La veille, une approche globale et stratégique un processus créateur de valeur et de performance pour les organisations

, par Béatrice Martin

Selon BADOT et COVA [1], le pouvoir s’est déplacé, glissant de l’accès des matières premières à l’accès aux sources d’information et à l’information. Cette nouvelle nécessité explique donc que l’une des conditions de survie de la firme est la veille quelle que soit son domaine d’étude. Pour BURGAUD, la veille est « une gestion de l’information qui se développe sur deux axes : spéculatif (recherche et recueil de l’information) et projectif (évaluation et projection des résultats éventuels) et qui concerne l’ensemble de l’entreprise aussi bien les fonctions technologiques que financières et commerciales. » L’AFNOR (norme XP X50-053, avril 1988) présente la veille comme une activité continue et en grande partie itérative visant à une surveillance de l’environnement technologique, commercial…pour anticiper les évolutions. Enfin Humbert LESCA grand spécialiste de la veille la définit comme « Le processus collectif continu par lequel un groupe d’individus traquent, de façon volontariste, et utilisent des informations à caractère anticipatif concernant les changements susceptibles de se produire dans l’environnement extérieur de l’entreprise, dans le but de créer des opportunités d’affaires et de réduire des risques et l’incertitude en général. […] L’expression veille stratégique est une expression générique qui englobe plusieurs types de veilles spécifiques telles que la veille technologique, la veille concurrentielle, la veille commerciale, etc. »

Historiquement ce sont les grands groupes industriels qui ont été les premiers à mettre en œuvre une démarche de veille. Dans un premier temps pour leurs opérations à l’international, pour suivre les mouvements de leurs concurrents, l’évolution des technologies et la solvabilité de leurs fournisseurs. Ces opérations étaient organisées autour d’un responsable de la veille, mais leur portée, en termes de nombre de destinataires, était limitée puisque le seul format de diffusion était le papier. Il est important de différencier veille et espionnage industriel souvent associé à tort. La veille fait référence à des sources d’information dites « ouvertes » accessibles et ce de manière légale. Quant à l’espionnage industriel, il fait plutôt référence à des procédés visant à obtenir des informations de la concurrence par tous les moyens (récupération de poubelles, écoute téléphonique, achats d’informations). Même si l’espionnage industriel existe encore, on peut dire que l’ouverture et l’accessibilité croissante des informations a rendu ce procédé peu loyal moins utilisé. L’émergence de l’Internet et l’appropriation par les entreprises des systèmes d’informations a permis de rendre les produits de veille accessibles au plus grand nombre. De nouvelles possibilités sont ainsi apparues, permettant de rendre la démarche plus efficace : un plus grand nombre de destinataires, une meilleure mise à jour des informations, un plus grand volume d’informations traitées.

L’apparition d’outils accessibles à tous de type open source ont permis de mettre la surveillance de leur environnement à la portée de toutes les organisations et ce de manière quasi automatisée. Nonobstant ces avantages, il convient de mettre en place une démarche rationalisée de la veille d’informations pour qu’elle reste au service de la stratégie tant dans ses moyens que dans son orientation. Quelle importance revêt la veille aujourd’hui et quelles sont ses caractéristiques fondamentales pour être optimale ? Enfin la veille doit rester au service d’objectifs à atteindre : chronophage et coûteuse en terme humain et technique elle se doit de dégager pour l’organisation une réelle valeur. Face à ce qui est appelée aujourd’hui l’infobésité, il faut garder le cap sur les apports de cette démarche. La veille est efficace si et seulement si elle répond à des objectifs définis précisément .Elle doit contribuer de façon adaptée à la production d’informations utiles et utilisables pour répondre à sa vocation initiale qui est d’anticiper les évolutions afin de conserver ou de créer un avantage concurrentiel clair.

 1. Etat des lieux

Les typologies de veilles

L’analyse des cinq forces de PORTER (1986) met en évidence les cinq dimensions sur lesquelles l’entreprise peut agir afin d’optimiser son avantage concurrentiel : la rivalité de concurrents, la menace de nouveaux entrants, la menace de produits de substitution, le pouvoir de négociation des clients, le pouvoir de négociation des fournisseurs. D’après cette analyse Martinet et Ribaut (1986) ont mis en évidence la relation entre les différents paramètres de PORTER et les veilles qui peuvent leur être associées.

Les 4 types de veille associés aux cinq paramètres de Porter [2]

Les veilles définies par Martinet et Ribault peuvent aussi être des composantes d’une veille plus globale (Portnoff, 1990) ou plus stratégique (Calori, Atamer & Laurent, 1988). On peut parler de veille stratégique ou prospective qui vise à fournir aux décideurs des entreprises un ensemble d’informations afin de les assister dans leurs prises de décisions stratégiques. Cette veille s’appuie sur l’exploitation de signaux faibles pour réduire l’incertitude liée à l’environnement.

Quant à La veille opérationnelle, elle vise à donner aux acteurs de terrain les informations et les connaissances à la bonne pratique de leur métier dans un souci de performance et d’efficacité. Elle peut être scindée en différents types de veilles.

Les nouveaux territoires de la veille se multiplient

Cependant cette typologie inspirée de Porter ne saurait être exhaustive. Les domaines de la veille peuvent se multiplier à l’infini : chaque fonction peut développer sa veille (marketing, juridique, finance,..) et certaines veilles sont apparues avec le développement de l’exposition des marques sur le net : veille de l’e-réputation, veille d’opinion sur les réseaux sociaux.

Type de veille Objets d’étude Objectifs
Veille concurrentielle Evolution concurrents directs/indirects, actuels et potentiels Politique de prix Choix de fournisseurs Stratégie d’entreprise Politique de recrutement Moyens de communication Outil de benchmarking Repérage et maintien de l’avantage concurrentiel
Veille marketing Analyse environnement externe/interne Politique marketing de l’entreprise et des concurrents Evolution du marché Comportement des consommateurs Analyse des retombées des actions marketing Identifier de nouveaux marchés Proposer de nouveaux produits Accompagner le lancement de l’offre
Veille commerciale Clients/prospects Fournisseurs/distributeurs Signatures de contrats Evaluation de solvabilité Evolution clients Surveillance appels d’offre Identifier les prospects Optimiser les achats Influer sur le pouvoir de négociation avec les autres acteurs de son environnement
Veille e - réputation Image positive Notoriété des dirigeants

Veille d’opinion Niveau de satisfaction / insatisfaction

Conversations blogs, forums, réseaux sociaux

Critiques et avis des consommateurs

Anticipation des signes de futures crises. Empêcher des détournements d’image Anticiper décalage image perçue/image voulue. Repérer les attentes/niveaux de satisfaction Proposer de nouveaux produits, améliorer l’offre
Veille juridique Législation Législation Nouveaux textes, jurisprudence Etre en conformité avec la loi. Utiliser les décisions juridiques pour lancer de nouveaux produits, attaquer de nouveau marché
Veille technologique Innovation Evolution des produits Dépôts de brevets / nouveaux procédés Etre en conformité. Repérer les actions des concurrents
Veille sociétale Evolutions de la société Evolutions : sociale (climat), culturelle (mœurs valeurs) démographique (population) politiques (opinions) économique (croissance, pouvoir d’achat) S’adapter aux attentes, repérer les freins actuels et à venir.

 [3] [4]

Les veilles une plus ou moins grande nécessité ?

Selon Gérard Verna [5] toutes les entreprises devraient malgré les sacrifices que cela occasionne, mettre en place un système de veille. Il préconise de prioriser la surveillance des différents éléments en fonction de la taille de l’entreprise.

Ainsi une veille concurrentielle devrait toujours être au cœur de la surveillance de l’environnement des entreprises.

De plus, pour un quart des entreprises connectées à internet, la veille commerciale est le troisième motif de connexion au réseau. Ce qui indique un intérêt pour cette surveillance de leurs marchés [6]

Le cycle de la veille

Le cabinet Mediaveille spécialisé dans ce domaine présente la méthode de veille rationnalisée [7] qui utilise essentiellement le web mais qui peut être étendue en utilisant d’autres sources à tous les types de sources d’information et tous les moyens de collecte. Le fil directeur de ces méthodes de veille est un processus continu dans le temps. Cette méthode actualisée par les nouveaux outils s’appuie sur une démarche largement reconnue, celle du « cycle du renseignement ». Principalement, cette démarche comprend les étapes suivantes [Alquier et Salles, 1997] :

  • l’expression des besoins ;
  • la recherche d’informations ;
  • l’exploitation (vérification, traitement, analyse, synthèse) ;
  • la diffusion aux destinataires.
1. Expression des besoins Cadrage : définition du périmètre et des « clients » (utilisateurs). La ou les finalités de la veille hiérarchisées sous forme de question (ponctuelle/permanente) Les types d’analyse à fournir, les types de données à collecter, les sources à exploiter (formelles/informelles) La définition du budget.
2. Collecte des informations Le plan de collecte : favoriser l’automatisation de la collecte. Repérer les sources formelles (écrites) et informelles (orales) et s’attacher à ne pas oublier ces dernières : repérage des acteurs en contact avec les différentes sources d’information ou dont l’action peut avoir une influence sur l’avenir de l’entreprise.

La collecte : utilisation d’agents intelligents pour les sources électroniques. Premier classement et stockage des informations brutes (données).
3. Traitement Phase de transformation de la donnée en information utile à valeur ajoutée. Les informations brutes sont mises en perspective et indexées : importance du phénomène d’apprentissage individuel et collectif Une synthèse est produite qui répond à la question des clients de la veille.
4. Diffusion Mise à disposition sous forme de livrables spécifiques. Détermination du : profil des utilisateurs, la gestion et des droits d’accès à l’information, format de restitution (oral, électronique, papier), la quantité d’informations, la fréquence. Mode de diffusion : par les stocks (passif) par les flux (actif) Les supports possibles : un intranet veille, une lettre d’information. Les précautions : la gestion des droits de diffusion, les droits de copie.

 [8]

On retrouve cette démarche dans la description du processus de veille de la norme AFNOR XP 50-053 : Prestations de veille et prestations de mise en place d’un système de veille [9].

Enfin la méthode LESCAnning(r) de Humbert LESCA permet de mettre en place sur une durée de quatre mois environ une méthode de veille qui met l’accent sur un certain nombre de concepts proches de ceux évoqués dans le cycle classique de veille (ciblage, sélection, diffusion) mais aussi sur certains points novateurs comme :

 [10]

  • Un apprentissage progressif des acteurs de la veille qui contribue à une efficacité grandissante du système.
  • un dispositif d’intérêt collectif qui doit faire émerger une intelligence collective : c’est l’ensemble du réseau qui sélectionne et donne du sens à l’information.
  • La motivation des traqueurs de « terrain » au plus près de l’information mais aussi sur l’implication de la collectivité pour donner du sens aux informations collectées.

Veille et intelligence économique : points communs et différences

Les termes de veille et intelligence économique semblent proches et pourtant ils recouvrent des réalités bien distinctes. Le concept est apparu en 1994 dans le rapport Martre du commissariat au plan. La dimension stratégique de cette veille est apparue comme « un ensemble d’actions coordonnées de recherche, traitement et distribution en vue de son exploitation de l’information utile aux acteurs économiques ». L’intelligence économique vise l’entreprise dans sa globalité ou un Etat dans le cadre d’une stratégie économique nationale ; D’ailleurs Paul Degoul distingue les deux concepts :

  • la veille a une logique verticale : Etat de l’art à un moment donné ou de manière permanente et qui répond à une demande individuelle ou ponctuelle.
  • Logique horizontale de l’intelligence économique : surveillance collective dans l’intérêt global de l’entreprise.

Corinne COHEN distingue les deux outils dans leur capacité à influer sur les décisions : la veille na pas pour objectif d’énoncer des orientations pour les décideurs alors que l’intelligence économique émet clairement des recommandations à destination des décideurs. Le tableau suivant présente les différences entre veille, veille stratégique et intelligence économique (Mylène Leitzelman, du laboratoire d’Informatique, Signaux et Systèmes de Sophia-Antipolis) :

 [11]

La veille une composante du système d’Information marketing

Le SIM associe des hommes des équipements et des procédures en vue de rassembler, trier et analyser et diffuser les informations utiles, nécessaires et pertinentes aux responsables marketing pour les aider à prendre des décisions (Kotler).

Le Système d’Information Marketing ne peut être un outil opérationnel et efficace si et seulement si, il agrège de manière permanente les informations en provenance de toutes les parties prenantes de l’entreprise. Le système d’information marketing peut être analysé sous l’angle de l’origine des informations :

  • Il centralise les informations internes en provenance des différentes fonctions de l’entreprise : fonction commerciales, financière, techniques.
  • Il regroupe les informations externes à l’entreprise : la surveillance du micro et macro environnement est réalisé au travers de l’intelligence marketing et d’un ensemble de moyens mis en œuvre : le système d’intelligence marketing. Cette démarche de recherche d’informations sur les évènements et tendances de l’environnement permet aux dirigeants de se tenir informé de manière continue.

Le système d’information marketing est donc un système plus global dont la veille fait partie : il centralise toutes les informations utiles pour des prises de décision. Ce qui différencie la veille du SIM est l’attitude volontariste des « veilleurs » ou dirigeants qui mènent la veille. L’information est peut-être existante mais dans une démarche de veille elle est exploitée et ce dans le but de répondre à un objectif opérationnel (lancement de produit) ou stratégique (avantage concurrentiel).

Des outils de veille de plus en plus efficaces…et à la portée de toutes les organisations

Les outils de veille se multiplient et trouver le bon outil suppose de faire de la veille…sur les outils de veille ! Au delà des outils de veille qui sont élaborés par des sociétés spécialisés, il existe un certain nombre d’outils gratuits permettant de mettre en place une veille intéressante. Il convient donc de faire le point sur l’existant et d’optimiser certains outils disponibles comme les moteurs de recherche et flux RSS [12]. Le critère de performance d’une veille bien menée est de se rapprocher le plus possible de la source pour capter les signaux faibles à haute valeur stratégique et ce avant qu’ils ne deviennent des signaux forts connus de tous. Mettre en place un système de collecte de l’information (phase 2 du cycle de veille) doit passer par les étapes de recherche, surveillance et stockage de l’information telles qu’elles sont proposées par Christophe Deschamps [13].

 [14]

  • Rechercher l’information par la maîtrise des moteurs de recherche permettra d’accéder à des contenus lors de recherches ponctuelles (blogs, avis, images, vidéos) ou à des sources qu’il faut qualifier (voir pour cela annexe 6.e-book page 55 Frédéric Martinet comment qualifier ses sources d’informations).
  • Surveiller et ce de manière automatisée : le déluge de données actuel ne permet pas de mener une veille régulière et exhaustive : il faut des outils de sélection et de repérage des informations clés et nouvelles :
    • Si une source possède un flux RSS, on utilisera alors un agrégateur de flux (google reader, feeddemon,..)
    • Si la source n’en dispose pas on utilisera un outil classique : Watchthatpage, Dyphur, Wysigot
    • Les alertes e-mail avec google scholar alert
    • Les recherches dans les bases de données.
  • Les outils de veille gratuits nécessitent une réflexion préalable sur les axes de la veille afin de repérer les sources pertinentes et de paramétrer des alertes adaptées.
  • le stockage des informations collectées reste une étape cruciale : comment indexer l’information pour la retrouver, comment la diffuser ?
  • La diffusion : C’est souvent sur ce point que les processus de veille restent à optimiser. Lesca distingue deux modes de relation entre l’utilisateur et l’information : La diffusion ou PUSH pousse l’information vers l’utilisateur alors que l’accès ou PULL met en place les conditions de contact entre l’utilisateur et l’information.

 [15]

Dans tous les cas le réseau de capteurs humains doit être géré pour récupérer des informations qui pourraient enrichir la veille. On parle alors de knowledge management ou gestion des connaissances dont la tendance actuelle est marquée par les formes collaboratives de veille. Les outils et supports de diffusion de la veille ont évolué : aux formes écrites (rapports, documents informatiques, internet) et orales classiques, sont apparues de nouvelles formes de diffusion plus collectives et interactives. Le microblogging (twitter) ou les blogs, les wiki (système de production collaborative), portails d’entreprises ou de sites

Des données aux informations et à la connaissance…la veille créatrice de valeur.

Le processus ou cycle de veille a pour objectif de transformer des données brutes collectées au fur et à mesure auprès de sources repérées (exemple les ventes d’un concurrent) en information qui répond au besoin d’un secteur ou d’une entité (commerciale, marketing, technologique,..) : on parle de contextualisation des données. A ce stade l’information a une plus grande valeur que les données. Enfin ce qui compte dans le management des connaissances sera de renforcer la valeur des informations afin que les collaborateurs des organisations enrichissent, renforcent, augmentent leur niveau de connaissance.

 [16]

On parle du modèle DIK (data, information, knowledge) présenté dans le rapport de recherche sur la valorisation des données publiques [17] :

  • Une donnée brute (D) correspond à des quantités ou d’autres attributs quantitatifs et qualitatifs issus de l’observation, de l’expérimentation, de la mesure ou de calculs. La donnée n’est pas structurée, contextualisée ou commentée.
  • L’information (I) correspond à une collection de données contextualisées et structurées avec une intention de la part du producteur de leur donner un sens.
  • La connaissance (K) correspond à une appropriation cognitive de l’information par un individu qui l’organise, la synthétise et/ou la résume pour en améliorer la compréhension.

Sur ce point, les efforts des organisations publiques tendent vers un enrichissement des données brutes (D) afin de favoriser une plus large diffusion et de réduire le coût d’absorption de l’information par les utilisateurs.

Les typologies de l’information : blanches, grises, noires

L’information est au cœur du système de veille. De la valeur de son contenu mais aussi de son accessibilité dépend en grande partie la qualité du processus de collecte et bien entendu du traitement qui s’y réfère. Il convient donc de rappeler les principales typologies liées à l’information et leur accessibilité. La connaissance des types d’information, des supports disponibles de collecte et de diffusion peut améliorer le système de veille et son efficacité.

 [18]

 2. La veille et la performance organisationnelle

La veille une nécessité dans une économie chahutée

Badot et Cova parlent d’économie de tohu bohu pour illustrer l’état d’instabilité dans lequel les entreprises évoluent [19]. Cette instabilité les force et les condamne à de nouvelles approches stratégiques plus flexibles et plus complexes que les auteurs qualifient même de stratégie vulpine. La stratégie vulpine est l’occupation de l’espace de façon ultra rapide modulaire, horizontale et exploratoire en vue d’anticiper les réactions des demandeurs et des offreurs et d’occuper le plus longtemps possible une position distinctive sur le marché (Badot 1990)

Cette tendance est encore accentuée par le développement d’entreprises polycellulaires (Landler 1989) qui sont issues des marchés, des produits et des projets, plus que des fonctions. Ce qui les rend encore plus sensibles à toute mouvance de leur environnement duquel elles ont émergé. On est passé d’une approche technocratique et mécaniste faite pour des environnements tranquilles à des approches plus souples qui utilisent l’environnement et ses pulsions comme le surfeur utilise la vague ou le sculpteur le grain de pierre (Mintzberg).

Le déluge de données « big data »pousse les entreprises à rationnaliser leur veille

De 2011 à 2020 la croissance annuelle du volume de données produites dans le monde sera de + 40 % (Mc Kinsey, mai 2011). Le nouveau défi des marketeurs est donc de traiter en temps réel de gros volumes de données de format variés et à les analyser. C’est ce que les professionnels nomment aujourd’hui le « big data » [20] Toutes les entreprises sont concernées pour améliorer leur connaissance client. L’accès à de nombreuses informations non structurées pousse les entreprises à donner du sens à ces données. A l’origine ce sont les grands acteurs du numérique qui disposant de nombreuses informations sur leurs clients et leurs utilisateurs ont souhaité valoriser leurs services. De grands groupes comme Facebook, Amazon et Google ont déjà mis en place des structures informatiques pour traiter ces grands volumes de données. Ce qui a changé c’est la diversité des sources d’origine des informations et de leurs formats : ce qui se dit sur le web, les réseaux sociaux et les forums mais aussi toutes les informations en provenance des voitures, mobiles, télévisions. Les data doivent être traitées en temps réel avec des formats aussi variés que des vidéos, photos, audio qui sont autant de données non structurées. Le big data permet de vérifier une intuition, de poser les bonnes questions puis de vérifier à partir de la masse d’informations, si l’idée repose sur du concret. Un panel 2.0 en somme.

La veille au cœur d’un processus de performance

L’instabilité et la complexité des environnements d’affaires engendrent une dose d’incertitude et de risque. Les veilles constituent alors des moyens pour accroître la performance des organisations. Ainsi pour Luc CHAPUT, la veille se place au centre d’un cadre conceptuel : Environnement, Stratégie, Performance [21].

Ainsi la veille va permettre de mettre en œuvre les différents composantes d’un processus global qui passe par les étapes suivantes :

  • L’étalonnage appelé aussi benchmarking qui permet de se comparer avec un produit ou une entreprise ayant de meilleurs résultats afin de se fixer des objectifs d’amélioration. Il existe trois types de benchmarking : compétitif, fonctionnel, générique.
  • La gestion des connaissances qui prend en compte les flux d’informations
  • Le mimétisme entre des entreprises dont l’une souhaite épouser l’une des caractéristiques organisationnelles. Les entreprises sont naturellement poussées à ressembler aux entreprises dominantes dans leur secteur.
  • L’isomorphisme : les cinq sous systèmes (stratégique, technique, structurel, culturel et humain, et management) seront reproduits afin d’atteindre le niveau de performance du concurrent modèle.
  • Le niveau d’aspiration : vouloir reproduire les modes d’organisation des entreprises dominantes pousse les managers à tendre vers un niveau d’aspiration toujours plus élevé

La veille stratégique peut être optimisée au travers d’un management par processus en vue de dégager de la valeur.

Le management par processus est un travail qui permet d’identifier, de clarifier et d’améliorer les pratiques créatrices de valeurs pour les clients, les actionnaires, le personnel, la collectivité et les partenaires d’une organisation (Mongillon 2003). [22]

La notion de processus est reliée étroitement à celle de qualité. Le processus permet par la combinaison d’activités de transformer des données d’entrées en données de sortie. Ces données peuvent être des flux physiques ou informationnels. La veille stratégique peut donc être abordée sous l’angle d’un processus avec une stratégie qui donne le sens, l’environnement extérieur qui regroupe les données permettant à l’entreprise de rester en état de veille et les résultats qui représentent la finalité attendue. Le cycle de veille présenté en première partie est une séquence de procédure et d’étapes à respecter pour optimiser la veille. Il est cependant intéressant de redéfinir la veille comme un processus optimisateur : comme une combinaison de moyens en vue de produire un résultat : l’état de veille et l’adaptation aux évolutions de l’environnement. L’optimisation du cycle de veille correspond à la réalité des processus qui sont aussi des représentations de séquences d’activité en vue de l’amélioration de la performance de l’entreprise. Comment dans ce cas, utiliser le processus comme un moyen d’optimisation de la veille ? Le découpage des étapes d’un cycle de veille (voir le cycle de veille partie 1) permet de mettre en évidence des contraintes et des risques qu’il va falloir anticiper et prendre en compte :

  • Le manque de motivation des acteurs de la veille pour coopérer, sélectionner l’information et la transmettre est un obstacle qu’il faut résoudre (Thiertart 1981)
  • Une fois ce problème résolu, la sélection des informations doit se faire de manière fluide et aisée dans le cadre des activités courantes des traqueurs d’information (Lesca 1994).Il est difficile pour eux de repérer les informations stratégiques dans un contexte de surcharge d’informations et de pression de temps.
  • Distinguer les différents types d’informations en fonction de leur finalité peut permettre de repérer justement les informations stratégiques :
  • Lesca distingue :
    • Les informations de fonctionnement (indispensable au fonctionnement quotidien, caractère répétitif : commande client),
    • Les informations d’influence qui coordonnent les comportements et qui correspondent à une finalité attendue (contrôle de solvabilité),
    • Les informations d’anticipation (perception d’un changement de l’environnement qui pourrait faire évoluer son avantage concurrentiel, degré de satisfaction du client).

Le lien existant entre ces trois types d’informations met en évidence la prise en compte au sein de la veille d’une logique qui confère leur valeur aux informations collectées. En effet, chaque information prise séparément ne peut représenter un intérêt stratégique.

Dans le cadre d’un environnement de plus en plus turbulent et de cycles de vie des produits qui se raccourcissent, la veille doit être calée au plus près des processus. Seule cette approche va pouvoir mettre en relation les informations utiles de la chaîne de production depuis l’évènement générateur de l’activité de l’entreprise, en passant par le stockage et le contrôle jusqu’à la satisfaction client.

Il semble que la gestion de la veille stratégique par les processus permette une optimisation des procédures en mettant en relation les étapes du cycle de veille dans la logique du fonctionnement de l’entreprise ; en caractérisant les informations d’entrée et de sortie et en impulsant au travers de la stratégie une orientation à cette démarche.

Un exemple de contribution à la performance de l’entreprise : la veille commerciale.

La veille commerciale consiste en la collecte, le traitement et la diffusion d’informations afin de servir une entreprise dans un but de développement commercial. Elle s’intéresse aux marchés, aux fournisseurs et aux clients. Les objectifs sont de différentes natures : conquête de nouveaux prospects, lancements de nouveaux produits, positionnement par rapport à la concurrence. En fonction de ces objectifs, la nature des informations recherchées peut être définie : recrutements, lancements de produits, projets de développement des concurrents. La veille commerciale peut aussi avoir pour objectif d’augmenter l’efficacité du travail de développement de clientèle de l’équipe commerciale. Selon la Société Vecteur Plus dans son livre blanc [23], les commerciaux passent 71 % de leur temps à ne pas vendre et consacrent 9 % de leur temps en prospection. Le reste du temps étant consacré aux tâches administratives. La veille commerciale peut donc accroître l’efficacité des commerciaux dans leur mission de prospection. Une veille commerciale a pour objectif dans ce domaine de repérer en provenance de toutes les sources des signaux d’intentions d’achat (appels d’offres, apparition de besoin liée à un évènement chez des prospects). Une veille commerciale organisée pourra fournir des informations qualifiées sur ces points : personne à contacter, descriptif du besoin. Le commercial gagnera un temps précieux qu’il passait à rechercher l’information, qualifier ses fichiers. Ce type de veille proactive renforce le professionnalisme du commercial et améliorera la qualité de la relation avec le client/prospect.

La veille et la performance de l’entreprise : le cas des PME technologiques.

La veille stratégique contribue-t-elle à la performance des entreprises ? Pendant longtemps, le champ de la recherche ne s’était pas étendu sur ce domaine pourtant essentiel à la survie des organisations dans un environnement devenu par trop instable. Josée AUDET, professeur à l’université du Quebec a tenté de mettre en évidence un modèle reliant veille et performance en prenant appui sur les états de recherche préalables suivants [24] : Un certain nombre d’auteurs a essayé de mettre en évidence la relation entre l’activité de veille et la performance d’une organisation. Dollinger en 1984 a vérifié auprès de 84 dirigeants d’entreprises qu’il existe une relation entre l’intensité des activités de veille, l’habileté du dirigeant à traiter l’information et la performance de l’entreprise. Dans ces travaux il a été mis en évidence que c’est l’intensité de veille qui explique la variance de la performance. En 1988, Daft Sormunen et Parks ont réalisé une étude auprès de 50 entreprises de taille moyenne et ont repéré que les entreprises performantes étaient celles qui ajustaient leur veille à l’incertitude stratégique qu’ils perçoivent. En 1991, Kaish et Gilad ont constaté que les activités de veille perdent de leur intensité au fur et à mesure que les PME gagnent en expérience et profitabilité et qu’elles se concentrent sur la gestion interne plutôt que sur la recherche d’occasions. Enfin Kumar et Yauger en 1994 ont noté que l’évolution du système de veille impactait sur le niveau de performance de l’organisation. Partant de ces constats préalables, Audet retiendra les trois dimensions pour évaluer l’impact de la veille sur la performance :

  • L’intensité de la veille (efforts de veille)
  • Intégration de l’information dans le processus stratégique
  • Adéquation de la veille et l’incertitude perçue des secteurs observés
  • Pour la performance il sera pris en compte :
  • Rentabilité de l’entreprise (rendement sur les ventes)
  • Taux de croissance des ventes

 [25]

L’étude menée a été réalisée par comparaison intersites et a permis de mettre en évidence les caractéristiques associées au succès des entreprises.

 [26]

Les explications sont les suivantes :

  • La motivation des dirigeants à faire de la veille est leur attitude de précurseur : ils veulent précéder les tendances et identifier les occasions
  • Les informations utiles sont perçues sur un horizon de long terme.
  • Enfin ils ont une réflexion stratégique de la gestion des réseaux d’information qui leur permettent de collecter de nombreuses informations

La veille et la performance de l’entreprise : le cas des PME exportatrices

D’autres travaux de recherche ont mis en évidence la relation entre les comportements d’information et la performance [27].

Dans ses travaux de recherche, portant plus précisément sur les entreprises exportatrices, Ramangalahy met en évidence la relation existant entre leur comportement de captation de l’information et leur performance. L’étude porte sur des entreprises reconnues comme étant les plus compétitives sur leur secteur en termes de qualité, de capacité à produire des produits uniques et de la réputation acquise sur leur secteur d’activité. Enfin elles ont connu des croissances soutenues de leurs emplois ventes profits et exportation.

La capacité d’absorption d’information serait le critère le plus satisfaisant pour caractériser le comportement de l’entreprise dans ce domaine : une entreprise qui possède une grande capacité d’information serait donc mieux informée. Cette capacité d’absorption rassemble un certain nombre de dimensions : la richesse respective des compétences, des informations, des sources d’information, des expériences et des pratiques de gestion.

Quant à la performance, elle rassemble trois dimensions : stratégique, économique et marketing : La dimension stratégique a trait à la satisfaction des dirigeants concernant les réalisations globales de leur entreprise, la dimension économique a trait à la croissance des entreprises, et la dimension marketing aux exportations. Les hypothèses posées par les travaux de recherche en question postulent que : l’information est une ressource stratégique impactant sur la performance par l’intermédiaire de la compétitivité.

Les résultats indiquent que le pouvoir explicatif de la capacité d’absorption de l’information sur la compétitivité est supérieur à celui de la compétitivité sur la performance. Il existe donc des relations de causalité positives et fortes entre d’une part la capacité d’absorption de l’information et la compétitivité, et d’autre part, la compétitivité et la performance des entreprises échantillonnées.

Enfin les dimensions de la capacité d’absorption d’information semblent être toutes importantes mais le pouvoir explicatif des pratiques de gestion reste dominant pour caractériser la forte capacité à intégrer l’information. Des analyses typologiques et empiriques permettent de vérifier que les PME exportatrices les mieux informées sont les plus compétitives et les plus performantes. L’analyse des groupes fait apparaître trois classes :

  • les PME à faible capacité d’absorption et peu performantes
  • Les entreprises en transition, en croissance avec des exportateurs proactifs et novateurs
  • Les entreprises à forte capacité d’absorption qui sont les plus compétitives et les plus performantes.

Organisation humaine de la veille : Réseau, intelligence collective et veilleur

Au sein des organisations la veille peut être plus ou moins structurée et organisée pour différentes raisons (coût, fluidité, efficacité). Le choix entre une structure formelle et informelle présente des avantages et inconvénients qu’il convient de rappeler :

 [28]

La mise en place d’un réseau de veille est recommandée par certains auteurs comme H.LESCA car il serait alors le seul moyen d’augmenter les chances de capter des signaux faibles de l’environnement (Fayard 2000).

Le réseau regroupe aussi un ensemble de « capteurs » multidisciplinaires qui en agissant permettent de mettre en place un « réseau d’attention » (S. Amabile, 1997) à partir de la dynamique des interactions des veilleurs. Le réseau peut être alimenté par des capteurs humains issus de toutes les fonctions mais il se doit d’être animé par un ou plusieurs veilleurs organisés de manière concentrée ou répartie (Hermel 2001) ou bien éclatée au sein des différentes fonctions de l’entreprise. On parle de cellules de veille. Dans une structure concentrée les veilleurs sont en général proches des fonctions stratégiques de l’entreprise. Le réseau de veilleurs et de traqueurs apparaît alors comme un dispositif d’intérêt collectif et partagé au sein d’une intelligence collective d’entreprise. De ce point de vue la veille est une démarche collective faisant intervenir toutes les fonctions de l’entreprise dans les phases de collecte, traitement et diffusion. Elle est donc de ce fait, indissociable du concept d’intelligence collective « il y a intelligence collective lorsque les signes observés dans l’environnement, leur sélection et leur mise en relation pour créer du sens sont l’objet d’un travail collectif à l’occasion duquel les membres du groupe dont en communication et en interaction sous toutes formes appropriées dans le respecte de certaines règles de comportement de travail en groupe » Humbert LESCA.  [29]

Quelle place alors pour le veilleur en tant que tel ? Le poste de veilleur Historiquement découle des fonctions d’intelligence économique et des pratiques de recherches de documents. La définition du métier issue de pôle emploi (http://www2.pole emploi.fr/rome/pdf/FEM_M1403.pdf) est loin de témoigner de la richesse des attendus de ce métier au cœur d’un réel processus d’intelligence collective. « Analyse des données (économiques, statistiques, ...) et les restitue en une information opérationnelle et stratégique d’aide à la décision pour la structure, l’entreprise. Peut réaliser et mettre en œuvre le recueil de données. Peut coordonner une équipe ou diriger un service »

Pour Humbert LESCA et dans le cadre de sa méthode L.E.SCannings(r) l’animateur de la veille doit avoir un double profil : communicant et technicien. Les qualités attendues devront aussi s’adapter à la position que l’entreprise aura choisi vis à vis de son « état de veille ». Si l’entreprise est un mode « commande » et répond au besoin d’un demandeur et utilisateur, le veilleur peut rester en attente et adopter un mode de diffusion par les stocks. Mais si l’entreprise choisit un mode de veille de type « alerte » ou par les flux, l’animateur de la veille devra organiser, gérer et stimuler le réseau de capteurs ; Ses qualités seront alors de toute évidence orientées vers la prise d’initiatives et la communication.

 Sources

Le NEOMARKETING (reloaded). BADOT et COVA.2009.

La veille technologique, une ardente nécessité - Gérard VERNA : http://www.fsa.ulaval.ca/personnel/vernag/PUB/veille.html

L’intégration des TIC est incomplète dans les entreprises- Insee - Avril 2008.

La fonction veille et ses outils - « Les matinales » agence de développement Val de Marne : http://www.valdemarne.com/IMG/pdf/BrochureC3M2.pdf

La diffusion des résultats de la veille : enjeux, méthodes et pratiques - Mémoire Anna Leymarie pour le titre de chef de projet en ingénierie documentaire - juillet 2011 : http://memsic.ccsd.cnrs.fr/docs/00/67/98/52/PDF/LEYMARIE.pdf

Veille, regards croisés sur la veille (page 13) - Christophe Deschamps (Ebook) : http://www.slideshare.net/captainjob/ebook-regards-croiss-sur-la-veille

La veille stratégique intégrée - Luc CHAPUT : http://www.ic.gc.ca/eic/site/ic1.nsf/fra/accueil

BIG DATA, BIG CHALLENGE - Marketing Direct N°153 - 01/02/2012 - Christophe Dutheil : http://www.e-marketing.fr/Marketing-Direct/Article/BIG-DATA-BIG-CHALLENGE-42036-1.htm

Le management par processus et la veille stratégique - Mohamed Jaouad El Qasmi.

Une veille commerciale pour prospecter efficacement - Vecteur Plus.13 - juin2009 : http://www.vecteurplus.com/_asset/docs/une-veille-commerciale-pour-prospecter-efficacement-juin2009.pdf

La veille stratégique chez les PME de haute technologie : une étude de cas par comparaisons inter-sites - Josée AUDET.

Capacité d’absorption de l’information, compétitivité et performance des PME exportatrices : une étude empirique - Thèse HEC de Charles Franklin Edmond Ramangalahy : http://www.irec.net/upload/File/memoires_et_theses/209.pdf

La valorisation des informations du secteur public (ISP) : un modèle économique de tarification optimale - Rapport de recherche

L’information : définition et enjeux (campus économie gestion) : http://www.canege.org/demos/FQ_Novantic/apports_novantic/txt/Txt082.pdf

Typologie de l’information : http://www.canege.org/demos/FQ_Novantic/apports_novantic/txt/typo_info.pdf

Comment organiser son système de veille stratégique - Manelle Guetchouli : http://s244543015.onlinehome.fr/ciworldwide/wp-content/uploads/2010/01/guechtouli_systeme_veille.pdf

La méthode LESCAnning de Humbert LESCA - L’animation de la veille stratégique - Humbert LESCA - 2010. http://www.veille-strategique.org/lescanning/lescanning.htm

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La veille, une approche globale et stratégique : un processus créateur de valeur et de performance pour les organisations.

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