Quel avenir pour l’État-Providence ?

, par Laure Bouet

Avant la crise économique et financière de 2007-2009, nous avions assisté à un léger recul de l’État-Providence dans le monde occidental en raison de l’insuffisante efficacité supposée de la gestion publique par rapport à la gestion privée. Cependant, la crise a ramené l’État au devant de la scène en raison de son intervention dans le sauvetage du système financier et de sa mise en œuvre de politiques keynésiennes de relance budgétaire, de nationalisations provisoires dans certains pays, etc. Actuellement, la pression exercée par les trois principales agences de notation américaines (Standard and Poor’s, Moody’s et Fitch Ratings) sur la mesure de la qualité de la dette des États et, notamment des États européens, pousse ces derniers à mener des politiques de contraction des dépenses publiques visant à réduire le poids de la dette publique et, subséquemment, l’intervention étatique. Ces nouvelles circonstances économiques, sociales et budgétaires poussent à nous interroger sur l’avenir du rôle de l’État-Providence dans notre société et sur les évolutions de son intervention. François-Xavier MERRIEN (2007) rappelle que l’État-Providence s’occupe du « bien-être social des citoyens, et non plus seulement de la police, de battre monnaie, de gérer ses relations internationales ou de faire la guerre ». L’État-Providence cherche à pallier les défaillances des solidarités primaires en créant une solidarité objective fondée sur les droits des citoyens et des travailleurs. Au sens large, l’État-Providence désigne l’ensemble des interventions économiques et sociales de l’État. La crise économique et financière conduit-t-elle à un renforcement de l’État-Providence ? Quels sont les obstacles et les objections au renforcement du rôle de l’État ? Quelles sont les évolutions de l’État-Providence ? Cet article cherche à apporter quelques éléments de réponses à ces interrogations en s’appuyant, en grande partie, sur les conférences organisées par le Cercle des Économistes lors des rencontres économiques d’Aix-en-Provence du 8 au 10 juillet 2011 autour du thème « Le monde dans tous ses États ». Ce travail cherche à mobiliser les nombreuses idées développées par des chercheurs, des responsables politiques, des directeurs d’entreprises venus du monde entier faire part de leurs recherches et de leurs visions des grandes évolutions économiques de ces dernières décennies.

Nous aborderons, dans un premier temps, les origines de la remise en cause de l’État-Providence, et, dans un second temps, nous traiterons des principales mutations du rôle de l’État-Providence. Nous nous intéresserons, tout particulièrement, au cas de la France.

 I) La remise en cause de l’État-Providence

A) Une crise de financement

La croissance de l’après-Seconde Guerre mondiale a permis la montée en puissance de l’État-Providence. Or, lorsque la croissance économique s’est ralentie dans les années 1970 alors même que les dépenses sociales s’accroissaient fortement, l’État-Providence est entré en crise, contesté financièrement (creusement des déficits publics), économiquement (pas de réduction des inégalités malgré l’accroissement des prélèvements obligatoires) et culturellement (des individus assistés). Les politiques d’inspiration keynésienne mises en œuvre par Jacques Chirac en 1974 et par Pierre Mauroy en 1981 ont consisté à augmenter les prestations sociales afin de relancer la consommation et l’activité économique, et par là même, de réduire le chômage. Dans les deux cas, les déficits publics se sont accrus et la balance commerciale est devenue déficitaire. L’ouverture croissante de l’économie française et, des économies en général, rend difficile la relance de l’économie par l’accroissement de la consommation, celle-ci profitant en grande partie aux importations. Ces gouvernements ont, par la suite, accru les impôts pour financer la dette publique et ont assisté parallèlement à la montée du chômage. Ce constat d’échec concernant les politiques de relance keynésiennes a eu pour effet de délégitimer les politiques de relance par la demande au profit des politiques de l’offre (abaissement des impôts ou des charges sociales sur les entreprises, etc.). Lors de la crise financière de 2008, les États ont été dispendieux dans l’optique de secourir les organismes bancaires et de relancer la demande des ménages et des entreprises. En effet, le recul de la production s’est amorcé au deuxième trimestre 2008 provoquant une forte hausse du chômage et réduisant d’autant plus les revenus des ménages. La dépréciation patrimoniale et la contraction des revenus de ces derniers, effectives ou anticipées, ont provoqué une baisse de la demande amplifiant la chute des ventes et la réduction de la production. Afin de contrer ce cercle vicieux, les gouvernements, début 2010, ont mis en place des plans de relance qui ont provoqué une dérive des finances publiques dans plusieurs pays. En effet, le niveau de la dette atteint 1692,7 milliards d’euros représentant 86,2 % du PIB. Les finances de l’État français, dans la période qui précédait cette crise financière, reposaient déjà sur un déficit public proche de 3% du PIB et une dette publique de 1211,6 milliards d’euros en 2007 soit 64,2 % du PIB. En parallèle, la France a assisté à une contraction de ses rentrées fiscales en raison de la récession économique de 2009 (le PIB en volume a reculé de 4 % dans l’Union européenne, de 2,2 % en France, de 2,4 % aux États-Unis et de 5,2 % au Japon) et à une explosion des prestations sociales versées. Les craintes liées à un accroissement des dettes souveraines est en train de provoquer un nouvel épisode de crise de financement des États. Thomas SARGENT, en 1986, a prétendu que la dette publique constituait une stratégie de réduction de la taille de l’État car le gouvernement en augmentant la dette obligeait les bénéficiaires des dépenses publiques à accepter à terme une réduction de sa taille. Par conséquent, cette situation montre que la modernisation de l’État débouche sur une réduction des dépenses publiques et donc sur un recul de la présence étatique.

Dette au sens de Maastricht des administrations publiques en point de PIB

La dette de Maastricht des Aides Publiques (APU) en fin de trimestre (en Milliards d’€)

2010 T2 2010 T3 2010 T4 2011 T1 2011 T2
Ensemble des administrations publiques 1591,9 1575 1591,2 1646,3 1692,7
En point de PIB 83,50% 82,10% 82,30% 84,50% 86,20%
dont, par sous-secteur, consolidée :
État 1252,20 1238,10 1245,00 1286,60 1339,20
Organismes divers d’adm. Centrale 18,5 16,4 15 11,9 10,7
Administrations publiques locales 149,6 149,5 160,6 156,6 153,9
Administrations de sécurité sociale 171,6 171 170,6 191,2 189

Source : Comptes nationaux base 2005 - Insee, DGFiP, Banque de France

B) Une crise de légitimité

Les États ne se heurtent pas seulement à une crise de financement mais également à une remise en cause de la légitimité des représentants politiques agissant au nom de l’État. Selon David THESMAR, membre du cercle des économistes, un des obstacles au retour de l’État réside dans les risques de capture et la perte de confiance dans le monde politique. En effet, « la crise a mis à nu les insuffisances de l’État régulateur, tout autant que les excès du secteur financier ». La finance américaine a opéré un coup d’État silencieux (the quiet coup), d’après Simon JOHNSON, en s’infiltrant à tous les niveaux de l’État. Dans l’ouvrage, 13 Bankers, The Wall Street Takeover and the Next Financial Meltdown, Simon JOHNSON et James KWAK critiquent la manière dont une « oligarchie financière » a littéralement pris le pouvoir au sein du Congrès et du Gouvernement américains. Ces derniers montrent dans leur ouvrage que l’existence de conflits d’intérêts extrêmement forts (financement des campagnes politiques, présence dans le gouvernement et au Congrès d’anciens dirigeants de grandes banques de Wall Street, phénomène de capture des représentants politiques, etc.) entre les technocrates de Washington et treize grandes banques d’investissement américaines a empêché la mise en œuvre d’une réglementation plus contraignante à destination du secteur bancaire et financier. La capture de l’État par les intérêts particuliers n’est pas propre seulement aux États-Unis. La situation française, selon David THESMAR, n’est pas meilleure. « Les grands patrons issus de la haute administration continuent de promouvoir efficacement leurs intérêts auprès des représentants politiques et entretiennent la confusion entre défense de l’intérêt de leur entreprise et défense des intérêts industriels français ». La théorie de la capture de la réglementation ou l’économie positive de la réglementation développée par Georges STIGLER démontre que la réglementation n’est que la résultante d’un mécanisme de marché entre offreurs et demandeurs de réglementation. Les offreurs représentés par les hommes politiques et les fonctionnaires ont du pouvoir à vendre. Les demandeurs sont les entrepreneurs qui disposent de leurs votes, d’opportunités d’emplois et de moyens financiers importants. Ces derniers s’organisent en groupe de pression (lobbying) et peuvent négocier une réglementation plus conciliante au détriment des consommateurs possédant des moyens bien moindres. Ces failles et ces risques de capture sont autant de facteurs qui fragilisent le retour de l’État et qui affectent le rapport des électeurs à leurs représentants politiques.

C) Une crise d’efficacité et d’efficience

La troisième crise à laquelle les États sont confrontés réside dans la perception de l’efficacité et de l’efficience de l’intervention de l’État. En effet, malgré l’intervention de l’État dans la sphère sociale et l’effet redistributif de la protection sociale, les inégalités se creusent. D’après les statistiques fournies par l’Observatoire des inégalités, de 2002 à 2009, le nombre de personnes pauvres au seuil de 50 % du niveau de vie médian en France a augmenté de 760 000 (+ 20 %) et le nombre au seuil de 60 % a progressé de 678 000 (+ 9 %). Les taux de pauvreté en France sont passés respectivement de 6,5 à 7,5 % et de 12,9 à 13,5 %. En outre, Augustin DE ROMANET a fait référence à une crise d’efficacité de l’État dans le sens où l’État-Providence a tendance à réduire les citoyens en sujets passifs et contribue à entraver les capacités créatives et l’esprit d’initiative des individus, en multipliant les contraintes réglementaires et les obligations de contribution. Autant d’arguments qui fragilisent l’intervention de l’État dans son efficacité. L’État-Providence tel qu’il a été construit tout au long du XXe siècle se heurte aux évolutions incontournables de la société. En effet, comme le décrit David THESMAR, la mobilité croissante des personnes, l’ouverture des sociétés occidentales aux cultures des autres continents, la diversité de leurs populations font converger les pays d’Europe continentale vers des sociétés multiculturelles communautaristes à l’anglo-saxonne. Or, les communautés comptent d’abord sur elles-mêmes pour s’entraider. L’économiste Alberto ALESINA a montré que les États caractérisés par une plus grande diversité ethnique ou religieuse sont ceux qui redistribuent le moins, à revenu donné.

Évolution du nombre de personnes pauvres Unité : milliers
Seuil à 40% Seuil à 50% Seuil à 60%
1970 - 6 500 9 187
1975 - 5 836 9 020
1979 - 4 898 7 918
1984 - 4 667 7 685
1990 - 4 214 8 337
1996 2 477 4 550 8 179
1997 2 347 4 433 8 042
1998 1 919 4 257 7 873
1999 1 739 4 109 7 745
2000 1 833 4 165 7 838
2001 1 752 3 984 7 757
2002 1 624 3 746 7 495
2003 1 697 4 078 7 578
2004 1 726 3 896 7 382
2005 1 917 4 270 7 766
2006 1 867 4 188 7 828
2007 1 855 4 281 8 035
2008 nc 4 272 7 836
2009 nc 4 507 8 173

Seuil de pauvreté à 40% : données non disponibles de 1970 à 1990. Source : Insee, personnes vivant en métropole, hors étudiants

David THESMAR démontre, également, que les dispositifs mis en place dans le passé paraissent de moins en moins adaptés aux besoins d’une société qui s’est beaucoup transformée. Il prend l’exemple de notre système de retraite par répartition qui s’appuie sur des familles stables et des parcours professionnels linéaires à une époque où le divorce s’est généralisé et où les parcours professionnels sont diversifiés. Maya BACACHE-BEAUVALLET, économiste et maître de conférence à Telecom ParisTech, rappelle que la remise en cause de l’État réside, également, dans la recherche de l’efficience de l’échelon intermédiaire que représente l’État entre pouvoirs publics locaux et supranationaux. En effet, la décentralisation présente les avantages de services publics de proximité tandis que les unions régionales offrent les bénéfices d’une intégration économique et de politiques économiques communes. Alberto ALESINA et Enrico SPOLAORE montrent dans On the Number and Size of Nations (1997) que la taille optimale des États est un compromis entre les coûts induits par l’hétérogénéité des populations quand la taille du pays est grande et les avantages liés à la taille du marché. Une des solutions pour les plus petits pays réside donc dans l’appartenance à des zones de coopération, et pour les plus grands dans la mise en place de pouvoirs décentralisés. Ces mêmes auteurs montrent en 2003 dans The size of Nations que ce sont les intégrations régionales, en garantissant les avantages d’une intégration économique et commerciale, qui fragilisent l’État en faisant basculer au niveau régional la demande de biens publics de proximité. Comme le formule Bertrand JACQUILLAT, membre du cercle des économistes, l’état des finances publiques, la plus grande diversité de la société et ses aspirations, la demande d’une plus grande transparence des citoyens imposeront un recentrage de l’État sur ses activités principales, c’est-à-dire les fonctions régaliennes, le financement des grosses dépenses de santé, le financement de l’éducation scolaire pour les enfants des ménages moins aisés, la régulation des systèmes de santé privés et des systèmes éducatifs autonomes mais sous tutelle (écoles, lycées, universités), l’organisation des transports et de l’aménagement du territoire. Qu’en est-il de l’État-Providence français ? Assistons-nous à un recul de ces fonctions ? Nous allons chercher à identifier les principales mutations de l’État-Providence français de ces dernières décennies.

 II) Les mutations de l’État-Providence français

A) La privatisation des services publics

Richard MUSGRAVE recense, en 1959, cinq cas qui justifient l’intervention de l’État. Tout d’abord, l’État intervient pour assurer la libre concurrence entre les entreprises et assurer des fonctions dites régaliennes (armée, justice, police). En parallèle, l’État intervient pour pallier les défaillances du marché. Son intervention est justifiée en présence de rendements croissants dans la production. L’État doit alors contrôler le monopole qui produit le bien ou en assurer lui-même la production (monopole public). Le troisième cas d’intervention repose sur l’internalisation des externalités positives ou négatives. L’État doit, également, assurer la production des biens collectifs purs. Dans ces quatre situations, l’État se substitue au marché en raison de ces défaillances en assurant la production optimale de ces biens. MUSGRAVE justifie, également, l’intervention étatique dans la production des biens tutélaires qui présentent pour la collectivité des mérites (éducation, santé, etc.) ou des démérites (alcool, tabac , etc.), tels qu’il n’est pas souhaitable d’en abandonner au marché la production et l’affectation. Maya BACACHE-BEAUVALLET expose lors des rencontres économiques que la typologie de MUSGRAVE vole en éclat au début des années 1980. En effet, à partir de 1986, débute en France un mouvement de privatisation des secteurs publics c’est-à-dire un transfert par vente de la propriété publique à la propriété privée (D. BÖS, 1991). Au débat des privatisations s’est greffé ensuite des interrogations sur la légitimité des domaines d’intervention traditionnels de l’État. Des moyens alternatifs tels que la réglementation et l’externalisation ont été étudiés pour assurer la production des biens et des services publics. En effet, la remise en cause de l’intervention de l’État dans certains secteurs de production industrielle s’est déplacée vers la régulation de ces secteurs. Dans le cas d’un monopole naturel, la lourdeur des charges fixes et le caractère sous-additif de la fonction de coût font que la mise en place d’une tarification optimale d’un point de vue collectif ne permettrait pas de couvrir ses coûts fixes ce qui mènerait à sa perte. Dans une telle situation, l’intervention publique paraît indispensable mais pas forcément sous la forme d’une nationalisation de l’entreprise. Frédéric MARTY, chercheur au CNRS, prend pour exemple, les utilities (fournisseurs de gaz, d’électricité et d’eau) américaines qui sont de propriété privée, dans la plupart des cas, mais qui sont placées sous l’astreinte d’une réglementation publique par l’intermédiaire de commissions de régulation encadrant strictement leurs tarifs et leurs politiques d’investissement. En France, la gestion de l’eau a été très souvent déléguée au secteur privé par l’intermédiaire de schémas concessifs (GROUT et STEVENS, 2003). Les partenariats publics-privés représentent une autre alternative permettant aux pouvoirs publics de contrôler la prestation rendue aux usagers. Face au recul de la présence de l’État dans la production de biens et de services publics, Frédéric MARTY (2007) apporte des réponses en présentant les défaillances de la propriété publique par rapport à la propriété privée dont la première réside dans l’incapacité de la tutelle publique à fournir des objectifs clairs au manager public. En raison du caractère incomplet et asymétrique de l’information, le principal (l’État) ne peut pas observer efficacement si l’agent (le manager public) met effectivement en œuvre les efforts nécessaires pour remplir ses obligations (HOLMSTRÖM, 1979). BARON ET MYERSON (1982) préconisent de créer une structure incitative afin de faire converger les intérêts de l’agent et du principal. Les moyens incitatifs utilisés dans les entreprises privées ne sont pas mobilisables dans les entreprises de gestion publique (supervision par les actionnaires et les marchés financiers, stock-options, menaces d’OPA, cours boursiers, etc.). Enfin, une des défaillances de la propriété publique repose dans l’absence de risque de faillite avec des contraintes budgétaire molle (KORNAI, 1986), un risque constituant un système incitatif dans les structures privées. Malgré toutes ces objections à la propriété publique, la privatisation est-elle efficace ? La plupart des évaluations théoriques s’accordent pour dire que la privatisation est d’autant plus bénéfique que l’entreprise évolue dans un environnement de marché concurrentiel et que le pouvoir disciplinaire des marchés est plus efficace que celui des actionnaires. D’après F. MARTY, une telle conclusion appliquée aux industries de réseaux conduit à considérer que l’ouverture à la concurrence et l’introduction de mécanismes internes de gouvernance d’entreprise auront des effets supérieurs sur le bien-être plutôt qu’une privatisation. En outre, l’argument de la contrainte budgétaire molle peut s’appliquer pour les entreprises de propriété privée chargées d’une mission de service public dans le cadre d’une privatisation ou d’une délégation car l’État se porte, en général, garant en dernier ressort de la continuité du service public et il est politiquement difficile d’accepter la disparition d’une grande entreprise (too big to fail). Olivier HART, Andrei SHLEIFER et Robert W. VISHNY posent la question de la qualité du service transféré au secteur privé pour l’exercice de fonctions relevant traditionnellement de l’État. Ils s’interrogent sur le cas de l’enseignement privé pour lequel il existe des risques de rejet des élèves difficiles et d’embauches d’enseignants insuffisamment formés ou, sur le cas des prisons, dans lesquelles l’emploi de gardiens de moindre compétence réduit les chances de réinsertion à la sortie et limite la sécurité. Seules la mise en place de mécanismes d’incitation à l’innovation et à la qualité et l’introduction d’une concurrence entre acteurs prestataires de services pour le compte de l’État pourraient constituer des solutions. Par conséquent, la privatisation apparaît plutôt efficace pour les entreprises publiques agissant sur un marché purement concurrentiel (Renault, Air France, etc.) mais l’est beaucoup moins pour les entreprises produisant un service public.

B) La recherche de l’efficience dans la gestion de services publics

La recherche de l’efficience dans la gestion des services publics devient une alternative au retrait de l’État (privatisation, délégation, etc.). La LOLF (Loi d’orientation sur les finances publiques) votée en août 2000 et rentrée en vigueur le 1er janvier 2006 prévoit une logique de financement des politiques publiques clairement identifiées par leurs objectifs, leur coût et leurs résultats. La Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) constitue une deuxième étape dans l’amélioration de l’efficience des services publics. La RGPP projette la réduction des frontières de l’État en recherchant les moyens d’externaliser au secteur privé, aux régions, aux partenaires sociaux, aux associations, etc. La RGPP a pour objectif de réaliser des économies budgétaires en réorganisant les administrations et en dématérialisant les relations avec les usagers. La recherche d’amélioration de l’efficience et de la flexibilité dans le secteur public concerne également l’emploi public par la mise en œuvre d’un « New public management » s’inspirant des pratiques du secteur privé (FERLI et AL. 1996). La LOLF introduit la culture des résultats. En effet, depuis le début des années 2000, des lois et des décrets permettent une individualisation de la rémunération selon les performances individuelles et collectives. Le débat actuel se porte désormais sur la nécessité de doter la fonction publique d’un statut particulier de fonctionnaire. LAFFONT (2000) considère que ce statut spécifique de la fonction publique repose sur le principe d’une bienveillance de tous les fonctionnaires et personnels assimilés. Or, selon LAFFONT, l’absence de rémunérations variables ferait fuir les salariés les plus compétents et transformerait ses salariés en employés paresseux. En revanche, le rapport annuel de l’OCDE (2009) montre que les logiques de carrière et de mobilité agissent et améliorent les motivations au travail contrairement aux primes à la performance qui peuvent être inutiles voire démotivantes. D’après Sébastien KOTT, la LOLF repose sur la mise en place d’un nouveau paradigme synthétisé par la formule « contrôler réellement pour dépenser mieux et prélever moins » (L. FABIUS et D. MIGAUD, rapport Assemblée nationale, janvier 1999, p 487) qui implique que les économies sont réalisées grâce à une gestion publique plus performante. La RGPP fait abstraction de la performance et J. ARTHUIS, sénateur et membre de la commission des finances, se demande « si la RGPP n’a pas trop tendance à privilégier la recherche immédiate d’économies, plutôt que l’amélioration durable de l’efficacité de l’État » (Sénat, audition du 19 juin 2008). D’autre part, l’annualité budgétaire pose des difficultés dans la nouvelle gestion publique. C’est pour cette raison que la LOLF et la RGPP prévoient d’établir un budget pluriannuel. Une première loi de programmation des finances publiques a été adoptée le 28 janvier 2009 et une seconde le 28 décembre 2010. La loi de programmation des finances publiques est construite autour d’un objectif de maîtrise de la dépense publique assis sur les résultats attendus de la RGPP et prévoit une programmation budgétaire sur trois ans qui n’a juridiquement aucune valeur contraignante. Cette loi doit permettre de donner aux gestionnaires une visibilité nécessaire pour la conduite des réformes. La place de l’État évolue en raison de l’intégration du secteur privé dans la gestion et la production des services publics. Les dirigeants étatiques recherchent, en parallèle, à améliorer l’efficience de l’intervention de l’État. Enfin, nous allons constater que de nombreuses évolutions sont opérées au niveau du système de protection sociale en prenant pour exemple le système d’assurance maladie.

C) Les évolutions du système de protection sociale

Dès la fin des Trente Glorieuses, les systèmes de protection sociale sont confrontés à de graves difficultés de financement et la mondialisation pousse les États à se questionner sur la capacité de résistance d’un tel modèle de protection sociale. Plusieurs réformes concernant les retraites, la santé, le marché du travail, la dépendance ont été entreprises et pour lesquelles l’équilibre entre logique d’assurance et logique d’assistance a évolué. Les mutations du système de protection sociale sont telles que nous allons aborder les principales évolutions du système d’assurance maladie. La loi votée le 13 août 2004 (dite la réforme DOUSTE-BLAZY) porte sur une réforme de l’assurance-maladie comprenant trois grands volets : des mesures de financement du déficit de l’assurance-maladie qui s’est fortement creusé au début des années 2000, une réorganisation du système de soins visant à assurer un meilleur suivi des patients, une nouvelle attribution des responsabilités avec des pouvoirs concentrés aux mains du directeur de l’assurance-maladie. Le rapport rendu par le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie, présidé par Bertrand FRAGONARD, en janvier 2004, souligne la nécessité de régler les problèmes structurels de financement de l’assurance-maladie en rejetant l’idée selon laquelle seules les réductions de remboursements et/ou les hausses des prélèvements apporteraient une solution. La loi du 13 août 2004 prévoit une hausse de la CSG (contribution sociale généralisée) pour les retraités et l’ensemble des salariés, une réduction des remboursements (augmentation du forfait hospitalier de 1 € par an jusqu’en 2007, ticket modérateur d’ordre public de 1 € appliqué sur toutes les consultations). En matière d’organisation des soins, deux mesures sont prévues : la mise en place du médecin traitant et le dossier médical personnel. Enfin, cette réforme renforce le rôle de l’État au sein du système de protection maladie français au détriment des partenaires sociaux. Cette réforme n’ayant pas permis de contrer le creusement du déficit de la banche maladie, fin juin 2007, de nouvelles mesures sont annoncées pour l’année 2008 telles que la franchise (non remboursable par les mutuelles complémentaires) sur les médicaments, les transports sanitaires et les actes paramédicaux. Selon Bruno PALIER, chercheur au CNRS, cette mesure repose « sur l’idée toujours plus avancée par les Gouvernements successifs que les patients français sont les premiers responsables de l’augmentation des dépenses de santé et qu’il faut les responsabiliser en les faisant payer […] cette théorie du hasard moral (qui considère que, si la santé est gratuite, alors les gens en abusent) oublie les asymétries d’information [1] qui caractérisent la relation patient-médecin, ainsi que les phénomènes de demande induite ». Ce concept développé en économie de la santé signifie que le diagnostic du médecin lui confère une information privée sur l’état de santé de son patient qu’il peut manipuler pour maximiser son utilité. La définition de la demande induite proposée par RICE (1983) est fondée sur cette asymétrie d’information. Il définit la demande induite comme la capacité du médecin à choisir une quantité (ou une qualité) de traitements différente de celle qui serait choisie par le patient si celui-ci était parfaitement informé. La loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires adoptée en juin 2009 et défendue par le ministre Roseline BACHELOT vise à favoriser la cohérence des soins entre les différents établissements privés et publics présents sur un même territoire. Dans ce sens, les agences régionales de santé ont été créées. Les réformes structurelles du système d’assurance-maladie mettent du temps à produire des effets. En parallèle, l’augmentation des tickets modérateurs, les franchises, les dépassements d’honoraires (2 milliards d’euros sur les 18 milliards d’honoraires perçus en 2004, d’après le rapport de l’IGAS publié au printemps 2007), la prise en charge des soins courants est de plus en plus assurée par les assurances privées de complémentaire santé et sur les individus eux-mêmes. La protection sociale représente un élément fondamental de l’État-Providence et connaît des transformations qui visent à limiter les dépenses publiques, après plus d’un siècle marqué par son expansion.

La France, comme tout pays immergé dans le processus de mondialisation, subit des contraintes de plus en plus fortes en matière de politiques économiques. En effet, l’État français connaît des défaillances en termes de financement, de légitimité et d’efficacité de son intervention. Au cours de ces dernières décennies, la réflexion autour des frontières de l’État est passée d’une remise en cause de la limite entre production de biens et de services publics et régulation à une redéfinition des méthodes de gestion de l’État comme employeur et producteur. La crise financière et économique de 2007-2009 a contribué à un accroissement de la dette publique provoquant une situation d’instabilité économique et monétaire et remettant en cause, par les acteurs financiers, la soutenabilité de la dette des États notamment européens. Aujourd’hui, les États cherchent à obtenir des marges de manœuvre budgétaire en annonçant des mesures de rigueur. Lors de leurs interventions aux rencontres économiques, Anders BORG, ministre des finances suédois, et Jean-Claude TRICHET, ex-gouverneur de la BCE, ont évoqué le cas de la Suède qui a connu une grave crise financière en 1990-1991 et qui leur a permis de pallier certaines lacunes et de mieux se défendre. Le pays s’est retrouvé, théoriquement, à cette époque, en faillite l’obligeant à rééquilibrer ses finances publiques. La taille de l’État a été fortement réduite (suppression de postes de fonctionnaires, privatisation de certains services, environnement réglementaire assoupli, système fiscal allégé, etc.). Ces mesures ont permis à la Suède de réduire sa dette publique et de dégager un excédent budgétaire qui leur a été très utile lors de la crise de 2007-2009. Actuellement, la Suède connaît un taux de croissance économique assez élevé (4,8 % en 2010) mais craint une bulle immobilière et l’endettement des Suédois inquiète de plus en plus les banquiers. Est-ce que le cas de la Suède est un exemple à suivre ? Jean-Claude TRICHET a préconisé de renforcer la gouvernance européenne et mondiale et de mener des réformes structurelles en renforçant le potentiel de croissance à long terme. En raison des bouleversements actuels que le monde traverse, il est certain que le rôle de l’État-Providence va poursuivre son changement en s’adaptant aux nouvelles réalités économiques et sociales.

 Bibliographie

  1. Session 1 des rencontres économiques d’Aix-en-Provence 2011 « Le renouveau du débat public/privé », le 8 juillet 2011
    • Libéralisme et État-Providence dans la mondialisation. Intervention de Bertrand JACQUILLAT.
    • Libéralisme et État-Providence. Intervention de David THESMAR.
    • État-Providence et Libéralisme. Intervention d’Augustin DE ROMANET.
  2. Session 13 des rencontres économiques d’Aix-en-Provence 2011 « Jusqu’où ira la mutation des fonctions régaliennes ? », le 9 juillet 2011.
    • Jusqu’où ira la mutation des fonctions régaliennes ? Intervention de Françoise BENHAMOU.
    • Redéfinir les méthodes de gestion de l’État comme employeur et comme producteur. Intervention de Maya BACACHE BEAUVALLET.
  3. Les États : les grands défis, le 10juillet 2011.
    • Les tas ? Non. L’État ? Oui. Mais lequel ? Intervention d’Olivier PASTRÉ.
  4. La réforme des systèmes de santé, Bruno PALIER, édition Puf, cinquième édition mise à jour. La réforme des retraites, Bruno PALIER, édition Puf, troisième édition mise à jour.
  5. La protection sociale : quels débats ? Quelles réformes ?, Cahiers français n° 358, La documentation française, septembre-octobre 2010.
  6. Les politiques économiques à l’épreuve de la crise, Cahiers français n° 359, La documentation française, novembre-décembre 2010. Article de Nicolas COUDERC et Olivia MONTEL-DUMONT.
  7. Dictionnaire d’économie et des faits économiques et sociaux contemporains, C. BIALES, M. BIALES, R. LEURION, J.L. RIVAUD, éd. Foucher.
  8. 13 Bankers, The Wall Street Takeover and the Next Financial Meltdown, Simon JOHNSON et James KWAK, Pantheon Books, 2010.
  9. On the Number and Size of Nations (1997), Alberto ALESINA et Enrico SPOLAORE.
  10. The size of Nations, (2003), Alberto ALESINA et Enrico SPOLAORE.
  11. Site de l’Observatoire des inégalités www.inegalites.fr.
  12. Frédéric MARTY « La privatisation des services publics : fondements et enjeux », Regards croisés sur l’économie 2/2007 (n° 2), p. 90-105. http://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2007-2-page-90.htm.
  13. Olivier HART, Andrei SHLEIFER et Robert W. VISHNY, The proper Scope of Government : Theory and an Application to Prisons ; The Quarterly journal of Economics, Vol. 112, N°4 (Nov. 1997), p. 1127-1161.
  14. Sébastien KOTT « La RGPP et la LOLF : consonances et dissonances », Revue française d’administration publique 4/2010 (n° 136), p. 881-893. http://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2010-4-page-881.htm. DOI : 10.3917/rfap.136.0881
  15. Rapport annuel de l’OCDE, 2009.
  16. Site internet de l’INSEE.

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