurs politiques qui décidaient de le saisir, ou non, fréquemment par stratégie politique. L’élargissement de cette saisine en 1974 ne peut être considéré comme un changement suffisant.
Jusqu’à la réforme du 23 juillet 2008, la France était le seul pays d’Europe à ne pas autoriser ses ressortissants à saisir, directement ou indirectement, le juge constitutionnel pour faire respecter leurs droits fondamentaux.

Limite dans le temps : un contrôle à priori
Seules les lois non encore promulguées pouvaient faire l’objet d’une saisine dans un délai de quinze jours entre son adoption et sa promulgation par le Président de la République au journal officiel.

Limite dans l’action :
Si le Conseil constitutionnel a considérablement étoffé la liste des droits fondamentaux des citoyens, ses méthodes et ses procédures n’ont pas pu évoluer au-delà des limites fixées par la Constitution. Transparence et publicité se sont perfectionnées depuis 1983, mais de nombreuses questions restent en suspens. Ces questions ne sont d’ailleurs pas uniquement théoriques ; en témoignent les décisions respectives du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation sur le statut pénal du président de la République. La décision du Conseil du 22 janvier 1999 n’a pas cessé d’être critiquée, alors que la décision de la Cour de cassation (10 octobre 2001) s’est imposée sur-le-champ. Pourquoi ? Sans doute car la première a été rendue dans des conditions d’opacité totale qui ont donné prise aux doutes quand la seconde était édifiée au grand jour par des conclusions de l’avocat général et un rapport rendus publics.

Enfin, il faut avoir conscience que le citoyen qui n’avait pu faire reconnaître ses droits constitutionnels devant nos juridictions prenait systématiquement le chemin de Strasbourg pour demander à la Cour européenne des droits de l’homme de déclarer que nos lois sont contraires à la Convention européenne parce qu’il ne pouvait pas le faire devant le Conseil.

Au moment de la réforme, les parlementaires ont d’ailleurs rapidement pris conscience de l’importance d’une évolution significative dans ce domaine et les objections sur ce sujet ont été très rares.

2. Un mécanisme « timide » par rapport à ceux mis en place à l’étranger

Le mécanisme est simple : dans le cadre d’un procès, un justiciable va pouvoir demander à la juridiction en charge de l’affaire de soulever la question préjudicielle s’il considère que la loi qui lui est applicable est inconstitutionnelle. Cependant, les règles du jeu semblent limiter un peu ce beau principe.

Intervention du conseil d’Etat ou de la cour de cassation : filtre ou censure ?
La requête effectuée par le justiciable ne parvient pas directement au Conseil constitutionnel. Le juge du fond, après avoir examiné si le moyen est sérieux, non manifestement infondé et s’il conditionne réellement l’issue du litige, doit renvoyer cette question à la juridiction suprême de l’ordre auquel il appartient qui décidera ou non de saisir le Conseil constitutionnel. La pratique apportera une réponse à la qualification de cette procédure : un simple filtre ou une véritable censure ?

Question préjudicielle limitée à la protection des droits fondamentaux
La réforme mise en place se distingue des mécanismes de question préjudicielle de constitutionnalité présents en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Espagne et en Italie. En effet, la mise en œuvre du mécanisme de question préjudicielle de constitutionnalité, tel qu’introduit à l’article 61-1 de la Constitution, est limitée à la protection des droits fondamentaux. Cela conduira à écarter les dispositions relatives à la procédure législative, celles concernant la répartition des compétences entre le domaine de la loi et du règlement ou encore, en principe, les objectifs de valeur constitutionnelle, puisqu’ils ont pour spécificité de ne s’adresser qu’au législateur et de n’être point directement justiciables.

3. Une composition qui souffre de certaines critiques

Pas de légitimité démocratique ni de légitimité tenant aux compétences juridiques
La composition du Conseil constitutionnel français fait régulièrement l’objet de critiques voire de railleries. Celles-ci portent sur deux points : d’une part, la présence des anciens Présidents de la République en qualité de membre de droit, qui constitue une spécificité française au regard de la composition des autres juridictions constitutionnelles ; d’autre part, la nomination des autres membres par des autorités politiques.
Ces facteurs ont longtemps conduit les parlementaires à remettre en cause la légitimité de l’institution. En effet, ils l’ont soupçonnée de partialité en raison d’une supposée gratitude des membres nommés vis-à-vis de leur autorité de nomination.
Autre point, à la différence de certaines Cours constitutionnelles étrangères, aucune formation juridique n’est requise par la Constitution ou la loi organique sur le Conseil constitutionnel pour pouvoir être nommé. Sur ce point, la Cour constitutionnelle française se distingue de quelques unes de ses homologues européennes pour lesquelles les textes exigent une expérience en matière juridique ou au sein d’institutions juridictionnelles. Il s’est avéré, toutefois, qu’en pratique la grande majorité des membres nommés au Conseil constitutionnel avait reçu une formation juridique. De plus, il semblerait également que l’expérience politique des membres du Conseil constitutionnel permette à l’institution de rendre des décisions non déconnectées du contexte politique dans lequel elles s’insèrent.
Pour autant, le dispositif des nominations par des autorités politiques continue de laisser planer le doute sur l’indépendance et l’impartialité des membres du Conseil constitutionnel. Or, dans un contexte d’accentuation des compétences du Conseil constitutionnel comme garant de l’État de droit et du bon fonctionnement des institutions, la nécessité de lever le doute quant à des nominations strictement partisanes ou amicales s’est faite encore plus pressante.
C’est la raison pour laquelle une vérification de ces nominations a été proposée. Concernant les nominations attribuées à la compétence du Président de la République, elles ont été soumises à la nouvelle procédure mise en place par l’article 13 de la Constitution. Une commission permanente au sein de chaque Assemblée sera chargée de se statuer par un avis public sur ces nominations. En cas d’avis négatif émis par une majorité qualifiée de trois cinquièmes des membres de ces commissions, le Président de la République ne pourra pas opérer ces nominations. Cette procédure a évidemment pour objet de restreindre la liberté de choix du chef de l’État et obligera ce dernier à se montrer attentif aux qualifications et expériences des personnes qu’il choisit pour exercer la fonction de membre du Conseil constitutionnel.
Concernant la possibilité pour les anciens Présidents de la République d’être membres de droit du Conseil constitutionnel, nombreux étaient ceux qui revendiquaient la suppression de cette disposition considérée comme une bizarrerie au sein de l’institution. Cette anomalie est amplifiée par la révision constitutionnelle pour deux raisons : d’une part, le nombre de mandats présidentiels est désormais limité à deux, ce qui devrait multiplier le nombre d’anciens Président de la République susceptibles de siéger au Conseil constitutionnel ; d’autre part, avec la juridictionnalisation de l’institution, la présence des anciens Présidents de la République est de nature à décrédibiliser la mission assumée par le Conseil constitutionnel en qualité de garant de l’État de droit.
Pourtant, l’argument souvent exposé pour légitimer la préservation de l’article 56 de la Constitution n’est pas insignifiant. Le Président de la République, lorsqu’il est en fonction, est le premier garant des institutions et de la Constitution. Il est, au premier plan, amené à assurer le respect de celle-ci. Par conséquent, cette présence en tant que membre de droit du Conseil constitutionnel peut se justifier par l’expérience qu’il a de la Constitution et du fonctionnement des institutions.

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« C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ! » - Esprit des lois – XI – 4-6. A cette idée, on peut ajouter que le contrôle du Pouvoir est un éternel combat.
Il est difficile en tout cas aujourd’hui de dire si cette réforme de 2008 va changer les choses de manière importante ou non. En effet, le résultat de ce « toilettage » qui porte sur plus de la moitié des articles de la Constitution, est qu’il peut apparaître comme le verre à moitié plein ou à moitié vide. On peut effectivement se dire que la portée de ces changements dépendra uniquement de la façon dont les acteurs de la vie politique ou les citoyens s’en empareront et en feront usage.

 Bibliographie :

  • La révision du 23 juillet 2008. Temps et contretemps.
    Par Anne Levade – PUF – Revue française de droit constitutionnel - 2009
  • Les institutions de la Ve République
    Par P. Türk – Gualino – Mémentos LMD – 10/10/2008
  • Droit constitutionnel et institutions politiques
    Par J. Gicquel et J.-E. Gicquel – Montchrestien Paris – Collection Domat Droit public 2009
  • Le contrôle du pouvoir
    Par Gianluigi Maltagliati – Fantasques éditions Lyon
  • Le Conseil constitutionnel dans la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 sur la modernisation des institutions.
    Par Marthe Fatin-Rouge Stefanini – PUF – Revue française de droit constitutionnel - 2009
  • Les origines du régime parlementaire en France (1814-1848)
    PUF, Collection – Léviathan, 2002
  • La Révolution des Pouvoirs. La souveraineté, le peuple et la représentation
    Gallimard – 1995

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Notes

[1« Marbury contre Madison » est un arrêt de la Cour suprême des Etats-Unis rendu le 24 février 1803 qui, à bien des égards, semble être le plus important des arrêts rendus par la Cour, non pour l’importance de l’affaire jugée, qui est mineure, mais pour les principes qu’il établit. La cour affirme la capacité, pour les tribunaux et en particulier pour elle même, de juger de la conformité des lois à la constitution et d’écarter, en ne les appliquant pas, celles qui y contreviendraient.

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