L’émergence et les enjeux du marketing des ressources humaines

, par Stéphanie Thieyre

Associer marketing et ressources humaines peut paraître incongru. Les ressources humaines ont une certaine aura, un relatif sérieux, qui semble en dissonance avec le domaine du marketing. Il est en effet encore à déplorer en France une image parfois dévalorisée de la fonction marketing dont le stéréotype de l’employé s’approche plus du « vendeur de tapis » que de l’expert en communication. C’est gravement méconnaître la rigueur dont les hommes et les femmes doivent faire preuve dans un service marketing. Les crises économiques se succèdent et une partie de la population active a des difficultés à trouver du travail. L’individualisme devient prédominant, il est d’autant plus vital de créer de nouvelles solidarités, au sein de l’entreprise. Ces problématiques sont sensibles car nous évoluons dans un monde complexe où le marché du travail est une variable clef de l’insertion sociale. Le service ressources humaines est au cœur de l’organisation et cristallise toutes les attentes, en termes de performance, motivation et pérennisation de l’activité. C’est dans cet état d’esprit que les responsables des ressources humaines vont devoir apprendre à se servir de techniques issues du marketing pour attirer leur futur employé (le séduire), l’intégrer (l’accueillir) et l’inciter à rester dans l’entreprise (le fidéliser).

 I. Le plan marketing RH

Le marketing est un outil déterminant lorsqu’un marché est caractérisé par une raréfaction de ses ressources. C’est ce qui arrive au marché des ressources humaines qualifiées. En ce sens, les entreprises qui disposent d’un personnel compétent et fidèle, ont très clairement un avantage concurrentiel. Adopter le concept novateur de « plan marketing RH » permet de mettre en place une stratégie d’entreprise à long terme.

un concept novateur

Le temps où les entreprises se satisfaisaient d’employés peu qualifiés et peu motivés par leur travail est révolu. Aujourd’hui la qualité des membres de l’organisation est essentielle car la diminution des structures implique une plus grande polyvalence de ses membres. On entend parfois le vocable « cliemployés », qui signifie que l’entreprise doit connaître ses employés comme ses clients, pour utiliser au mieux leurs compétences et les fidéliser.

Les entreprises doivent quitter leurs positions défensives et passer à l’offensive. Elles ne doivent plus se contenter d’attendre que des individus postulent spontanément, mais cibler le type d’employés dont elles ont besoin et les inciter à candidater au sein de leur organisation. Cette démarche implique différenciation et segmentation. Elles doivent connaître leur image en interne et à l’extérieur de l’entreprise. Un ancrage dans le passé doit permettre de consolider son identité, affirmer ses valeurs pour mieux affronter l’avenir.

un enjeu stratégique

A partir de cette démarche, de cette analyse interne, une entreprise peut se différencier de ses concurrentes, au niveau de la gestion de ses ressources humaines. Les organisations ont en effet investi massivement dans la recherche et développement, les technologies de l’information, et se sont aperçues que les aspects humains devenaient prépondérants pour le maintien de leurs atouts stratégiques. La première étape va alors consister à attirer et intégrer les nouveaux collaborateurs.

 II. Attirer et intégrer les nouveaux collaborateurs

Définir une stratégie d’ « employer appeal » consiste à mettre en avant l’entreprise, à la rendre attractive pour ses employés et également pour ceux susceptibles de la rejoindre.

être attractif

Comme nous l’avons dit précédemment Il faut trouver des éléments objectifs qui vont constituer l’identité de l’entreprise et la différencier par rapport aux autres acteurs sur le même marché : donner du sens à son histoire, retrouver ses valeurs fondatrices et les rendre concrètes au quotidien. A partir de ce constat, une dimension subjective peut être sous-jacente et signifier son positionnement, ce qu’elle souhaite être dans l’idéal.

En général la notoriété de l’entreprise est fragile et relative. Il faut nécessairement la mesurer, la renforcer ou la construire dans le cas de certaines PME. C’est en partie nécessaire car les employés sont souvent dans une démarche de reconnaissance sociale, grâce en particulier à leur activité professionnelle. De plus cette notoriété facilitera le recrutement de nouveaux collaborateurs, ainsi que leur fidélisation.

le recrutement

Il faut donc connaître son « image employeur » pour la valoriser, en faire un point clef pour se différencier, voire mettre en place des actions correctives, si elle était erronée. Le métier de l’entreprise ou ses métiers doivent être distinctement définis, de manière à assurer une certaine clarté par rapport au positionnement choisi. Cette mise en perspective permet de réfléchir quant aux besoins en ressources humaines de l’entreprise et à anticiper l’avenir. Les objectifs de cette stratégie définis, il est nécessaire d’organiser une veille systématique du positionnement marketing RH de ses concurrents, afin d’affiner son positionnement.

Vient ensuite le choix des canaux de recrutement qui nécessite de se poser les deux questions suivantes :

  • le canal de recrutement correspond-il à la cible déterminée ?
  • ce mode de recrutement est-il cohérent avec l’image-employeur ?

En fait tout dépend du niveau de sélectivité désiré, du profil de candidat recherché. Il est toujours nécessaire de qualifier précisément la cible en amont et d’étudier les canaux de recrutement en aval. A l’issue de cette étape, on peut affiner le processus de recrutement, mieux cibler sa communication et optimiser les coûts liés au recrutement. Le coût dépend en effet de la communication mais aussi du traitement des candidatures. Plus l’entreprise ciblera précisément le type de recrues qu’elle désire, moins elle aura de candidats à évaluer. Elle optimisera par conséquence le processus de recrutement. Une segmentation réussie et un choix cohérent des canaux de recrutement va permettre de réduire quantitativement le nombre de candidats et d’en augmenter qualitativement la pertinence et le traitement. Personnaliser la relation avec le candidat est l’objectif recherché dès cette étape.

l’accueil et l’intégration Les nouvelles recrues doivent ensuite être accueillies et intégrées au sein de l’entreprise. Accueillir c’est par exemple prévoir une visite guidée des locaux, disposer d’un livret d’accueil pour les nouveaux employés. Idéalement un séminaire d’intégration peut être envisagé lorsque l’entreprise recrute plusieurs personnes en même temps et doit s’assurer que leur intégration est réussie.

Les premiers mois écoulés après un recrutement et une intégration soignés, entrent en ligne de compte pour la fidélisation du « cliemployé ».

 III. Fidéliser le collaborateur

Fidéliser ses employés ,maintenir une relation durable, devient un des principaux enjeux du marketing des ressources humaines. On rejoint encore une fois l’idée que fidéliser est plus pertinent que conquérir, comme dans le domaine commercial, car moins aléatoire.

Disposer au sein de l’entreprise d’un personnel loyal et compétent est un avantage concurrentiel. Devoir remplacer des salariés démotivés, qui auraient quitté l’entreprise, représente un coût en termes de recrutement mais aussi d’intégration, comme nous venons de le voir. Pour ces raisons, il faut diminuer le turnover, être conscient que les candidatures se raréfient dans de nombreux métiers, et développer un management de fidélisation.

Fidéliser, c’est motiver ses employés, les impliquer au sein de l’entreprise et les aider à atteindre des objectifs personnels de développement individuel. On perçoit une dimension émotionnelle dans la fidélisation, qui peut constituer un facteur d’enrichissement pour l’organisation dans son ensemble.

Les sphères professionnelles et personnelles sont de plus en plus liées, et les conditions de travail ont un impact direct sur l’équilibre de l’individu. Les salariés ne sont plus uniquement motivés par le niveau de rémunération et les perspectives de carrière, mais beaucoup sont sensibles aux notions de sécurité, solidarité et éthique, qui peuvent donner aux individus la confiance perdue en l’avenir. La relation est alors perçue comme étant gagnant/gagnant.

Fidéliser ses collaborateurs, c’est leur donner des repères, la possibilité de choisir de s’impliquer en fonction de perspectives court-termistes. Les employés ont souvent une relation ambivalente avec l’organisation : ils souhaitent bénéficier de formations, être intégrés dans des projets innovants, mais n’ont pas nécessairement le désir de faire carrière dans la même entreprise.

gérer les carrières

L’entreprise doit accorder au salarié des perspectives d’évolution. Il ne s’agit pas forcément de carrières qui permettent de monter hiérarchiquement, on constate de plus en plus de carrières dites « plates », lato sensu. Cela signifie une évolution dans les métiers, grâce à la formation, en fonction des besoins de l’entreprise ou des désirs du salarié.

Le modèle des ancres de carrière de Schein (1978) permet de comprendre les facteurs qui vont conditionner les choix des individus dans la gestion de leur carrière. Au fur et à mesure que les individus progressent dans l’organisation, ils développent ce que Schein appelle un « career self-concept » (concept de sa propre carrière) qui résulte de l’interaction entre l’individu et son milieu de travail. Lorsqu’un salarié doit faire un choix professionnel, il a recours à une ancre de carrière « dominante » qui constitue une affirmation de ce qu’il estime comme étant « juste » professionnellement. Il existe actuellement 11 ancres de carrière identifiées par la communauté des chercheurs en sciences de gestion. Les neuf premières ancres ont été définies par Schein : gestion, compétence technique/fonctionnelle, sécurité, stabilité, créativité entrepreneuriale, autonomie/indépendance, service/dévouement à une cause, défi, style de vie ; une ancre a été définie par DeLong (1982) : l’identité et l’ancre d’internationalité, mise en évidence par Suutari et Taka (2004).

Ces ancres de carrière peuvent être identifiées parmi le personnel de l’entreprise et permettre ainsi de segmenter et fidéliser les employés. D’après Schein, une seule ancre de carrière guide et oriente l’individu dans ses choix professionnels. Une ancre de carrière ne changerait pas dans le temps, et ne se manifesterait explicitement que dans des expériences liées au travail. Cette position, qualifiée de « dominance unidimensionnelle », est celle de Schein. Derr (1986), Feldman et Bolino (1996), Suutari et Taka (2004), Yarnall (1998) remettent en cause cet artefact. Pour ces chercheurs le phénomène des ancres de carrière est multidimensionnel : certaines ancres s’attirent mutuellement, d’autres se repoussent. Plusieurs modèles de recherche sont en cours d’élaboration pour tenter de clarifier le sujet.

Des questionnaires existent, qui permettent de positionner les employés, en fonction de ces ancres de carrière. Il peut être bénéfique pour l’entreprise de savoir où son personnel se situe, grâce à cette grille de lecture, afin de cibler ses actions de fidélisation de manière opportune.

encourager et récompenser

Fidéliser, c’est aussi reconnaître le travail de ses collaborateurs. Il est donc important de mentionner que les encouragements et les récompenses ne constituent pas un moyen d’action puéril mais une dimension à prendre en compte dans la gestion des ressources humaines. La reconnaissance ne doit pas être réservée à une partie du personnel mais être accordée à tous les salariés. La question de la rémunération est parfois présentée comme essentielle, mais beaucoup d’individus ne se sentent pas respectés dans leur travail et manquent de reconnaissance. Or pour encourager chacun et récompenser les plus méritants, il faut connaître les salariés, savoir ce qu’ils accomplissent au quotidien et les suivre régulièrement. Les initiatives doivent être saluées et toutes les suggestions prises en considération.

En conclusion, le profit est incontestablement un des principaux objectifs de l’entreprise, mais l’intégration sociale des individus est également nécessaire pour engendrer une certaine stabilité politique dans l’organisation et l’optimisation des ressources. Le marketing RH devient ainsi un enjeu stratégique, pour les entreprises et pour la société.

Appliquer les règles du marketing à la gestion des ressources humaines s’avère indispensable dans un contexte d’intense compétitivité internationale, pour recruter les meilleurs éléments et les faire évoluer au sein de l’entreprise. Le processus de planification des ressources humaines et le développement du personnel doivent prendre en compte deux ensembles importants de besoins : ceux de l’entreprise et ceux des employés.

 Bibliographie

  • DeLong T.J. (1982), « Reexamining the Career Anchor Model », Personnel, vol. 59, n°3, p.50-61.
  • Derr C.B. (1986), Managing the New Careerists, San Francisco, CA, Jossey Bass.
  • Feldman D.C., Bolino M.C. (1996), « Career Within Careers : Reconceptualizing the Nature of Career Anchors and Their Consequences », Human Resource Management Review, vol.6, n°2, p.89-112.
  • Liger P. (2007), Le marketing des ressources humaines, Dunod.
  • Schein E.H. (1996), « Career Anchors Revisited : Implications for Career Development in the 21st Century », The Academy of Management Executive, vol.10, n°4, p.80-88.
  • Schein E.H. (1990), Career Anchors : Discovering Your Real Values, San Diego, Ca, Pfeiffer & Company.
  • Schein E.H. (1987), « Individuals and Careers » dans J. Lorsch (éd.), Handbook of Organizational Behavior, Englewood Cliffs, NJ, Prentice-Hall, p.155-171.
  • Schein E.H. (1978), Career Dynamics : Matching Individual and Organizational Needs, Reading, MA, Addison-Westley.
  • Schein E.H. (1975), « How Career Anchors Hold Executives to Their Career Paths », Personnel, vol.52, p.11-24.
  • Suutari V., Taka M. (2004), « Career Anchors of Managers with Global Careers », Journal of Management Development, vol.23, n°9, p.833-847.
  • Yarnall J. (1998), « Career Anchors : Results of an Organizational Study in the UK », Career Development International, vol.3, n°2, p.56-61.

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Le marketing des Res sources Humaines

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