Le marketing ethnique, une stratégie pour répondre à une société pluriculturelle

, par Corinne Nardot

L’ethnomarketing est une approche qui consiste à segmenter le marché local ou international en s’appuyant sur l’homogénéité d’une souche ethnique d’un groupe de consommateurs. Ainsi proposera-t-on des produits adaptés aux caractéristiques physiques et culturelles des consommateurs agrégés par souches ethniques. Le marketing multiculturel ou « etnic marketing » a émergé aux Etats-Unis du fait d’une société multiculturelle, d’une dimension démographique, qui a facilité l’émergence de segmentations ethniques. La problématique marketing de cette approche réside dans le calcul de la rentabilité de cette « niche », qui ne peut trouver son seul point mort sur un couple produit/marché local, mais sur un espace plus élargi. Par ailleurs, les implications managériales liées à l’ethnicité des produits sont importantes et devront permettre aux entreprises d’intégrer et de mettre en place des stratégies d’ethnomarketing, tout en prenant garde de ne pas se développer en favorisant un repli communataire naissant au sein de la société.

L’ethnomarketing puise ses sources dans les flux migratoires des nations. Le premier pays à s’être intéressé à cette approche fut les Etats-Unis. En effet, les différentes vagues migratoires ont agrégé de citoyens américains, qui s’identifiaient aussi à travers leurs racines d’origine.

L’ethnomarketing est une « approche qui consiste à segmenter le marché local ou international en s’appuyant sur l’homogénéitéd’une souche ethnique d’un groupe de consommateurs. Ainsi proposera-t-on des produits adaptés aux caractéristiques physiques et culturelles des consommateurs agrégés par souches ethniques, par exemple, les populations noires, hispaniques, juives, islamiques,... (B. Cova, O. Badot, 1995)”.

«  Le marketing ethnique est sans doute né aux Etats-Unis en 1900 avec une certaine Madame C.J. Walker, esthéticienne de métier et noire. Elle avait constaté que les femmes noires de l’époque voulant mieux « s’intégrer » dans la société américaine à dominante blanche, avaient recours à toutes sortes de méthodes plus ou moins barbares pour défriser les cheveux, certaines n’hésitant pas à les repasser au fer chaud. Elle eut l’idée de lancer un peigne chauffant capable de défriser les cheveux crépus des femmes de couleur en toute sécurité. (Tréguer, p188) ».

Sans données sociodémographiques et sans études marketing , elle adapta intuitivement les variables du mix marketing (4P) à ses consommatrices potentielles : publicité dans les quotidiens « noirs », prix du produit adapté à une cible majoritairement assez pauvre, tout en étant suffisamment élevé pour donner une impression de qualité, ...

Le marketing multiculturel ou « etnic marketing » a émergé aux Etats-Unis d’une fait d’une société multiculturelle, d’une dimension démographique, qui a facilité l’émergence de segmentations ethniques.

En ce sens l’ouverture à Chicago d’un centre de recherche L’Oréal consacré aux produits ethniques témoigne des ambitions du numéro un mondial des cosmétiques sur ce marché, qu’il domine aux Etats-Unis avec sa marque SoftSheen-Carson, même si son concurrent Procter & Gamble s’y intéresse également.

Pour L’Oréal, même si le marché est encore limité en valeur, il est très prometteur et c’est donc la raison pour laquelle, ce groupe français a décidé de s’attaquer aux problème capillaires des populations noires et métisses. Avec des ventes de plus de 200 millions de dollars en 2003, SoftSheen-Carson estime sa part de marché à 12 % en valeur du marché mondial des produits capillaires ethniques. Procter & Gamble, qui vient aussi de lancer ses propres shampoings et produits démêlants pour cheveux crépus considère que l’innovation est la « clef du marché ».

Bien que le chiffre d’affaires des sociétés spécialisées dans les produits cosmétiques pour les populations non blanches reste encore modeste, de l’ordre de 200 millions de dollars, l’évolution démographique en cours laisse percevoir un énorme potentiel de croissance. On estime qu’un milliard de personnes à travers le monde possèdent des origines africaines. A travers les multiples métissages, « 80 % de la population mondiale présentent un certain degré d’ethnicité » (C. Matthews, Présidente de Soft-Sheen-Carson).

Aux Etats-Unis, marché le plus développé en valeur, le bureau de recensement américain prévoit que plus de la moitié de la population américaine sera non blanche dans une cinquantaire d’années, les Hispaniques, originaires d’Amérique latine, devant devenir la première communauté outre-Atlantique. Outre leur proportion grandissante dans la population, les minorités ethniques voient leur pouvoir d’achat progresser 2.5 fois plus rapidement que celui des Blancs.

«  Les femmes afro-américaines achètent trois à cinq fois plus de produits capillaires (C. Matthews, Présidente de Soft-Sheen-Carson L’Oréal) », ce qui explique qu’aujourd’hui, les produits pour cheveux forment le segment de marché le plus développé des produtis ethniques. Chez L’Oréal, on estime qu’ils représentent de 80 à 90 % de ventes mondiales de produits spécifiques pour les consommateurs d’origine africaine.

L’Europe a eu, elle, aussi, des vagues migratoires de populations ; Polonais, Nord-Africains, Italiens, Portugais, pakistanais et indiens en Grande-Bretagne, turcs et polonais en Allemagne. Ces consommateurs naturalisés conservent beaucoup d’intérêt pour leurs racines et entretiennent entre eux des liens forts. Leurs actes économiques, les dépenses alimentaires notamment, s’orientent vers des produits de leur pays d’origine. Ils forment ainsi des ethno-sous-groupes homogènes, ce qui incitent certaines entreprises à adopter des politiques marketing spécifiques, dont ils sont les principales cibles.

En Allemagne, la Fédération des publicitaires allemands, parle d’une tendance à l’ethnomarketing, centrée sur le groupe cible turc, « aucune entreprise allemande ne peut se permettre d’ignorer le marché des 2.2 millions de Turcs vivant en Allemagne, alors que 33 % d’entre eux disposent d’un revenu net de 2.250 Euros par mois ».

Ainsi la société Otelo, opérateur téléphonique, a reçu de la part du Président de la République Turque « le chêne d’or », une récompense liée à une action de marketing original. En Allemagne, les publicitaires d’Otelo ont su séduire les consommateurs Turcs par des campagnes spéciales rédigées dans leur langue. Comme l’entreprise a en outre baissé les prix des communications téléphoniques de l’Allemagne vers la Turquie d’environ 30 % en un an, 190.000 Turcs ont opté pour Otelo. Comme argument publicitaire, Otelo avait en outre promis que, pour chaque nouveau client, sa société planterait un chêne dans la région d’Istanbul menacée d’Erosion. C’est à ce tître, que cette entreprise a reçu cette haute distinction et ce qui lui permis en plus d’accroître sa notoriété du fait de cette publicité « médiatique ».

La problématique marketing de cette approche réside dans le calcul de la rentabilité de cette « niche », qui ne peut trouver son seul point mort sur un couple produit/marché local, mais sur un espace plus élargi.

«  La zone de marché doit être suffisamment homogène pour que, au-delà des frontières, les produits s’adressent aux consommateurs de même souche ethnique. Le frein à l’adhésion à ces produits réside principalement dans le fait que l’image du produit d’origine peut éventuellement être altérée par une fabrication industrielle et locale. (Croué C., 1999) ».

En ce sens, l’ethnicité d’un produit change l’évaluation d’un pays car une origine « médiocre » peut soudain devenir bonne quand le produit concerné est fortement associé au pays (le chocolat et la Suisse, les dattes et la Tunisie,...). «  L’ethnicité, en tant qu’association forte faite entre un pays et un produit est une forme de typicalité. Elle est liée au contexte d’offre globale et de libre choix du consommateur entre des produits de diverses origines nationales. (Usunier J.C., 2002)  »

Réfléchir avant toute action à l’ethnicité des produits, vise à décrire à quel point certaines associations pays-produit sont fortes, exclusives et partagées de façon cross-nationale En l’absence d’autres informations le consommateur utiliserait le pays d’origine pour évaluer le produit. De plus, «  des évaluations positives de produits particuliers de certains pays peuvent influer favorablement sur l’évaluation de produits différents venant du même pays » (Usunier J.C.).

«  Le processus de catégorisation peut aller dans les deux sens  : soit un pays évoque un produit, soit un produit évoque un pays. On parle alors d’ethnicité simple pays-produit ou produit-pays  »

Cependant, considérer le pays d’origine comme critère principal d’évaluation a conduit à une exagération de l’importance du label « made in ». Le pays d’origine du produit est désormais admis comme étant une clé d’évaluation utilisée par les consommateurs en combinaison avec d’autres attributs du produit comme le prix,....On note cependant que quelque soit la nationalité des consommateurs, l’image de solidité reste celles des produits allemands, celle du luxe est associée à la France, ....

Les recherches menées par J.C. Usunier, dont l’objectif est de mesurer les représentations des couples produits/pays et pays/produits au sein de quatre pays européens l’ont amené à distinguer plusieurs cas :

  • Les produits clairement ethniques pour lesquels une association pays-produit forte et biunivoque émerge (Montres et Suisse, Vin et France, Vodka et Russie) ;
  • Les produits multiethniques (bière, chocolat, riz, thé,...) ou le modèle régional dans lequel plusieurs pays d’une même grande zone géographique se partagent l’ethnicité (Asie, Europe,...) ;
  • Les produits à image floue (yaourt et vélo, dont l’ethnicité globale peut être calculée pour un pays au moins, sans qu’elle atteigne un niveau important (ex : seuls les français envisagent que le yaourt provient de Bulgarie, et le vélo n’est que faiblement associé à la Hollande,...).

En conséquence, les implications managériales liées à l’ethnicité des produits sont importantes et devront permettre aux entreprises d’intégrer et de développer des stratégies d’ethnomarketing.

«  Une fois que l’ethnicité globale d’un produit générique a été établie dans différents contextes nationaux, il est clair que l’intérêt pour le marketing international est de contribuer à la définition des marques (le contenu linguistique des marques étant lié à l’ethnicité des produits), de leurs connotations, du contenu créatif de campagnes (en termes d’évocation des pays et de produits qui leurs sont associés), voire de référents visuels pertinents pour les emballages  » (Usunier J.C.).

La marque Innoxa a d’ailleurs lancé en ce sens une gamme « ethno chic » de maquillage en 2003, dont l’axe de communication est ancré dans les valeurs du voyage « Turquoises indiennes, ocres exotiques,...avec la nouvelle collection Ethno Chic, la beauté ethnique devient voyage. Entre terres lointaines et rituels ancestraux, le maquillage explore de nouveaux territoires. »

Mais les associations entre pays et produit font partie de l’univers des consommateurs et se forment sur la base d’informations vraies, qui se transforment souvent en stéréotypes au sens le plus banal (les pâtes italiennes). Les entreprises devront être particulièrement vigilantes, quant à l’association produit/pays et au risque de catégorisation, car dans un monde où le marché se dit global, les représentations des consommateurs locaux sur l’ethnicité des produits restent en partie locales (ex du hamburger Mc Chao au poulet tatsuta parfumé à la sauce de soja de Mc Donald’s au Japon,...).

«  L’ère du melting pot historique semble révolue, une nouvelle expression résume de façon imagée cette attitude devenue dominante auprès des non-blancs anglo-saxons : le salad bowl., dans lequel vont venir se mélanger les différents composants (tels des aliments), mais chaque élément va garder son goût, sa couleur d’origine, son apport gustatif à la recette du plat ainsi élaboré (Tréguier J.P., 2003)  ».

Avec l’émergence de ces nouvelles mentalités, apparaissent également de nouveaux choix identitaires : certains individus choisissent de s’identifier symboliquement à des héritages ethniques, dont ils ne savent parfois presque rien, tant est devenue importante la recherche de racines  ; ce qui explique les regroupement familiaux autour de fêtes symboliques religieuses, qui prennent une dimension grandissante chaque année.

Il est devenu incontestable que les consommateurs ont une tendance de plus en plus marquée à rechercher et revendiquer leurs racines ou leur différence. Ce phénomène n’est pas propre aux Etats-Unis, il est universel.

Adopter le marketing ethnique, « c’est considérer qu’aujourd’hui, il existe un marché parallèle au marché grand public qui est un marché par communautés. C’est accepter l’existence d’une société composée d’un agrégat de communautés qui se distinguent par leurs modes de consommation, leurs styles de vie, leurs langages, leurs façons de s’habiller, leurs loisirs. C’est reconnaître que chaque ethnie (gr.ethnos, peuple) a une façon bien particulière de consommer et c’est capitaliser sur cela en lançant des produits, des campagnes censés refléter leurs envies et leurs besoins (Sengès A., 2003 ».

Alors que les consommateurs sont de plus en plus en difficiles à cibler, les entreprises affinent leurs stratégies de segmentation en ayant pris conscience que pour vendre, il faut parler le « langage du consommateur ». Aux Etats-Unis, terre d’immigration, mais aussi en Europe, la réhabilitation de l’identité communautaire risque de prendre essence justement sur le repli naissant qui semble de plus en plus le caractériser.

«  Encore assez politiquement incorrect, le communautarisme va-t-il percer dans le marketing ? A l’image des Etats-Unis, la France est elle aussi en train de passer du melting pot au salad bowl » assure le consultant Jean-Paul Tréguier (Enjeux Les Echos, 10/03).

Les différentes communautés y revendiquent l’intégration sans renoncer à leurs valeurs propres.

Cependant les freins au développement d’un « marketing ethnique « made in France » semble provenir du refus du communautarisme au nom des valeurs Républicaines, l’absence de statistiques qualifiant et quantifiant les marchés dits ethniques, les hésitations du milieu de la publicité à recommander un ciblage, le manque de visibilité des minorités dans la publicité et les médias en général (Sengès A., 2003) »....

....et peut être aussi pour les entreprises la question de sa rentabilité en France, même si les communautés ethniques semblent devenir une cible de premier plan pour les années à venir  : « environ 12 à 14 millions de personnes représentant plus de 20 % de la population française selon les croisement de données statistiques en l’absence volontaire de celles officielles des pouvoirs publics (Tréguer JP, 2003) ».

Pour aller plus loin :

  • Badot O., Cova B. (1995) : “Communauté et consommation : prospective pour un marketing tribal
  • Bon J.,Ollivier A. (1979), « L’influence de l’origine d’un produit sur son image à l’étranger »,RFM 77
  • Cova B. (1995), Au-delà du marché : quand le lien importe plus que le bien
  • Croué C. (1999), « Marketing International »
  • Sengès A. (2003), Ethnik
  • Tréguer JP, Segati JM (2003), « Les nouveaux marketing »
  • Usunier JC. (1998), « International and Cross-Cultural Managament Research”
  • Usunier JC(1998), “Equivalence et inéquivalence entre contextes culturels:l’approche linguistique »
  • pour télécharger l’article au format Pdf, cliquez sur le lien ci-dessous :

    La franchise internationale

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