Négociation : une approche globale

, par Céline Mansencal

Négocier est un art du quotidien multi facettes. Négociations sur le temps de travail, négociations du régime des retraites, négociations des conditions d’embauche, négociations sur les conditions d’une fusion, négociations d’un plan de paix…. Que ce soit à l’échelle de l’individu ou de l’organisation, dans les domaines du social, du politique ou bien du commercial, la négociation est partout et à tous les niveaux. La négociation se retrouve à tous les moments de la vie que l’on parle de vie personnelle ou professionnelle. Bien entendu, ici seul le registre professionnel retiendra notre attention.

Négocier est un acte, un processus complexe qui ne s’improvise pas contrairement à une idée répandue. Il ne s’agit pas de vulgairement « baratiner » mais d’analyser, de construire méthodiquement, de dénouer une relation inter individus ou inter groupes, complexe et comportant des enjeux. Ne pouvant en quelques pages traiter exhaustivement de la négociation, il apparaît nécessaire de commencer par une approche générale et non sectorisée.

 I. Qu’entend-on par négociation ?

On entend souvent définir la négociation comme une confrontation ce qui renvoie au marché tel qu’il est abordé en micro-économie dans les théories de la production et des échanges, donc au lieu de rencontre entre offre et demande.

Selon Zartman, la négociation se différencie de ce qui se passe sur un marché. Cette différence s’exprime en terme de résultat. De manière très schématique, sur un marché, la confrontation entre offre et demande produit un résultat particulier qui est l’équilibre, notion chère aux néo-classiques.
Selon le modèle de Zartman, la négociation est un mode de prise de décision.

Pour de nombreux auteurs, la négociation est un processus :

  • C’est un processus d’identification et de choix spécifiques à partir d’une situation d’incertitude ;
  • C’est un processus par lequel au moins deux parties recherchent un accord par un échange de contreparties.

On peut encore la présenter comme une activité dans laquelle les acteurs sont en interaction, confrontent leurs divergences et interdépendances et décident volontairement de rechercher, ou non, une solution, un accord mutuellement acceptable.

Selon Anne Macquin : « Le mot négociation vient de negotiatio, commerce. Initialement donc, il désignait les différents entretiens qui jalonnent la vie commerciale et ont pour but de dégager des accords, qu’il s’agisse d’accords d’achat/vente ou de troc par exemple. Progressivement, le terme a pris une seconde signification. Il a été associé à la notion de conflit. La négociation a alors été appréhendée comme un mode de résolution des conflits, comme une des alternatives possibles à l’usage de la force, à l’instar de la médiation ou de l’arbitrage. »

La négociation peut se définir en trois points :

  • C’est une relation sociale orientée vers la prise de décision. Il s’agit d’une relation d’influence. On y retrouve des désirs, de l’émotivité, des rites, des procédures… ;
  • A la base de toute négociation il y a incompatibilité de comportements et d’intérêts que Tannembaum et Schmidt attribuent aux faits, aux procédures, aux valeurs et/ou buts ;
  • La construction d’un compromis (Bellenger, Crozier, Friedberg) qui résulte des interactions entre les comportements des parties.

D’autres définitions…
« La négociation est un processus par lequel deux ou plusieurs parties interagissent dans le but d’atteindre une position acceptable au regard de leurs divergences ». Faure
« C’est autant un jeu psychologique qu’un processus rationnel de prise de décision ». Lewicki & Litterer

 II. Types de négociation

Les situations de négociation sont multiples et nombreuses. On peut classer les négociations suivant plusieurs critères.
On peut ainsi retenir l’objet de la négociation, la stratégie suivie, le lieu de la négociation (interne/externe)…
Qualifier une négociation, la reconnaître c’est savoir apprécier ces différents critères car, en aucun cas, ils ne sont exclusifs les uns des autres.
On pourra aussi les distinguer suivant les domaines de négociation à savoir, stratégique, commercial, social, diplomatique, politique…
Porter son attention sur les objets de négociation permettra de repérer les négociations pour mise en place d’un projet, réforme d’une organisation, gestion de conflit, définition et attribution de budget…

On peut aussi classer les négociations suivant leur structure. La structure d’une situation de négociation est déterminée par le degré de conflit existant entre les parties en présence.
On aboutit à 3 configurations possibles :

Négociation distributive (Walton et McKersie) Négociation intégrative (Pruitt) ou coopérative (Rubin et Brown) ou représentative (Angemar et Stern) Négociation de totale coordination
Intérêts parfaitement négativement corrélés Intérêts partiellement compatibles Intérêts parfaitement positivement corrélés
Conflit total dit pur Conflit partiel Absence de conflit
Jeu à somme nulle Jeu à somme variable Coordination dite pure

+ <-------------------------------------------------------------------------------------------------------------> -

Degré de conflit

 III. Caractéristiques de tout processus de négociation

Toute négociation se caractérise par :

  • Plusieurs parties en présence que ce soit des individus ou groupes de personnes ;
  • Des divergences d’intérêt entre les parties en présence ;
  • Absence d’autorité, de règles quant à la prise de décision, résolution du conflit… ;
  • Les parties sont souveraines ;
  • Les parties expriment, soumettent, modifient leurs offres au cours du processus de négociation ;
  • Une communication ;
  • Un résultat (accord, refus, échec…) qui provient du jeu entre les « efforts de demande » des parties, qui sera apte à satisfaire les valeurs et intérêts des parties en présence.

A. Demande des parties

Le résultat de la négociation provient du jeu entre les demandes. Il est donc important de se consacrer à l’étude que réalise Zartman des critères ou aspects de la demande.

Aspects de la demande Présentation Efforts croissants consacrés dans la négociation, prix à payer pour obtenir l’objet
Demande pure Dépend de la valeur intrinsèque de l’objet Plus l’objet a une valeur élevée
Demande d’opportunité Dépend des solutions dont sont porteuses les parties et de leur accès Plus ces solutions ont de la valeur et sont difficilement accessibles
Intensité de la demande Dépend du besoin indépendamment de la valeur intrinsèque de l’objet Plus le besoin de l’objet par les parties est fort
Demande fondamentale Seuil d’acceptabilité des demandes de l’un par l’autre partie (appréciation du caractère fondé de la demande de l’autre Plus le seuil d’acceptabilité est bas
Pouvoir de demande Capacité à proposer à l’autre différentes solutions alternatives et attractives Plus les solutions sont nombreuses
Pouvoir d’opportunité Capacité à réduire les solutions alternatives de l’autre Plus cette capacité est élevée

Ces critères ne sont pas fixes bien au contraire, ils sont modulables, évolutifs dans le cadre même de la négociation.
Les négociateurs useront de ces 6 facteurs pour aboutir au résultat.

B. Principes de négociation

Il est possible de décrire le processus de négociation, les règles de jeu qui s’opèrent à travers 5 principes.

1. Rationalité

Chaque partie dispose d’une rationalité et a la même connaissance du processus de négociation que l’autre.
Chaque partie est dans une situation d’imperfection de l’information et tendra à maintenir l’autre dans cet état d’imperfection de l’information.

2. Somme positive

Chaque partie choisit le résultat qu’elle préfère.
Il existe pour chaque partie un point dit de sécurité appelé aussi point de référence, valeur ou prix de réserve en économie, front de résistance en psychologie ou point menace en théorie des jeux.
Ce point de sécurité correspond au résultat en dessous duquel il y aura refus. Ce point peut correspondre au BATNA (Best Alternative To the Negociated Agreement) qui est l’option la meilleure en cas de désaccord (Fisher et Ury).
Le point de sécurité est intégré par l’autre au cours du processus de négociation et lui sert de point d’ancrage.
Ces points sont flexibles, modulables au cours de la négociation. Plus l’écart est grand entre le résultat et le point de sécurité, plus les parties accepteront de payer pour obtenir l’accord.

3. Equivalence

Le refus ou l’acceptation du résultat de la négociation par une partie dépend du résultat obtenu par l’autre partie.
S’il y équivalence des résultats, les parties accepteront. L’évaluation qui est faite par les parties du résultat obtenu par l’autre est subjective et évolutive.

4. Réciprocité

Chaque partie attend de l’autre partie des concessions réciproques. L’absence ou l’insuffisance de réciprocité sera perçue comme une volonté de faire capituler, de battre l’autre ce qui fera échouer la négociation.
L’appréciation des concessions est, elle aussi, subjective.

5. Distribution

Dans un processus de négociation, il n’est pas question d’efficacité ou de recherche de perfection. Il se peut que le résultat le soit mais ce qui importe c’est que le résultat permette à chaque partie de satisfaire ses intérêts, sinon, elles chercheront d’autres solutions.
Ainsi toute négociation doit se référer à des règles ou principes de comportements consensuels qui évitent les situations où une seule exercerait son pouvoir.

C. La négociation : un processus contingent

Un processus de négociation ne suit pas un cheminement fixe, déterminé. Il peut revêtir des formes différentes ce qui aura une incidence sur le résultat.
Un ensemble de facteurs influence toute négociation.
Certains sont propres aux acteurs, à leur organisation d’appartenance, au contexte de la négociation ou aux stratégies déployées.
On peut commencer par considérer la culture, tant la culture des parties que celle des organisations auxquelles elles appartiennent, comme facteur d’influence de la négociation même si les études ne permettent pas toujours de démontrer de manière certaine des liens de causalité. Des éléments propres aux organisations auxquelles appartiennent les parties sont en mesure d’expliquer les orientations prises par les négociations. Ainsi certains ont étudié l’impact de la technologie intégrée dans le produit, les stratégies suivies par exemple.
Il ne faut pas négliger le rôle que tiennent les objectifs des parties, les rapports de pouvoir, de force, la confiance qui va s’instaurer entre les parties.
On peut aussi mettre en évidence l’influence du temps en terme d’urgence, de pression qu’il va exercer sur les parties et les concessions qu’elles accepteront de faire ou refuseront. On peut aussi s’intéresser au temps depuis lequel les parties se connaissent et qui affecte le déroulement, les phases du processus de négociation tout comme les perspectives de futures négociations.

 IV. Fondements théoriques de la négociation

La négociation fait appel et prend racine dans différents champs théoriques et scientifiques :

  • Théorie de l’utilité ;
  • Théorie des jeux ;
  • Théories de la décision ;
  • La psychologie [1] ;
  • La sociologie [2] ;
  • Les jeux de pouvoir ;
  • Les coalitions ;
  • Les sciences juridiques ;
  • Les sciences cognitives ;…

Nous n’en aborderons que certains.

A. La théorie des jeux

La théorie des jeux est la discipline mathématique qui étudie les situations où le sort de chaque participant dépend non seulement des décisions qu’il prend mais également des décisions prises par d’autres participants.
Les participants sont en situation d’interaction stratégique.
La théorie des jeux s’intéresse aux comportements des individus. La rationalité prise en compte est la rationalité pure absolue au sens néo-classique qui va revenir à maximiser le profit individuel.
Un jeu se caractérise par des règles qui définissent le nombre et le rôle des acteurs ainsi que les variables qu’un joueur peut contrôler, par exemple les choix, l’information et la communication entre joueurs : nombre de joueurs (au moins deux) ; types actions, stratégies possibles des joueurs et informations disponibles pour choisir ; déroulements et étapes du jeu ; rétributions (gains, pertes) et résultats.
La théorie distingue différents types de jeux plus ou moins coopératifs, compétitifs, répétitifs :

  • Jeux à intérêt communs ;
  • Jeux à somme nulle où les intérêts y sont parfaitement antagonistes ;
  • Jeu type bataille des sexes qui fait intervenir une part de collaboration et de conflit ;
  • Jeu type fureur de vivre (avec faucon et colombe) ;
  • Jeu type dilemme du prisonnier qui fait ressortir une tension entre intérêt individuel et collectif.

B. Les sciences cognitives

Les sciences cognitives visent à étudier scientifiquement les structures et le fonctionnement de l’esprit et du cerveau humain. Les sciences cognitives considèrent l’esprit humain comme un système de connaissances et de traitement de l’information, en interaction constante avec l’environnement. Les sciences cognitives ont pour vocation de savoir comment notre cerveau est le support de nos connaissances, de nos représentations mentales. Elles sont nées de la conjecture de plusieurs disciplines (linguistique, anthropologie, neurosciences, psychologie, philosophie, informatique).
Plusieurs auteurs ont pris appui sur les sciences cognitives pour expliciter toute négociation.
Ainsi des concepts comme la capacité cognitive, la clarté de la perception, la présentation de l’information vont affecter respectivement :

  • La compréhension des intérêts de l’autre (Barry et Frideman) ;
  • L’adoption de stratégies de négociation et le résultat (Clopton, Thompson, Hastie) ;
  • L’évitement ou non du risque, les concessions faites, la réalisation ou non du profit. (Bazerman, Magliozzi, Neale)

Il est montré que des facteurs comme la personnalité, les motivations, les valeurs, les sentiments, les émotions affectent le déroulement et le résultat des négociations

C. Les théories de la décision autour du concept de rationalité

Il est souvent fait référence à la notion de rationalité et à la théorie de Simon de la rationalité limitée.
Simon va renverser les postulats de la théorie classique :

  • La rationalité est partielle et non parfaite
  • Il n’y a pas un décideur unique mais des acteurs multiples
  • La linéarité est remplacée par les différentes phases et le feed-back
  • On ne nie plus les limites de la décision, on les accepte.

Pour Simon, tout membre d’une organisation est contraint, dans ses processus de prise de décision, par un ensemble de facteurs et notamment par :

  • L’imperfection de l’information
  • Les limites de ses capacités cognitives
  • L’individu est affecté par des sentiments, il est subjectif.

Simon souligne que le comportement du décideur est largement déterminé par la pression psychologique au moment de la décision ainsi que par sa mémoire des problèmes similaires auxquels il a déjà apporté une solution.
Les entreprises orientent, en elles-mêmes, par leur organisation, les prises de décision et leurs rationalités.
Pour Simon et Cyert, la rationalité limitée de l’homme est un fait acquis, qui se manifeste par :

  • La difficulté de faire plusieurs choses à la fois
  • La préférence pour des démarches et des solutions immédiatement satisfaisantes
  • La tendance à réduire les problèmes rencontrés
  • La propension à simplifier les choses.

Ainsi des auteurs comme Clyman et Gray prennent appui sur le concept de rationalité limitée (du fait des options disponibles pour les acteurs de la négociation), pour tenter de sortir d’une impasse, pour pouvoir réaliser une transaction.

Schön et Rein, vont s’inspirer de la rationalité limitée de Simon et la modifier en y intégrant l’incertitude et la complexité pour expliquer le comportement des négociateurs dans la résolution de conflits. Il s’agit ici de « design rationality ».

Lempereur et Colson vont retenir une rationalité plus « large » en y intégrant les compétences psychologiques des parties en présence et ainsi leurs émotions. On parle alors de rationalité processuelle. Elle va accompagner toutes les étapes du processus de négociation et évoluera en fonction des étapes. Elle pourra, selon les étapes, être relationnelle, psychologique, absolue.

Certains complètent la rationalité limitée de l’individu, au sens de Simon, par des phénomènes inconscients.
Ainsi les acteurs en présence vont exercer leur raison en tenant compte de l’environnement et de leurs capacités. Leur comportement sera aussi conduit par leur inconscient, leurs émotions, leurs pulsions, leurs passions…. Si l’on retient cette forme de rationalité, les individus ne contrôlent pas totalement leur comportement. Il apparaît alors important de définir des règles du jeu et d’avoir recours à un facilitateur.

Sources

Pour télécharger cet article au format pdf, cliquer sur le lien ci-dessous :

Négociation : une approche globale

Notes

[1permettant d’appréhender les attitudes et comportements des acteurs et négociateurs

[2permettant d’appréhender les attitudes et comportements des acteurs et négociateurs

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