Management de la motivation

Des théories au système global de la motivation (ou vers un véritable système de la motivation) Comprendre la motivation pour mieux la développer

, par Stéphane Jacquet

Dans les années 80, il était de bon ton de se définir, dans un dossier de candidature pour un emploi, comme « dynamique et motivé ». L’archétype du « jeune cadre dynamique » présentait alors l’incontournable qualité du tout manager : la motivation. Et c’est parce que le manager était motivé qu’il allait insuffler cette qualité aux employés.

Bien loin de ce cliché, la réalité économique nous présente des histoires de cadres stressés, abîmés ou tout simplement épuisés. Et ce n’est pas seulement le rythme et les exigences du travail qui ont conduit à ce résultat mais un ensemble de facteurs. Les travaux de Christophe Dejours sur le « burn out » et les récents suicides dans le milieu des cadres de grandes entreprises viennent illuster ce phénomène. De manière plus générale, de nombreux employés s’estiment « démotivés » par leur travail. Le concept de motivation prend donc une place très importante en période de crise car il semble, à la fois, le facteur qui pourrait expliquer la réussite ou l’échec de tel ou tel mode de management dans l’entreprise, qui permettrait de conquérir un avantage concurrentiel décisif sur le marché ; mais aussi la clé d’une bonne gestion des ressources humaines.

De plus, c’est un « mot tiroir » qui est difficile à définir et qui peut prendre des sens complètement différents selon les personnes. Nombreux sont ceux qui interprètent la motivation comme un caractère propre à chacun, qu’on aurait « en nous » ; ce qui est réducteur. Nous avons tous connu des élèves incapables de se concentrer quelques minutes sur une activité, qualifiés donc de « démotivés » et, par ailleurs, extrêmement motivés dans un domaine différent. Il existe donc de nombreuses définitions (plus de 100 !), le plus souvent liées à des théories qui relèvent de disciplines différentes (psychologie, sociologie, physiologie et même psychiatrie...). Trop souvent, nous avons présenté la motivation à travers des modèles simples, dérivés de l’école des relations humaines, en martelant des évidences (« l’homme cherche à satisfaire des besoins »...). Aussi généreux soient-ils, ces modèles ne permettent pas d’expliquer une réalité complexe (Lévy-Leboyer, 2006).

Plus récemment, les tentatives d’explications sont devenues plus précises et, en même temps, plus discordantes, avec des champs d’analyse divers (cognition, approche sociale, théorie de l’équité...). Ainsi, un décalage s’est produit entre des modèles d’explication anciens (années 50/60) qui fournissent les principales « méthodes managériales » utilisées aujourd’hui ! De plus, ce mot est porteur d’une sorte de « magie » qui rend difficile cette définition (Bélier, 1989). Enfin, les définitions varient suivant les écoles de pensée. Prédisposition, expression des besoins, somme d’efforts...il est facile de se perdre dans tous ces éléments.

La consultation de multiples ouvrages portant sur le sujet montre aussi un paradoxe : alors que de nombreuses « méthodes » de management sont proposées pour motiver, très peu s’accordent à rechercher une définition exhaustive de la motivation. Les experts actuels de la motivation s’accordent à la présenter, actuellement, comme un processus complexe (Mitchell, 1997) qui intègre autant sa conduite que son achèvement, avec un but à atteindre (Robert Martin, thèse d’État en 1975).

Il faudrait alors clarifier ce concept multiforme pour bien savoir de quoi on parle vraiment et éviter de « simplifier » le concept et de le réduire à quelques schémas. Il convient donc de présenter les différentes approches pour bien montrer qu’aucune ne permet d’expliquer, à elle seule, la complexité du processus de motivation. Les approches classiques les plus connues sont souvent partielles et insuffisantes (1), elles ont pu être complétées par des approches comportementales plus élaborées (2). Mais l’ensemble peut constituer un véritable système de la motivation, qui a donné lieu à l’émergence de modèles intégrateurs (3).

 1. Des approches basiques incomplètes... (classique, humaniste, psychologique)

Une première approche de la motivation consiste à vouloir l’expliquer par son « contenu » ; c’est à dire répondre aux questions : "de quoi est-elle faite ? Qu’est-ce qui motive les salariés ou les élèves ? La première réponse à avoir été mise en avant, par les théoriciens classiques est : le besoin. Il s’agit donc d’analyser le besoin qui pousse l’individu à agir. Ce besoin créé une source de tension, synonyme de déséquilibre, qui va pousser l’individu à agir pour retrouver l’état normal (Cannon, 1937). Historiquement, ce sont plutôt des scientifiques (médecins, biologistes) qui ont exploré la question. Puis les théoriciens, des organisations se sont emparées de la question, pour en donner quelques clés d’explication.

Taylor et l’approche classique (1910)

Taylor considère, dans la lignée de sa théorie, que la seule motivation du salarié est son salaire. Son augmentation entrainerait donc automatiquement une productivité plus grande. L’approche est simple, voire simpliste mais sert encore de fondement à certains managers pour « motiver » leurs collaborateurs (le fameux « travailler plus pour gagner plus » !). Elle est basée sur une analyse plus ancienne de l’Homo Œconomicus et a servi de fondement au système fordien (le fameux « 5 dollars par jour » des employés de l’automobile). Sans revenir sur l’intérêt évident de cette approche pour les dirigeants (simple et basique) et son succès lors de la révolution industrielle ; il convient de pointer ses limites. Ce système réduit la relation de travail à une simple relation d’échange et postule que l’homme ne peut être motivé que par l’argent. Quid alors des passionnés qui passent des heures sur une activité pour une somme dérisoire ? Les années 30 et l’émergence du modèle des relations humaines et de ses courants humanistes vont mettre à l’écart cette théorie.

Théorie de la satisfaction : Maslow (1943)

Maslow n’est pas le premier auteur à avoir écrit sur les motivations, dans le courant humaniste, mais il est un des plus connus. S’appuyant sur les expériences d’Elton Mayo (expérience d’Hawthorne en 1933), il met en avant une hiérarchisation des besoins, à travers sa célèbre pyramide. L’approche séduit, par sa simplicité, managers et étudiants qui s’en emparent jusqu’à en faire la principale (voir la seule) clé d’explication des motivations de l’homme. Dans son livre (motivation and personality, 1954), il explique que l’homme n’atteint son plein développement psychique qu’en passant par des étapes qui vont lui permettre de satisfaire, dans l’ordre :

  • Des besoins physiologique (manger, boire, dormir)
  • Des besoins psychologiques (vivre en sécurité)
  • Des desoins sociaux (d’appartenance)
  • Des besoins d’estime de soi
  • Des besoins d’accomplissement

Ce sont surtout ces derniers qui ont intéressé Maslow, qui s’est focalisé sur la recherche par l’individu de la plénitude (à travers des expériences paroxystiques). Les praticiens ont interprété à leur manière les travaux de Maslow, en développant la nécessité d’une sécurité minimale à atteindre pour les besoins inférieurs (salaire minimum par exemple) qui permettrait à l’individu d’évoluer dans sa recherche de besoins supérieurs et donc d’être plus efficace professionnellement (en particulier en développant les travaux de groupe et en se développant personnellement à travers la réussite de missions...).

Cependant, cette théorie présente deux grandes faiblesses, rarement présentées lorsqu’on l’enseigne :

  • Elle est trop généraliste et simplifiée, ce qui ne permet pas d’expliquer des « hiérarchies » différentes, voire des étages entiers supprimés par certains (ascètes, esthètes, inventeurs...). Elle ne permet pas d’expliquer l’ennui de certains salariés très largement payés, ou les revendications salariales de certains employés aux métiers intéressants et motivants, ni même l’énergie de certains grands visionnaires qui avancent sans aucune sécurité matérielle... L’ordre des besoins serait donc au cœur de la critique, ainsi que la nécessité de franchir chaque étape. De même qu’un besoin ne disparait pas définitivement lorsqu’il est rempli (Korman, 1977). La hiérarchie apparait artificiellement généralisable et les managers ont souvent abusé de cette approche pour justifier des comportements à adopter (le modèle du cadre dynamique des années 80 illustre bien ce phénomène). Ils n’ont pas toujours bien saisi les travaux de Maslow et l’intérêt d’une approche « psychologique globale ». Ce qui a rendu inopérante cette théorie, c’est l’excessive simplification pratiquée par ceux qui l’ont utilisée.
  • L’approche de Maslow présente une théorie globale de la motivation mais ne donne aucune clé d’explication sur l’éventuelle démotivation. Elle ne précise pas sur quelle échelle de temps se déploie la hiérarchie, ni si on peut « descendre » dans cette hiérarchie. Elle laisse sans réponse les managers et enseignants qui la présentent, lors des critiques ou demandes d’explications sur l’absence de motivation de certains collaborateurs ou élèves. Des pistes ont alors été suggérées par Aldefer, pour améliorer et approfondir l’approche de Maslow.

Approche d’Aldefer, théorie SRP (ERG) 1972

Eldeder est un psychologue américain né en 1940, qui a développé la théorie SRP (subsistance, relation, progression) ou ERG (existence, relatedness, growth). Il approuve la hiérarchisation des besoins, mais se contente de présenter 3 séries de besoins de base, qui vont du plus concret au plus abstrait : . Les besoins de subsistance . Les besoins de relations . Les besoins de progression

On retrouve facilement les similitudes avec l’approche de Maslow mais aussi une différence majeure. Il valide le processus de satisfaction-progression de Maslow mais Eldefer postule que pour satisfaire les besoins, l’homme fonctionne aussi par frustration-régression. L’homme qui ne peut satisfaire un besoin va s’y maintenir, en régressant au niveau inférieur qu’il peut aisément remplir (Aldefer, 1973).

ERG Theory - Clayton P. Alderfer
12manage.com

Source : 12manage.com

Là encore, le modèle souffre d’imprécisions et ne définit pas réellement ce qu’est un besoin. Rien ne permet de dire que passer d’un besoin à un autre entrainerait un changement de comportement dans le travail. Enfin, la force du besoin n’est pas évaluable dans cette théorie, ce qui rend difficile toute approche personnalisée du management. Une autre approche a émergé, au sein du mouvement des relations humaines, plus basée sur des facteurs favorisant ou non la motivation. Celle d’Herzberg est la plus connue.

Théorie bi-factorielle d’Herzberg (1959)

Son travail a surtout présenté l’intérêt d’une approche en deux séries de facteurs qui s’opposaient. Les uns (de satisfaction) ne provoquent pas de démotivation s’ils ne sont pas satisfaits mais engendrent une grande motivation lorsqu’ils sont satisfaits. Les autres types de facteurs (d’hygiène), lorsqu’ils sont pourvus, réduisent l’insatisfaction. Par contre, en cas d’insatisfaction, cinq facteurs sont mis en avant pour expliquer la motivation (facteurs de satisfaction) :

  • L’accomplissement
  • La reconnaissance par autrui des résultats obtenus
  • La nature et l’intérêt du travail
  • La responsabilité
  • La promotion

De la même façon, une série de facteurs apparait comme des facteurs « d’hygiène » (appelés aussi « d’ambiance »), ils concernent surtout le milieu. Ce serait :

  • La politique de l’entreprise
  • Le supérieur hiérarchique
  • La rémunération
  • Les relations entre les personnes
  • Les conditions de travail

C’est donc une analyse thématique fondée sur une série d’entretiens avec des salariés américains. Cette théorie a tout de suite été utilisée dans les organisations pour justifier des évolutions de contenu (enrichissement du travail) plutôt que des évolutions de salaire (simple facteur d’hygiène ?). Une récente remarque de Vincent Peillon, nouveau ministre de l’Éducation Nationale l’illustre parfaitement. Après un long entretien avec des professeurs de lycées professionnels, il constatait que ceux ci « n’avaient même pas évoqué leur traitement », mais s’étaient focalisés sur le contenu de leur travail. Et le ministre de conclure : « ils n’ont même pas voté pour celui qui les a augmentés... Je leur ai juste dit qu’ils recevront la reconnaissance de la nation » (Le Point, 18/10/2012).

Longtemps plébiscitée car simple et basique, cette approche a ensuite été critiquée autant sur le plan de la méthode que sur celui du contenu. En effet, la méthode des entretiens induit des biais dans le recueil de l’information, aucune recherche sérieuse n’a permis d’arriver aux mêmes résultats qu’Herzberg. Quant aux facteurs eux mêmes, ils ont été invalidés par les chercheurs dans les années 80, car les facteurs « d’hygiène » jouent un rôle important dans la motivation, parfois aussi important que les autres (voir le rôle joué par la rémunération). Il reste de cette analyse une première étude réelle du travail et de l’entreprise, ce qui peut expliquer qu’elle soit encore présentée aujourd’hui par certains consultants en mal de solution lors de séminaires sur la motivation. Une autre approche a été très utilisée conjointement, car binaire, c’est celle des X et Y de Mc Gregor.

Les X/Y de Mc Gregor (1960)

A l’école classique et sa vision mécaniste, Mc Gregor oppose une approche plus humaine de la motivation. Il présente donc 2 théories (X et Y) en valorisant l’approche « Y », conforme aux idées de l’école des relations humaines. Dans la théorie « X », l’homme éprouve une aversion pour le travail et ne peut être motivé que par l’appât du gain et sous la menace de sanctions. Dans l’approche « Y », le travail peut être source de motivation, si l’entreprise met en place les conditions et les méthodes responsabilisant l’individu. Mc Gregor a ainsi proposé de développer la prise de décision participative et la recherche d’une meilleure entente dans les groupes. Malheureusement, le principal défaut de cette approche « Y » est l’existence de l’autre approche, souvent utilisée dans les entreprises, surtout en situation de crise. De nombreuses expériences de décision participative ont également, faute de moyen ou de méthode, échoué, invalidant l’approche « Y » dans les années 80. Un autre courant, plus psychologique, propose d’autres explications à propos de la motivation.

L’approche psychanalytique de Freud (1920)

La psychanalyse, par la mise en exergue de l’inconscient s’interroge sur le fondement même de la motivation. Elle explore deux dimensions, le plaisir et le désir. La recherche du plaisir semble être la clé de la motivation, rejoignant ainsi des analyses très anciennes (Épicure et les hédonistes !). Le plaisir renvoie à des pulsions qui forment « Un processus dynamique qui pousse l’organisme vers un but » (Laplanche et Pontalis). Selon Freud, la pulsion prend sa source dans un état de tension. Le désir est alors lié à la relation humaine, ce qui le différencie du besoin qui serait plutôt physiologique. L’état perpétuel du désir génère la recherche de la satisfaction et donc la motivation. Si cette théorie est bien connue des psychologues, elle a du mal à exister dans le monde de l’entreprise, à cause de sa dimension irrationnelle. De plus, cette approche est individuelle par nature et s’accommode mal d’un traitement collectif et généralisé de la motivation. Enfin, donner importance au désir, ce serait considérer véritablement chaque salarié comme un acteur autonome et adulte ; nous en sommes encore loin. Une autre approche psychologique peut également figurer dans ce panorama, c’est celle des analystes transactionnels.

La théorie des scenarii de Berne (1955)

Ceux-ci ont développé la notion de scenario, qui représente une sorte d’organisation de nos désirs et aspirations au service de l’idéal du moi. Ces scenarii sont façonnés par notre éducation, notre enfance et les nombreuses injonctions que nous avons reçues (du type « sois fort » ou « fais plaisir »). Chaque scenario développe un postulat (« les patrons sont des exploiteurs » par exemple) pour confirmer des certitudes de l’inconscient. Eric Berne, célèbre représentant de l’école de l’analyse transactionnelle, y a consacré un livre connu (« des scénarios et des hommes ») pour montrer le poids de ces certitudes. Si la motivation met en mouvement l’individu, le scenario vient justifier cette mise en mouvement. Une partie du scenario est motivationnelle et donne de l’importance aux motivations mais aussi justifie certaines démotivations (« de toutes façons, cela ne sert à rien de travailler pour les patrons », par exemple). Ce concept, aussi puissant soit-il, souffre de la mauvaise image récente de l’analyse transactionnelle, souvent reprise par les sectes. Il ne résiste pas non plus à une approche concrète, car il est difficile à analyser et à expliquer. Les entreprises l’ont peu utilisé, faute de clés de décodage ou bien volontairement, à cause de son approche trop « psychologique ». Enfin, il n’explique que certaines motivations ou démotivations et ne permet pas une analyse complète.

On voit donc que la plupart des approches « basiques » souffrent d’imprécisions et ne conviennent plus à expliquer une notion devenue complexe.

Le courant comportemental a cherché à fournir des explications plus en profondeur de la motivation.

 2. Aux approches comportementales spécifiques...

Plusieurs théoriciens ont alimenté ce courant, qui s’est d’abord inspiré de la théorie de la satisfaction des besoins, pour adopter des analyses plus en profondeur, cherchant à identifier, dans le comportement, ce qui conduit un individu à agir.

Les approches sociales de Mc Lelland (1961)

C’est la théorie de Mc Lelland qui fait le mieux le lien entre les approches en termes de besoins et celles plus basées sur le comportement. En effet, dans les années 60, il cherche à démontrer que le « monde des affaires » conduit les individus à adopter certains comportements, déjà partiellement identifés par Maslow. Il s’agit de trois besoins fondamentaux :

  • Le besoin d’accomplissement
  • Le besoin de pouvoir
  • Le besoin de relations personnelles

Mc Lelland a donc parfois été classé dans les théoriciens du contenu mais son approche a plutôt été considérée comme comportementale par les managers et consultants qui s’en sont emparée. Ils ont cherché à obliger les salariés à modifier leur échelle de valeurs pour le bien de l’entreprise. Mc Lelland a postulé qu’on pouvait « enseigner » le besoin d’accomplissement pour augmenter le niveau de motivation, en particulier des cadres. Il s’agissait d’imposer une culture d’entreprise très forte et homogène. Des modules de « formation » ont donc été mis en place, avec des noms évocateurs (« penser X », du nom d’une grande entreprise américaine). Ces pratiques ont obtenu un réel « succès », en termes d’efficacité managériale mais elles ont aussi été très critiquées au niveau déontologique. De véritables comportements d’exclusion vis à vis des salariés ne respectant pas la « pensée unique » ont pu être observés, faussant alors le caractère analytique de ces méthodes (cas des gérants d’Intermarché ou de Mc Donalds qui souhaitaient « sortir » de l’entreprise).

Le cognitivisme (de Deci et Ryan) (1975)

Commencés dans les années 70, les travaux de Deci et Ryan, se sont poursuivis dans les années 2000 et ont donné lieu à de nombreux articles. Leurs derniers développements tendent à montrer qu’il existe trois besoins psychologiques basiques qui permettent à l’individu d’atteindre un niveau optimal de développement personnel :

  • Le besoin de compétence qui fait référence à la sensation que peut éprouver un individu lorsqu’il agit efficacement avec son environnement en utilisant ses capacités.
  • Le besoin de relations sociales qui est lié au fait de se sentir connecté aux autres par un lien d’appartenance, qui renvoie à la notion de partage.
  • Le besoin d’autodétermination qui renvoie au fait d’être à l’origine de son propre comportement.

Deci et Ryan cherchent à identifier de multiples formes motivationnelles (2002) mais en les insérant dans un cadre théorique qui permet aussi d’expliquer l’absence de motivation (« amotivation »). Ainsi la perception personnelle d’un manque de compétence peut être à l’origine de l’amotivation.

Ils cherchent également à expliquer les régulations qui permettent à un individu d’être motivé et mettent en avant les mécanismes de la motivation extrinsèque. Ce sont des pressions externes qui justifient les actions de l’individu (par exemple l’élève qui choisit une section « valorisante » pour être mieux vu par ses amis). De la même façon, la régulation introjectée fait référence à des pressions internes, comme la culpabilisation, qui renvoient à des pressions externes (l’image que l’on va renvoyer aux autres). Le mécanisme pourra osciller entre menaces et compliments personnels (qui flattent l’ego).

La régulation identifiée renvoie à une motivation clairement déterminée par l’individu (autodéterminée) et assumée (par exemple la pratique choisie d’une activité sportive aux bénéfices personnels). L’individu va s’en servir pour se développer en tant qu’individu, mais dans la société.

Enfin, la motivation intrinsèque s’appuie sur différentes formes de plaisirs autodéterminés qui sont déclenchés de manière très personnelle. La régulation est alors intégrée et peut provoquer une motivation très forte.

Amotivation - Motivation Extrinsèque - Motivation Intrinsèque
http://apliut.revues.org, d’après Deci et Ryan

Source : http://apliut.revues.org, d’après Deci et Ryan

Cette théorie complète demeure particulièrement complexe car elle renvoie aux approches cognitives qui sont très difficiles à démontrer. Elles semblent peu opérationnelles en entreprise et se sont souvent retrouvées simplifiées par les managers et consultants, qui les ont résumées en opposant motivation intrinsèque et extrinsèque.

L’approche comportementale s’est également intéressée au but, puisqu’il s’agit d’un élément incontestable de la motivation (toute motivation est orientée vers un but). C’est un résultat spécifique auquel tout individu veut parvenir.

La théorie des buts de Locke et Latham (1975)

Dans les années 70, Locke et latham introduisent une perspective dynamique intéressante dans les théories de la motivation. Selon eux, les personnes recherchent une multitude de buts, hiérarchisés les uns par rapport aux autres, en fonction des intérêts des personnes. Ce sont eux qui donnent la direction à suivre. Ainsi la clarification des objectifs entrainerait une meilleure motivation. L’apport majeur de cette théorie tient dans les conditions de fixation des buts définies par Locke et Latham. Quatre caractéristiques permettent l’atteinte et l’augmentation de la performance par la motivation :

  • Le but doit être difficile et spécifique, tout en restant réalisable,
  • Il faut un réel engagement personnel,
  • Des feedbacks réguliers doivent permettre de s’évaluer et de corriger l’action,
  • Il ne doit pas y avoir d’obstacles à la réalisation des buts.

Cette théorie demeure intéressante car elle se focalise sur les buts indépendamment de la récompense. Elle a souvent été utilisée dans les situations d’apprentissage, en particulier avec des salariés débutants et ses conclusions ont pu être validées par certaines recherches de grande ampleur. Cependant, le modèle a parfois été critiqué et qualifié d’inefficace car trop « généralisant ». La capacité différente de chaque individu, ainsi que les variables de personnalité peuvent affecter la motivation. La complexité de la tâche rendrait aussi l’atteinte des buts aléatoire. Enfin, l’engagement des individus reste parfois théorique et « en surface ». De nombreuses entreprises, qui ont assigné des buts à leurs salariés, ont été très déçues du résultat. Le management par objectif qui a découlé de cette approche, s’est rapidement diffusé dans les organisations, et a parfois pu donner des résultats spectaculaires. Cependant, il a aussi déçu, lorsque certaines variables le rendaient inefficace (le mélange culturel ou l’absence de récompense, par exemple). Certaines organisations en sont revenues. Sans l’abandonner, il ne semble pas constituer une réponse suffisamment globale à la problématique de la motivation.

On peut alors s’intéresser plus particulièrement à l’individu et à la capacité de perception personnelle de sa propre efficacité.

L’approche de l’auto efficacité de Bandura (1986)

Le sentiment d’efficacité personnelle, désigne la croyance qu’a un individu de pouvoir exécuter une tâche. Bandura l’a étudiée dans les années 90 (« self efficacity, the exercice of control » 1997). Ce psychologue canadien a commencé à travailler dans les années 60 sur l’apprentissage vicariant. Il postule qu’on ne peut apprendre qu’en faisant l’expérience de ses conséquences. De nombreuses théories de l’apprentissage par l’action s’appuient sur ses travaux, peu connus en France.

Pour lui, l’individu cherche à éviter les activités perçues comme menaçantes et privilégie celle qu’il se sent capable d’accomplir. Selon lui, il faut pouvoir observer un individu similaire pour pouvoir percevoir les conditions de l’auto-efficacité. Pour simplifier, regarder « ceux qui savent faire » et pouvoir se dire que l’on peut y arriver, renforcerait la motivation d’un individu. Cette approche a pu faire ses preuves dans de nombreuses classes mais est moins évidente à mettre en place en entreprise. Les formes nouvelles de compagnonnage ou de mentorat s’en inspirent et un élément supplémentaire vient en renforcer l’efficacité, c’est la persuasion verbale. En effet, si l’on est convaincu par quelqu’un que l’on a les compétences nécessaires pour réussir, le niveau de motivation augmentera. Les managers se sont emparés de cette théorie en développant les effets pygmalion et galatea.

L’effet pygmalion est une forme de prophétie autoréalisatrice qui va renforcer la réussite (« ce salarié est très compétent », par exemple, va renforcer le sentiment de compétence perçue par son supérieur, ce qui va plus le motiver). Les professeurs connaissent bien cet effet et la « spirale de réussite » qu’il engendre (Rist, « student social class and teacher expectations : the self-fullfilling prophecy in guettho education » in Harvard education review, 2000).

Quant à l’effet galatea, il se produit lorsque les attentes de rendements élevés sont directement communiquées au salarié, ce qui renforce sa motivation. Il s’agit d’un transfert des attentes positives. Par exemple, affirmer à des salariés envoyés en mission difficile à l’étranger qu’ils vont réussir à signer un contrat, favoriserait de manière importante la réussite de l’action. Malheureusement, ces théories ont souffert des différences de personnalité entre les individus et des « rôles » parfois joués par les salariés dans les organisations. D’autres études ont montré le rôle primordial joué par l’intelligence et la personnalité dans la motivation. De plus, les managers ont parfois cherché à « plaquer » ces théories en les sur-utilisant. Enfin, certains chercheurs estiment que le sentiment d’auto-efficacité n’existe pas (Judge, Jackson, Shaw, Scott et Rich in « is the effect of self-efficacity on job/task performance an epiphenomena ? » university of Florida, 2005).

Certains chercheurs ont aussi exploré la question du conditionnement possible de l’individu qui améliorerait sa motivation.

La théorie du renforcement de Skinner (1931)

Skinner, professeur de psychologie américain, est fondateur du béhaviourisme radical. Il a été fortement influencé par les théories de Pavlov. Il postule que le comportement est essentiellement fonction de ses conséquences. Cette théorie ignore les éléments intrinsèques de la motivation et ne s’intéresse qu’à ce qui se passe lorsque l’individu agit. C’est l’environnement qui va dicter une sorte de « réponse automatique » à l’individu, en fonction de ses apprentissages précédents. Il convient donc de conditionner l’individu à une tâche pour générer un renforcement qui va dicter le comportement. Skinner est même l’inventeur d’un dispositif de conditionnement, la boîte à Skinner, et d’une théorie du conditionnement verbal, largement relayée dans les années 70.

Certains managers ont pu chercher à utiliser de telles méthodes, en particulier lorsque la culture d’entreprise forte s’y prêtait, pour instaurer des comportements conditionnés, quasi-militaires, dans certaines situations. Des dérives importantes sont alors apparues, dont la littérature et le cinéma se sont fait l’écho, pour les dénoncer (on pense au film « stupeur et tremblements » sur la culture d’entreprise japonaise ou à « violence des échanges en milieu tempéré » sur la culture d’entreprise chez les consultants).

Les critiques sont nombreuses : cette théorie ne prend pas en compte les variables cognitives de l’individu et le considère comme une « machine ». Les attitudes et attentes des individus sont niées, sans parler des dérives extrêmes que cette théorie a provoqué dans des entreprises où le renforcement était couplé au « management par le stress » (suicides, « burn-out »...). Enfin, certains psychologues ont montré que ces théories pouvaient engendrer des comportements inhumains, comme dans l’expérience de Stanley Milgram (reprise dans le film « I comme Icare ») qui a démontré que des individus conditionnés et entourés par un milieu « scientifique » pouvaient donner la mort à d’autres individus (expérience reprise dans un documentaire très controversé de France 2, en 2010 ; « le jeu de la mort »).

Si toutes ces théories donnent des réponses, aucune ne tente de prendre en compte l’individu dans toute sa globalité pour rechercher une théorie générale de la motivation. Certains chercheurs ont alors essayé de travailler sur le processus de la motivation et même sur son système, ce qui constituerait enfin une réponse globale et généralisable.

La théorie volitionnelle (1920...)

Le concept, ancien en psychologie, a été développé récemment par Vallerand et Thill, en 1993. Selon eux : « Le concept de motivation représente le construit hypothétique utilisé afin de décrire les forces internes et/ou externes produisant le déclenchement, la direction, l’intensité et la persistance du comportement ». C’est la définition de la motivation qui est la plus utilisée par les pédagogues du sport et les enseignants de filières universitaires sportives. Elle représente un véritable modèle qui intègre différents éléments. Vallerand et Thill postulent que :

  • Le déclenchement du comportement indique le changement d’un état d’absence d’activité à l’exécution d’une tâche,
  • La motivation dirige notre comportement dans la direction de nos besoins,
  • L’intensité du comportement est un indice. Plus nous voulons atteindre un but, plus nous sommes motivés à travailler sur une tâche pour arriver à ce but là,
  • La persistance d’un comportement indique notre motivation à s’engager dans une activité.

On parlera alors de motivation exécutive ou volition car c’est bien l’action qui est le moteur principal de la motivation. Il est difficile de définir la volition, on peut en retenir l’approche suivante : " l’acte ou le pouvoir de faire un choix, ou de prendre une décision, la volonté » (Woolf, 1977). Il est clair que les processus volitionnels sont postdécisionnels, contrairement aux processus motivationnels décrits dans les théories précédentes, qui sont prédécisionnels. C’est donc une tendance à l’action (Ziehnen, 1920) mais aussi un processus de maintien de la décision (Hebb, 1949). Qu’il soit homogène ou hétérogène (suivant les chercheurs), il est intéressant à étudier, surtout pour expliquer les phénomènes d’abandon d’une activité et de découragement. Pour éviter la dispersion et maintenir la persistance dans l’action, Broonen propose de redonner au concept la place qu’il mérite dans les théories de la motivation en apprentissage (Broonen, 2007). L’intérêt de cette théorie est d’expliquer comment on peut éviter l’abandon et induire une dynamique de persistance de l’action déclenchée. On peut voir sur le schéma suivant utilisé pour modéliser la rééducation d’un patient après une opération du dos, que la volition « encadre » l’action :

Rééducation d’un patient après une opération du dos
sciencedirect.com

Source : sciencedirect.com

Cet « encadrement » renforce la motivation, qui est présente en amont et en aval. C’est donc bien un modèle qui est proposé. On voit bien l’intérêt d’un tel modèle au niveau scolaire mais aussi dans les organisations, surtout en période de crise et de concurrence accrue sur les marchés. Les salariés sont engagés dans plusieurs projets à la fois, ce qui renforce la nécessité de persistance dans l’action, avec des moyens parfois revus à la baisse. Cela pourrait constituer une clé de réponse à la recherche de l’efficience, mais à condition d’expliquer le concept aux managers et de mettre en place les formations adéquates. Cependant, si le modèle existe et peut parfois être utilisé avec profit (en particulier dans le domaine sportif), il est toujours difficile à adapter en entreprise, car on touche à l’aspect subjectif et à des notions psychologiques délicates à manier en entreprise (la volonté, la persistance). On les retrouve parfois comme items dans les grilles d’évaluation annuelle, mais ils restent difficiles à apprécier.

 3. ... Vers un système de la motivation (du processus au système)

 3.1. La motivation comme processus

Les théories du processus tentent de montrer comment les facteurs personnels interagissent les uns sur les autres afin de générer les conduites des individus. Plusieurs théories ont été développées et les deux principales restent la théorie de l’équité et celle des attentes ; elles préfigurent la mise en évidence d’un véritable système de la motivation.

La théorie de l’équité d’Adams (1965)

Dès les travaux d’Herzberg, les auteurs ont cherché à démontrer que le sentiment d’injustice avait un caractère démotivant. Dans les années 60, Adams cherche à démontrer que les individus évaluent leurs relations interpersonnelles comme un processus d’échanges, en attendant certains résultats. Il postule également que les individus comparent en permanence leur situation à celle des autres, principalement en entreprise. La théorie de l’équité repose sur la comparaison entre deux variables : les apports et les résultats. Les individus attribuent une certaines valeur à leurs apports (le fameux : « j’ai beaucoup travaillé sur ce projet et je suis déçu des résultats »), qui est représenté par un « ratio » des apports et des résultats. En se comparant aux autres, les individus vont chercher à savoir s’ils sont équitablement traités.

Schéma de l’échange Individu / Organisation de Adams (1965)
delapsychologie.com

Source : delapsychologie.com

Il y aura équité lorsque le coefficient des résultats obtenus en fonction des apports égale celui des autres individus. La rémunération en donne un bon exemple dans l’entreprise. On peut accepter qu’un autre salarié gagne plus si le rapport apports/résultats le justifie. Dans le cas contraire, le sentiment d’injustice émerge et démotive l’individu. Elle fait naître des tensions entre les individus et peut générer des réactions diverses.

L’individu peut alors biaiser ou déformer ses apports et résultats ou ceux des autres pour justifier la différence, mais il peut aussi prendre des mesures radicales (quitter l’entreprise ou faire gréve). Au total, les tensions provoquées par l’injustice provoquent des problématiques difficiles à résoudre pour les organisations. La question, très actuelle, des privilèges et inégalités de salaires, le démontre complètement. On pourrait prendre comme exemple le cas de certaines entreprises issues du service public qui font travailler des employés avec deux statuts différents (des assimilés fonctionnaires et des contractuels de Droit privé) pour les mêmes emplois. La Poste, en 2011, comptait environ 250 000 agents, dont 54 % de fonctionnaires et 46 % de salariés de Droit privé.

Cette théorie a permis de trouver des explications à la démotivation mais aussi de préciser les leviers de l’engagement des individus, qui ne sont pas uniquement pécuniaires. Elle est très utilisée par les managers et les directions des ressources humaines dans la détermination des politiques salariales. C’est sur la base de cette théorie qu’AXA a entrepris d’aligner le salaire des femmes sur celui des hommes pour réduire les inégalités, en 2006. L’entreprise AXA a d’ailleurs reçu le 10 octobre 2006 le « label égalité hommes-femmes » décerné par la ministre déléguée à la parité, Catherine Vautrin. Ce débat sur les inégalités a permis de développer la théorie des valeurs comparables. Des experts ont calculé, avec un système complexe de points, la « valeur » des emplois (conditions de travail, difficulté...) pour savoir si l’équité existait entre individus occupant un emploi à valeur comparable. Mais si cette théorie connait un grand succès, surtout en période de crise et de nécessaires ajustements, elle a aussi été critiquée. Les évaluations des emplois sont difficiles et souvent arbitraires. Certains emplois sont très spécifiques et difficiles à comparer à d’autres.

La théorie se base sur l’hypothèse que les individus font des choix conscients et n’évoque pas ce qui se joue à un niveau caché, surtout en termes de représentations sociales. Elle est basée sur des expériences réalisées dans certaines organisations, à l’occasion de conflits. Même si on peut généraliser ces grands principes, il est difficile de théoriser à partir de cas spécifiques. De plus, il est difficile de comparer certaines professions entre elles, tant la spécificité est particulière. Par exemple, la gréve des contrôleurs aériens s’estimant mal rémunérés reste difficile à justifier, eu égard à leur statut privilégié mais elle reste légitime à leurs yeux. Cette théorie est complémentaire d’une autre approche, celle des attentes.

La théorie des attentes de VROOM (1964)

Dans les années 60, Victor Vroom est le premier auteur à exposer de manière claire et précise le modèle cognitif de la motivation au travail. Dans son livre « work and motivation », publié en 1964, il développe quatre hypothèses pour expliquer le processus de la motivation au travail. D’abord, c’est la combinaison de forces chez l’individu et dans l’environnement qui détermine son comportement. Ensuite, les individus prennent des décisions quant à leur propre comportement dans une organisation. De plus, des individus différents peuvent avoir des besoins et buts différents. Enfin, les individus font des choix entre plusieurs options, en fonction de leur perception des résultats attendus. Cela a été théorisé sous la forme « VIE » (valence/instrumentalité/expectation), avec la formule suivante proposée par Vroom : F (force de la motivation) = (V*I)*E On peut voir une représentation schématique d’ensemble, qui reprend ces trois principaux vecteurs.

La théorie des attentes de VROOM
Emeraldinsight.com

Source : Emeraldinsight.com

L’expectation, ou attente, est la conviction qu’un effort d’une certaine intensité entrainera un rendement d’une certaine qualité (par exemple, on peut trouver une illustration dans ce verbatim de préparationnaire à un concours : « j’attends beaucoup de ce concours, j’ai tellement investi dans la préparation »). On peut la résumer par la question : « suis-je capable de ? ».

La valence représente la valeur attribuée par un individu à une récompense. On peut la résumer par la question : « cela en vaut-il la peine ? ».

L’instrumentalité constitue le lien de cause à effet possible entre le comportement et la récompense, c’est une probabilité plus ou moins grande. Cela peut se résumer par la question : « est-ce possible ? ».

La théorie est plus complexe qu’on ne le pense puisqu’elle induit, comme le montre le schéma, des résultats du premier degré (liés à l’exécution du travail) et du second degré (liés aux conséquences produites par les résultats du premier degré, par exemple, un travail bien fait permettra de toucher un salaire mais peut être d’obtenir une promotion).

Cette théorie a apporté de nombreuses réponses mais aussi des possibilités d’actions aux managers, dans leur recherche de la motivation des collaborateurs. Ils ont pu mettre en place des dispositifs d’analyse des résultats recherchés par les salariés (sondages). Cela a aussi permis de faciliter les entretiens d’évaluation, en redéfinissant les attentes et la notion même de performance (très relative). La prise en compte de la capacité a permis d’introduire un élément important dans la définition des objectifs (un objectif doit être réaliste et atteignable). Enfin, les managers ont pris en compte l’aspect perceptif de la motivation qui est parfois éloigné de la réalité. Un travail d’analyse et de décodage de la réalité a pu ainsi être mis en place.

Peu de critiques ont été adressées à ce modèle, même si on a pu lui reprocher, à l’instar de la théorie de l’équité, de passer sous silence les motivations inconscientes des individus. Certains chercheurs, dans les années 80, ont pointé la difficulté de mesure de l’effort qu’un individu est prêt à consentir et son caractère relatif et subjectif (Stahl et Grisby, 1987). Enfin, le caractère sommatif des efforts est remis en question, la quantité de ce facteur ne constituant pas une variable assez précise et prédictive de la performance (les élèves et leur plainte classique : « j’ai beaucoup travaillé, et mon résultat est décevant », en sont la meilleure illustration !).

Les théories du processus mériteraient donc d’être affinées et complétées au sein d’une approche plus globale sous forme de système.

 3.2. La motivation comme système global

Les différentes approches vues précédemment ne prennent pas assez en compte un facteur pourtant essentiel : l’expérience, et plus particulièrement la façon dont les faits sont vécus par l’individu. Sandra Michel s’attache à en démontrer l’intérêt dans un ouvrage de référence (Sandra Michel, « peut-on gérer les motivations ? », 1989, PUF). Selon elle, c’est l’expérience qui permet de comprendre pourquoi une motivation dure ou disparait. Cette expérience permet de définir les buts et projets, expressions de la motivation. Ses travaux abordent les aspects psychologiques de la motivation et intègrent la dimension inconsciente, souvent absente des théories vues plus haut. Selon elle, il ne faut plus gérer la motivation de manière collective mais bien en fonction des compétences individuelles, de l’histoire de chacun. Elle met en avant les bénéfices de l’expérience intentionnelle, qui permet la motivation car le but est profond et réel. Certains travaux, dans les années 90, sont allés dans ce sens, en particulier les travaux de Nuttin.

Le modèle de Nuttin (1991)

Nuttin désigne la motivation comme « l’aspect dynamique et directionnel du comportement » (Nuttin, 1996). Selon lui, la motivation apparait lorsque l’individu est en situation de tension et qu’il imagine une situation future plus satisfaisante que l’actuelle. Cette approche est dite interactionniste car elle se base sur les comportements mais aussi sur les interactions entre l’individu et son environnement. L’environnement est entendu au sens large, biologique mais aussi psychologique et spirituel. La relation entre l’organisme et l’environnement est continuelle. Il n’est donc pas utile d’établir une liste des besoins car tout peut avoir un sens dans le cadre de la relation individu/environnement.

On comprend mieux alors certains comportements qualifiés d’atypiques au regard de la « norme ». Nuttin parle de constellation motivationnelle qui serait responsable de la régulation du comportement. Pour lui, les buts et les projets ont en commun de s’élaborer progressivement au cours de l’action. L’individu va commencer avec un besoin qui va générer une motivation qui va entrainer un but. En fonction des résultats, l’action va évoluer dans l’environnement, le projet va évoluer et se modifier. On pourrait l’illustrer avec la complexité du prétendu processus d’orientation des élèves qui serait mieux compris comme système avec des évolutions inévitables au fur et à mesure que l’élève confronte ses choix au réel.

Le modèle de Nuttin (1991)
lesmotivations.net, d’après Nuttin (1991)

Source : lesmotivations.net, d’après Nuttin (1991)

La discrépance peut être définie comme l’écart entre la connaissance et sa représentation. (du latin discrepantia, discordance). Sandra Michel prétend qu’il existe un véritable système expérience/motivation. C’est le déroulement de l’expérience qui apporte l’information nécessaire à la construction des buts et projets. L’expérience modifie également l’image de soi, de manière positive ou négative. L’expérience joue également sur le désir en lui permettant de se vivre directement. On peut l’illustrer par certains cas de création d’entreprise où le créateur semble seul au monde mais mu par un désir énorme et par la satisfaction générée par l’avancée du projet. On peut même parler de congruence au sens de Carl Rogers (Rogers, 1961), l’individu et ses désirs étant « alignés ».

L’expérience entretient la motivation par un système de régulation « par boucle”. Les expériences peuvent être dues au hasard, imposées ou choisies. Mais dans tous les cas, on constate un recadrage par le système. Les »boucles" qui se mettent en place, interagissent sur l’individu pour susciter des buts et projets connexes. L’expérience choisie est la plus simple à préciser pour obtenir une motivation très forte, c’est le passage au réel qui va clarifier et renforcer la motivation de départ.

Cependant, il peut exister un décalage entre attentes et réalité, ce que les théoriciens de la dissonance cognitive ont essayé de montrer (Festinger, 1957). Ce décalage représenterait la source même de la motivation alors que pour Sandra Michel il ne serait qu’une information sur l’avancée de l’expérience. Il reste que cette approche systémique est à la fois la plus complète mais aussi la plus personnelle des différentes approches sur la motivation. Elle est très peu connue, ni appliquée par les managers car elle les obligerait à traiter chaque cas individuellement. Et pourtant, chaque individu a son propre système de motivation et ses « boucles de rétroaction » ont des effets différents. Pour certains, la boucle expérience/motivation ne réagira pas à la même vitesse que pour les autres. De même, la boucle expérience/projet reste très personnelle, les effets engendrés par l’expérience étant parfois très divers.

Le modèle global de Michel (1989)

Le schéma récapitulatif suivant présente globalement le système de la motivation en reprenant les éléments vus précédemment :

« peut-on gérer les motivations ? »
Sandra Michel, 1989, PUF

Source : « peut-on gérer les motivations ? », Sandra Michel, 1989, PUF

Trois niveaux sont représentés dans cette approche globale et systémique. Le niveau du « vécu » représente les éléments passés ou actuels constituant des expériences qui vont influencer les représentations de l’individu (l’image de soi). Le déroulement des expériences apporte des éléments qui vont modifier la construction des buts et projets, ce qui va renforcer ou non la motivation.

Le niveau des représentations mentales est celui du « présent », où se confrontent les capacités et les opportunités de l’environnement, dans un système qui se régule en permanence. Enfin, c’est le niveau inconscient qui est la source réelle de la motivation, avec les désirs profonds, liés à l’histoire de l’individu mais aussi à ses scenarii (concept cher à l’analyse transactionnelle et à Eric Berne). Là encore, le contexte familial est très présent. Dans la partie gauche haute du schéma, on retrouve la prise en compte des travaux des psychanalystes sur la motivation, en mettant l’accent sur le rôle des désirs comme moteur de la motivation. Ils accompagnent les aspirations comme sources initiales de la motivation.

Au total, cette approche système, encore injustement méconnue, demeure assez complète et ne se prête pas aux critiques adressées aux différentes théories. Son principal problème réside justement dans sa méconnaissance mais aussi sa difficulté à mettre en place comme outil de décodage des managers. Qui prendrait le temps d’analyser le « système global » de motivation d’un collaborateur ? Et qui se permettrait, sans formation adéquate, de rentrer dans des niveaux inconscients, au risque de mal le faire ou de provoquer un sentiment d’intrusion chez le salarié.

Cette approche devrait donc être enseignée et faire l’objet de séminaire ainsi que de travaux d’adaptation pour les managers, pour en assurer la diffusion qu’elle mérite.

 Conclusion : vers un modèle intégré ?

Comme il semble difficile d’appliquer le modèle du système dans l’entreprise, on pourrait alors imaginer de « connecter » les différentes théories dans un modèle intégré global, véritable clé de décodage des motivations. Car si les experts recensent plus de 100 théories de la motivation, il est toujours difficile d’en sélectionner les principales pour les exposer ou les utiliser en formation. Certains auteurs ont essayé de proposer des modèles intégrés (Klein, 1989), qui représentent une véritable « logique » de la motivation.

Le modèle de Klein (1989)

Le modèle de Klein est comparable à celui d’un thermostat, car la température (ici, la décision de l’individu) peut être régulée, dès la perception d’un écart entre le voulu et le réel :

Valeurs et théorie du contrôle comme régulation de la motivation au travail
Michel Dalmas (école de management Léonard De Vinci), d’après les travaux de Klein en 1989

Source : Valeurs et théorie du contrôle comme régulation de la motivation au travail, Michel Dalmas (école de management Léonard De Vinci), d’après les travaux de Klein en 1989

Dans ce modèle, la motivation est présentée sous une forme dynamique de réajustement, par rapport aux résultats perçus par le sujet. Un va-et-vient permanent entre la performance des actions entreprises et les buts initiaux fixés par l’individu expliqueraient sa dynamique motivationnelle. L’approche reprend ainsi quelques théories initiales et constitue un modèle intéressant. Le modèle actuel de référence semble être celui de Mitchell (Mitchell, 2003). Il est repris par nombre d’universitaires et de psychologues qui cherchent à présenter une synthèse globale et actuelle.

Le modèle de Mitchel (2003)

Source : Valeurs et théorie du contrôle comme régulation de la motivation au travail
Michel Dalmas (école de management Léonard De Vinci), d’après les travaux de Mitchell en 2003

Source : Valeurs et théorie du contrôle comme régulation de la motivation au travail, Michel Dalmas (école de management Léonard De Vinci), d’après les travaux de Mitchell en 2003

On peut voir que ce modèle reprend différentes théories en présentant 3 composantes de la motivation :

  • Une composante d’excitation (arousal component) qui représente la composante de déclenchement du comportement motivé et renvoie aux théories des besoins ;
  • Une composante directionnelle (directional component) : les objectifs que se fixent les individus sont par exemple des supports psychologiques essentiels, étudiés particulièrement par les théoriciens et les praticiens de la théorie de la fixation des objectifs ;
  • Une composante d’intensité (intensity component) qui reprend les travaux des théories volitionnelles et précède la performance comme résultat de la motivation.

Une synthèse a été proposée dans le très complet et excellent ouvrage de Robbins et Judge, « comportements organisationnels » (2006, Pearsons education). Après avoir passé en revue les différentes théories, les auteurs proposent un modèle intégré très pertinent et opérationnel.

Le modèle de synthèse de Robbins et Judge (2006)

Comportements organisationnels
Robbins et Judge, p. 223

Source : Comportements organisationnels, Robbins et Judge, p. 223

Le contexte peut faciliter ou entraver l’effort de l’individu. Les objectifs sont donc un préalable au comportement. La théorie des buts de Locke est alors représentée et prend son importance dans ce schéma. Mais l’intérêt de ce modèle réside dans la connexion avec la théorie des attentes, puisqu’on peut trouver une comparaison d’équité (au sens de la théorie d’Adams) en relation avec la rétribution attendue (au sens de la théorie de Vroom). Le modèle reprend aussi le besoin ultime de la pyramide de Maslow (accomplissement) et évoque les « besoins dominants » des individus. Il utilise aussi la théorie du renforcement en connectant les récompenses offertes (rétribution) aux performances. La connexion avec la théorie de l’équité permet de relativiser le rôle de la récompense, en incluant le concept de justice organisationnelle.

Un tel modèle, complet et assez simple à comprendre, pourrait être facilement utilisé dans les organisations, comme clé de lecture des comportements et motivations. Un travail de formation et d’explication devrait alors être mené, ce qui permettrait de prendre en compte le caractère multifactoriel et systémique de la motivation. Ceci éviterait les traditionnelles « réductions » managériales de la motivation à quelques simples figures. La réalité actuelle, complexe et incertaine, des organisations, justifie la prise en compte de modèles plus complets et développés pour préciser le concept difficile de motivation.

 Sitographie et articles téléchargeables

Modèle intégratif de la motivation (Fabien Fenouillet) : http://www.cddp91.ac-versailles.fr/IMG/ppt/Motivation_scolaire.ppt Un diaporama très intéressant sur la motivation, appliquée au contexte scolaire, avec des exemples d’expériences.

Motivation et pratique sportive : calamar.univag.fr/uag/staps/cours/psycho3/Motiv_sport.pdf Un cours de STAPS sur les théories de la motivation sportive, très précis avec de nombreux schémas.

L’Apprentissage auto-régulé : entre cognition et motivation, déontologie et identité, Laurent Cosnefroy, Presses universitaires de Grenoble : http://www.pug.fr/extract/show/2547

La part du collectif dans la motivation et son impact sur le bien-être comme médiateur de la réussite des étudiants : Jean HEUTTE, Thèse de doctorat en Sciences de l’éducation, université de Nanterre, 2011 : jean.heutte.free.fr/IMG/pdf/Heutte-these-2011-03-18.pdf Une thèse passionnante, qui insiste sur l’impact du facteur social dans la motivation.

Le passé et l’avenir du concept de volition pour la psychologie de l’éducation et de la formation, Broonen, Les cahiers internationaux de psychologie sociale, 2007 : http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=CIPS_074_0003

 Bibliographie

Ouvrages de référence (non exhaustif) :

Comportements organisationnels, Robbins et Judge, Pearson Education, 2006 Un ouvrage très complet, avec une analyse profonde des théories et la proposition d’un modèle intégrateur.

Management des organisations, Hellriegel, Slocum et Woodman, De Boeck, 2010 Une somme de connaissances et de références ! Un chapitre entier (le 6) consacré à la motivation au travail avec de nombreuses études de cas, pour illustrer cours et séminaires...

La motivation au travail, Lévy-Leboyer, Editions d’organisation, 2010 Une référence en psychologie du travail, une partie sur la théorie et une autre sur la mise en pratique... intelligent et réflexif.

Peut-on gérer les motivations, Michel, PUF, 1989 Un ouvrage axé sur l’approche psychologique qui remet en avant des approches méconnues de la motivation (psychanalyse, analyse transactionnelle...) et qui propose le modèle global systémique présenté en fin de partie 3. Très pertinent, mais il faut quelques bases de psychologie pour l’aborder.

Les théories de la motivation, Fenouillet, Dunod, 2012 Un ouvrage de référence écrit par l’un des meilleurs spécialistes français ; complet et complexe à la fois...

Articles de référence : (non exhaustif)

« Théories de la motivation et pratiques sportives, état des recherches », sous la direction de Curry et Sarrazin, PUF (2001) Un ouvrage qui reprend les théories les plus complexes pour mieux comprendre le phénomène de motivation dans le sport mais aussi expliquer les conduites d’abandon sportif.

« La motivation », Fabien Fenouillet, Érès, 2003 L’auteur dresse un vaste panorama des différentes théories motivationnelles. La dernière partie de l’ouvrage est consacrée aux différentes implications et applications des théories modernes de la motivation dans le domaine scolaire et dans le monde du travail.

« Les motivations », Alex Mucchielli, Puf, 2006 Une présentation unifiée des théories des motivations, par un spécialiste reconnu (nombreux ouvrages écrits aux éditions ESF.)

« Théorie de la motivation humaine », Joseph Nuttin, Puf, 2000 C’est dans le cadre d’une conception élargie du comportement que l’auteur explore la motivation, dans toute sa diversité et sa complexité ; en particulier les relations avec l’environnement.

« La motivation : désir de savoir décision d’apprendre », Cécile Delannoy et Jacques Lévine, Hachette, 2005 Qui, mieux que l’enseignant, peut éveiller le désir d’apprendre ? Secondée par les réflexions du psychanalyste Jacques Lévine, Cécile Delannoy met en rapport les structures du désir de l’enfant avec la question du sens des apprentissages. Cet ouvrage traite des aspects les plus concrets de cette dynamique essentielle à l’école.

« La « cagnotte » et les théories de la motivation », Fabien Fenouillet, les cahiers pédagogiques, 2005 : l’auteur examine l’intérêt et l’impact des récompenses dans la motivation des élèves. A lire ! Les ressorts de la motivation, dossiers du magazine Sciences Humaines, Mars 1999

Sites Internet : (non exhaustif)

http://www.lesmotivations.net Site de Fabien Fenouillet, spécialiste de la motivation. Très complet et quasi exhaustif mais complexe au premier abord et peu ergonomique.

http://www.delapsychologie.com/article-les-theories-de-la-motivation-39720003.html Un site psychologique, facile d’accès.

http://www.lesclesdelamotivation.fr/LesThories.html Un site de vulgarisation, qui reprend le thème de la motivation scolaire.

http://www.scienceshumaines.com/theories-de-la-motivation_fr_10693.html L’indispensable site de la revue Sciences Humaines qui a consacré un hors série à la question de la motivation, qu’on peut acheter en ligne.

http://neuropedagogie.com/methodologie-generale/la-motivation/theories-generales-sur-la-motivation.html Site très intéressant mais assez complexe, pour public déjà initié à la neuropédagogie.

http://actupsy.free.fr/motiv.htm Site très développé avec un tour d’horizon complet des théories et des présentations sous forme de tableaux. Différents domaines (scolaire, professionnel...) sont abordés distinctement.

Pour télécharger cet article au format pdf, cliquer sur le lien ci-dessous :

Management de la motivation : des théories au système global de la motivation (ou vers un véritable système de la motivation)
Stéphane Jacquet

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