Structures et organisation :

Vers une véritable analyse système de l’entreprise Première partie : « la structuration et ses biais »

, par Stéphane Jacquet

François Dupuy, dans son second opus (après « lost in management ») dénonce la « faillite de la pensée managériale ». On se serait trompé sur de nombreux points et il fait porter la responsabilité aux business schools et aux cabinets de conseil. La première grande confusion porterait sur « structure et organisation ». On croit parler de l’organisation alors qu’on présente ses structures. Si les structures correspondent au prescrit, c’est à dire à la partie émergée de l’iceberg, elles ne font que présenter une version abstraite de l’entreprise ; pire encore une fiction d’organisation. « J’apparais dans l’organigramme, mais ma position réelle n’est pas modélisable », me disait Alexandre, chef-décorateur d’un grand hypermarché. Il travaille avec tout le monde et ne rend des comptes qu’au directeur, alors que c’est un chef de secteur qui réalise son entretien annuel d’évaluation ! François Dupuy présente l’exemple des contrôleurs aériens qui, au lieu de faire grève, se sont contentés d’appliquer les procédures et de respecter les temps entre les décollages… avec un embouteillage du tarmac de l’aéroport à la clé !

Alors qu’apporte vraiment la structure pour une entreprise ?

Largement étudiée en BTS, cette partie du cours de management (en BTS 2) est vue sous l’angle du choix (3.1 « choisir une structure ») et de la dynamique (3.2 « faire évoluer la structure »). Mais de l’avis des professeurs, elle reste difficile à appréhender pour les étudiants, malgré des intitulés clairs et un objet d’étude tangible et visible, avec des symboles nombreux et forts (l’organigramme, les titres, les bureaux, les attributs du pouvoir).

Cependant, elle ne reflète pas, selon certains auteurs (François Dupuy en tête) la réalité de l’organisation, qui reste concrète et effective (le « faire »). Modéliser le concret semble alors difficile car il faut bien le présenter autrement qu’à travers des exemples d’entreprises qui ont réussi à s’affranchir des structures (FAVI, par exemple). Il est assez difficile de trouver un fil conducteur théorique à des approches séduisantes et concrètes de « libération » de l’entreprise (par exemple les travaux d’Isaac Geitz).

On peut alors pousser le raisonnement vers la systémique, une véritable clé de compréhension de la réalité. L’approche du management en DCG (UE 7) ne se focalise pas sur les structures (malgré un point sur l’histoire des structures et un autre sur la typologie des structures formelles), mais propose plutôt de caractériser les fonctions au sein d’une organisation et leurs interactions dans une perspective systémique ». Ainsi le problème d’une étude différenciée, qui priverait l’élève ou l’étudiant débutant en management, d’une approche interactionniste, entretient le risque d’une approche inexacte, parce qu’abstraite, du management à travers des structures figées.

Il convient quand même de rechercher pourquoi les auteurs ont voulu, à ce point, modéliser les structures et avec quels avantages pour les organisations.

Ainsi la première partie s’intitulera « la structuration et ses biais » (1) pour montrer la volonté des auteurs de représenter clairement l’émergence des modèles classiques (1.1), mais qui ne reflète qu’une intention, à cause des nombreux biais liés à ces « modèles » (1.2), mais aussi des critiques profondes qu’on peut leur adresser, dont celles, assez méconnues, de trois écoles de pensée des années 70 (2.2.2).

 1. L’émergence d’une analyse structurelle

1.1 L’intérêt de la structuration

Pour Hellriegel, Slocum et Woodman (in « management des organisations » De Boeck éditions, 2004), La structure de l’organisation devrait répondre à trois besoins :

  • Faciliter la circulation de l’information et la prise de décisions
  • Définir clairement l’autorité et la responsabilité
  • Préciser le degré d’intégration souhaité entre les départements (coordination)

A partir de cette approche, il convient de se demander quels sont les éléments clés d’une structure.

Pour Livian, sept éléments permettent de cerner le « phénomène organisationnel » :

  • Un espace dans lequel le travail est divisé
  • Une coordination collective de l’action
  • Une finalité dans l’action, voire un sens
  • Des choix et décisions, mais aussi des négociations
  • Des règles, procédures et contrôles, pour réguler cette action
  • Une temporalisation de l’action, qui est fractionnée
  • Des représentations et des connaissances collectives

Robbins et Judge (in « comportements organisationnels, Pearson Education, 2006) précisent que la structure organisationnelle définit la façon dont les tâches professionnelles sont réparties, regroupées et coordonnées. C’est la réponse à six grandes questions-clés qui va fournir le modèle de structure de l’organisation.

Source : « comportement organisationnel », Robbins et Judge, Pearson Education, 2006

La spécialisation du travail est un concept clé du siècle dernier, qui a permis le développement industriel. Popularisé par Ford sur les chaînes automobiles, elle permettait à une main d’œuvre peu qualifiée de produire une voiture toutes les dix secondes. La recherche de la productivité est donc passée par le développement de cette spécialisation, en application des principes classiques de l’économie, en particulier des travaux d’Adam Smith, sur la manufacture d’épingles. Dans son ouvrage majeur « la richesse des nations », il cherche à convaincre les lecteurs de l’intérêt d’une division du travail (même si cet exemple a été souvent critiqué par la suite).

« L’importante activité de fabriquer une épingle est ainsi subdivisée en environ dix-huit opérations distinctes, qui dans certaines fabriques sont toutes exécutées par des mains distinctes, quoique dans d’autres le même homme en exécutera parfois deux ou trois. J’ai vu une petite fabrique de ce genre où l’on n’employait que dix hommes. »

(Adam Smith)

La fabrique en question préfigure l’usine moderne, dans laquelle l’ultra-spécialisation devient la règle.

Source : http://antisophiste.blogspot.fr/2013/03/adam-smith-et-la-manufacture-depingles.html/]

Le caractère répétitif des tâches permet d’effectuer de mieux en mieux les travaux et les dépenses en formation sont minimisées. A l’image de la formation actuelle des équipiers de McDonalds, qui est réalisée lors de l’intégration, avec de nombreux outils de e-learning, la spécialisation permet d’optimiser les coûts et d’atteindre une sorte d’optimum de production. C’est donc l’avènement du modèle de l’ouvrier spécialisé, permettant la production à l’échelle industrielle. La départementalisation est le deuxième point-clé évoqué par Robbins et Judge. Il s’agit de regrouper des activités apparentées pour en garantir la coordination. C’est le regroupement par fonctions qui va le plus souvent primer, en application des thèses de Fayol qui préconise de regrouper l’organisation en six fonctions. Cinq fonctions sont verticales ou spécifiques :

  1. Technique : Produire, transformer et fabriquer
  2. Commerciale : Achat, vente et échange
  3. Financière : Rechercher et utiliser de façon optimale les capitaux
  4. De sécurité : Protection des personnes et des biens
  5. De comptabilité : Calcul de paie et des statistiques
  6. La sixième est une activité horizontale ou transve-# rse Administrative : Prévoir, organiser, commander, coordonner, contrôler (POCCC).

La segmentation peut également se faire par produit ou de manière géographique. Une approche plus récente préconise la segmentation par type de client (particulier, professionnel), comme dans les banques pour l’attribution des portefeuilles clients aux conseillers. Le plus souvent, c’est un mix de ces quatre approches qui a permis le développement des organisations au siècle dernier.

Ensuite, se pose la question de la chaîne hiérarchique, qui a longtemps constitué le cœur de l’organisation structurelle. Le modèle militaire ou celui de l’administration centrale française peut être évoqué. Il s’agit d’identifier parfaitement la ligne de commandement continue qui s’étend du sommet à la base de la hiérarchie. Cette chaîne s’appuie sur deux principes, l’autorité (capacité à donner des ordres et à escompter qu’ils soient suivis) et l’unité de commandement (un agent ne dépend que d’un seul supérieur). Dans de nombreux secteurs, c’est encore la base de la structuration des organisations. C’est ce qui garantit, par exemple, la bonne transmission des informations lors d’interventions de secours chez les pompiers, et la répartition des tâches et prérogatives sur des interventions longues et difficiles (type plan rouge, engageant plusieurs centaines de pompiers). Les services départementaux de secours sont encore organisés de manière très hiérarchique :

[/Source : organisation du SDIS 84

Dans un grand restaurant, la hiérarchie forme la clé de la réussite, permettant de gérer le fameux « coup de feu » en sachant « qui fait quoi ? » et surtout quelles sont les prérogatives de chacun. On peut voir dans le schéma suivant que la hiérarchie se double d’une organisation « par parties », conforme à la spécialisation par produits des restaurants mais aussi liée aux différentes formations et compétences en présence.

Source : http://www.michel-sarran.com/]

L’éventail de contrôle forme le quatrième élément de la structure. Il s’agit de savoir combien d’employés un manager peut diriger efficacement. Plus un éventail est large et plus l’organisation réalisera des économies. Cependant, une trop grande largeur rendra le contrôle plus difficile. Il est fréquent, aujourd’hui, de supprimer des échelons hiérarchiques dans les organisations, ce qui élargit automatiquement l’éventail de contrôle du manager restant. Il a donc fallu former et rendre plus autonome les agents pour faciliter ce processus initié dans les années 80 (« reengineering »).

La question de la centralisation et donc de l’éventuelle décentralisation reste majeure, pour les auteurs en organisation. Il s’agit d’évaluer le degré de concentration du pouvoir et la possibilité de transférer la décision au niveau local. Le développement des grandes organisations modernes a induit un mouvement de décentralisation important, lié aux contraintes de rapidité des décisions à prendre et à leur aspect spécifique.

Enfin, la formalisation est le sixième point évoqué par Robbins et Judge, il désigne le degré de standardisation des emplois dans une structure. Il varie énormément suivant les organisations, le mythe de l’OS « interchangeable » ayant vécu, l’homogénéité nécessaire à un emploi ne va plus se retrouver que dans certains secteurs très spécifiques (armée, services de secours, sécurité). Elle suppose de nombreuses règles et procédures. On est parfois surpris de la formalisation qui peut exister dans certaines fonctions, en théorie autonomes, encore aujourd’hui. Certaines entreprises ont imposé un « dress code » à leurs salariés. Voici l’extrait d’un passage du « dress code » d’une grande banque suisse :

[/Source « dress code » UBS

1.2 Les modalités de la structuration

Cette approche de la structuration, dite « classique », s’est surtout mise en place lors de la période phare de la révolution industrielle, entre le début et le milieu du 20e siècle. Comme le montre le schéma suivant, elle correspond à trois mouvements chronologiques qui se succèdent, en s’implémentant mutuellement, pour aboutir à la plupart des organigrammes des grandes entreprises dans les années 70.

Les systèmes sont dits « mécanistes », par leur recours fréquent à des règles formelles, à la centralisation de la prise de décision et à la définition étroite attribuée à chaque fonction, ainsi qu’au primat de la voie hiérarchique.

Source : Linda Rouleau, théorie des organisations, presses de l’université du Québec, 2007

Chaque « école » vient proposer des modalités de structuration et s’appuyer sur des éléments essentiels, censés garantir le bon fonctionnement de l’entreprise.

L’école de l’OST, principalement représentée par Taylor, considère l’entreprise comme une machine, qui doit être efficace et apporter du rendement. La structure qui caractérise son modèle est la structure fonctionnelle. Elle repose sur le principe de la double division des tâches : verticale pour le commandement (de la conception à l’application, donc du dirigeant à l’ouvrier, en passant par les cadres et la maîtrise) et horizontale, en distinguant bien les différents métiers de l’entreprise. Elle implique la pluralité de commandement, qui dépend du statut occupé dans l’entreprise (ingénieur ou ouvrier par exemple).

Cette structure est simple et favorise la spécialisation, ainsi que le découpage des opérations. Pour le courant dit de l’OAT (organisation administrative du travail), symbolisé par Fayol : il s’agit de s’intéresser également au fonctionnement bureaucratique de l’entreprise et non plus seulement à la production. Fayol introduit alors le principe de pluralité du commandement et rend un peu plus complexe la structure taylorienne, pour l’adapter au secteur tertiaire et aux administrations qui se développent à cette époque.

Les principes militaires sont appliqués dans la gestion de ce modèle avec des règlements très précis, basés sur l’idée que tout doit être prévisible et prévu.

Une clarté dans la prise de décision ressort de ce modèle, encore adopté dans les casernes et organisations de secours.

On peut l’illustrer par cet organigramme de service de secours québécois :

Source : http://www.ville.valleyfield.qc.ca/]

On voit bien le poids de la hiérarchie, qui est reproduit dans chacune des 4 équipes opérationnelles. Le chef de division endosse la responsabilité globale des opérations, ce qui est très pratique en cas de crise majeure. A noter que la hiérarchie de chaque équipe est « duale » pour pallier l’absence d’un des chefs. C’est aussi le principe d’une unité de combat dans l’armée française ou de la structuration d’un petit atelier de fabrication industrielle.

 2. Les biais de l’analyse structurelle

Certains biais sont générés par la nature même de ces structures et sont dénoncés par les acteurs de ces systèmes. Ils ont également donné lieu à des mouvements critiques importants, au sein de la recherche.

2.1 Des biais par nature pour les structures hiérarchiques

La nature même de ce système et sa logique génèrent des biais importants. La structure fonctionnelle de base a été mise en place dans une logique de croissance et de relative stabilité de l’environnement. Des routines organisationnelles ont été créées, qui supportent assez mal la nouveauté, le changement et les situations de crise. La structure hiérarchique quelle soit productive ou bureaucratique fonctionne grâce au contrôle étroit lié à la chaîne de commandement.

[/Source : archives Renault, 1931

La principale faiblesse de ce modèle tient dans sa rigidité et son impossibilité de s’adapter aux évolutions rapides du contexte. Les problèmes nouveaux ne rencontrent pas de « réponses routinières » adaptées. C’est un facteur de crise du modèle.

Certains théoriciens et praticiens de l’organisation ont cherché à adapter et enrichir ce type de structure pour mieux répondre à la croissance et au changement. Ils l’ont souvent rendu plus complexe et ralentit les processus de décision, ce qui génère un biais supplémentaire.

Un autre biais d’importance est celui du rôle de l’Homme dans ce système. Dénoncée par Charlie Chaplin dans « les temps modernes », la standardisation à l’extrême transforme les employés en automates. Certains auteurs ont même défendu la thèse de l’annihilation de l’homme par le taylorisme. Le manager taylorien veut se substituer au travailleur comme auteur du travail et cela choque profondément en Amérique, pays des libertés individuelles (R. Pinard in « la révolution du travail »). Pour cela, il faut annihiler toute prétention ouvrière à l’auto-organisation qui pourrait aller contre le productivisme. Le nœud du problème à résoudre, comme Taylor (1911) l’affirme d’entrée de jeu, est le monopole ouvrier du savoir productif ; et c’est le manager qui le détient. Ce modèle a très bien été exporté en France, pays des « ingénieurs », en le mixant aux thèses de Fayol (lui même brillant ingénieur).

On a reproché, également à Fayol, de ne pas tenir compte de l’innovation, l’obsolescence, et des progrès de la psychosociologie. Pour compléter ce tableau critique, certains auteurs ont pointé la mauvaise circulation de l’information liée à la hiérarchie. Les individus qui occupent une haute position dans la ligne hiérarchique possèdent les plus larges réseaux, sont davantage impliqués dans la circulation de l’information et ont des contacts plus nombreux avec les autres statuts élevés (Stohl, 1995). Ainsi, la communication interne comporte des lacunes susceptibles d’entraîner des problèmes de communication. Le système informel des organisations constitue un riche réseau de production de messages. Comme ce système n’est pas circonscrit comme l’est le système formel, il génère des déficiences susceptibles de créer des problèmes de communication (Saint-Hilaire, 2005).

2.2 Des mouvements critiques

De nombreux mouvements critiques émergent au 20e siècle pour dénoncer les inconvénients majeurs de ces modes de structuration. Cependant, il faut rechercher plus tard, à partir des années 60, quelques courants de recherches originaux et peu connus, qui dénoncent l’approche structurelle classique.

Ces théories critiques sont toutes fondées sur une approche humaniste. Même si elles ont déjà émergé avec les approches psychosociologiques de l’école des relations humaines, c’est bien dans les années 70, qu’on retrouve les critiques les plus virulentes adressées aux théories classiques. On peut le comprendre car les premiers soubresauts de la crise économiques apparaissent en entreprise et que certains mouvements politiques dénoncent le capitalisme à travers l’organisation de ces centres de production. On revient à la dénonciation, par Charlie Chaplin, dans « les temps modernes », de l’assujettissement de l’individu et de l’annihilation de sa conscience personnelle.

Source : erudit.org (image tirée du film « les temps modernes »)

Ces théories reposent sur une vision critique de la société de consommation et de l’aliénation par le travail. La structuration des entreprises est dénoncée comme premier facteur participant à la déshumanisation de l’espace de travail, par le développement de souffrances et de frustrations. Ces théories mettent l’accent sur les efforts des travailleurs pour se libérer et s’émanciper. Deux grands fondements émergent alors :

  • L’individu est un sujet avec une capacité critique d’autoréflexion ;
  • Les processus organisationnels classiques sont incertains, contradictoires et précaires.

Trois grands mouvements d’idées sont influencés par cette approche, ils sont assez peu utilisés lorsqu’on cherche à démontrer les faiblesses des modèles structurels classiques mais restent pertinents et méritent d’être connus par les enseignants, pour développer l’esprit critique de leurs élèves. Un premier mouvement, la théorie du processus de travail, vise les systèmes et le contrôle ; quand un deuxième mouvement, la théorie critique de la raison et de l’agir communicationnel, s’attache plutôt à la domination. Enfin, la critique radicale féministe met en avant la reproduction des rapports sociaux de genre, au sein des structures de l’organisation.

2.2.1 La théorie des processus de travail

Un mouvement de chercheurs britanniques s’est intéressé à la question du contrôle des individus dans les entreprises. Il met en avant la déqualification des travailleurs liée au système de production issu du taylorisme. Ces thèses sont actuelles, car elles ont fait l’objet de communications récentes (Warren, 2003) qui renvoient aux approches économiques de l’école de la régulation (en particulier les travaux de Boyer). Braverman, auteur marxiste américain, postule que le capitaliste n’achète pas une quantité de travail mais une force de travail pendant un temps donné. Il montre l’importance des procédés de contrôle de la force de travail. Ainsi, pour réaliser une rente la plus grande possible, le capitaliste va chercher à augmenter le rendement de la force de travail, ce qui passe notamment par l’organisation et le contrôle du travail (Braverman, 1974). La prééminence des processus de gestion qui conduisent à la performance « aveugle » les décideurs. Le système de surveillance participe à la démarche de prescription de conduite, y compris dans des activités « qualifiées ». Cependant, des résistances se mettent en place, dans une logique de subjectivité ; ce qui permet de mettre en avant l’importance de l’action de l’individu sur la structure. Certains auteurs s’élèvent donc contre l’hypothèse de « déqualification » du travailleur, présentée par les tenants de la théorie du processus (Jones et Wood, 1984), en mettant en avant les « qualifications tacites » des travailleurs. Plus près de nous, Giddens développe, dans sa théorie de la structuration, le lien nécessaire entre les technologies de contrôle et la structure (Giddens, 1987). Pour lui : « le moment de la production de l’action est aussi un moment de reproduction, dans des contextes d’actualisation quotidienne de la vie sociale, même lors des bouleversements les plus violents ou des formes les plus radicales de changement social ». Le structurel est donc dual et permet autant la contrainte… que l’habilitation. C’est donc une critique mais finalement assez « compréhensive » du taylorisme.

2.2.2 La théorie critique de la raison et de l’agir organisationnel

En s’inspirant de certains courants philosophiques (Habermas), certains auteurs explorent la domination et dénoncent la « raison instrumentale » qui fonde la domination de l’Homme sur la nature. Le capitalisme avancé est « administré » et les conditions de la production (donc la structuration) expliquent la domination de certains individus. Pour certains, la rationalité technologique gêne l’émancipation des individus (Alvesson, 1987). Cependant, le contrôle peut aussi provoquer des résistances et, paradoxalement, permettre l’émancipation de certains… ce qui revient à critiquer la structuration en montrant que ses objectifs (standardisation des comportements et des procédés) ne sont pas toujours atteints. Forester s’attache aux interactions communicationnelles et démontre qu’elles permettent de modéliser des décisions et constituent des instruments de rationalité (en particulier dans les réunions). Pour Forester (1989), qui demeure l’une des figures de proue du courant communicationnel, la planification doit être considérée avant tout comme un processus politique. Ainsi, la compréhension intersubjective permet de fonder l’action en substituant à la rationalité instrumentale du modèle rationaliste une rationalité communicationnelle. Cependant, les différences de registres de communication et le rôle important joué par le langage pourraient expliquer la domination de certains acteurs dans l’entreprise (on peut penser à la communauté des ingénieurs dans les entreprises industrielles). Pour résumer, la communication pourrait permettre de sortir de cette relation de domination liée à la structuration, mais elle peut aussi générer de grandes différences entre les individus ou être l‘expression de choix. Pour illustrer cette ambiguïté, une scène du film « ressources humaines » peut être exploitée. Le héros demande à un ouvrier, collègue de son père, d’analyser ses conditions de travail et celui-ci « refuse » lorsqu’il est sur le lieu de travail, mais se répand « hors contexte », comme si, par fatalité, la structure l’enfermait dans un rôle prescrit et déshumanisé.

2.2.3 La critique radicale féministe

Le courant critique s’est aussi intéressé à la reproduction des rapports sociaux et à sa dénonciation, dans l’entreprise. La position des femmes dans les entreprises « taylorisée » est étudiée et dénoncée. Les fonctions occupées (secrétaires, ouvrières peu qualifiées) sont étudiées à la lumière des systèmes de contrôle des organisations. Les rapports sociaux sont analysés comme résultant de constructions symboliques favorisés par la structuration des entreprises (Gherardi, 1990). L’ordre symbolique existe dans chaque organisation et dépasse la simple question des inégalités de salaires hommes/femmes (qui viennent immédiatement à l’esprit), même en 2015. La division du travail est aussi analysable entre les sexes (Alvesson, 1998). Le langage de l’organisation est également pointé comme vecteur de « différenciation » des genres (Martin, 1990). Le management utiliserait donc un discours très masculin et les structures de production évolueraient d’un mode paternaliste vers un mode plus compétitif. La domination des hommes est aussi pointée à travers l’analyse de la répartition du pouvoir (faiblesse de la représentation des femmes dans les conseils d’administration) et du « marquage » de certaines fonctions (prééminence des femmes dans la communication et les ressources humaines). Cette vision critique différente permet aussi de montrer que la structuration n’est pas un processus « innocent » et dénué de sens symbolique. Ce courant est toujours d’actualité, fournissant des analyses pertinentes, sur des secteurs fortement « sexués » (la bourse).

Ainsi, il conviendra de voir, dans une deuxième partie, quels types de structures ont cherché à adopter les entreprises dans une logique plus systémique, mais aussi les limites de ces modèles et les nouvelles approches structurelles, favorisant l’agilité.

 Bibliographie de base

Ouvrages généraux :
  • Robbins et Judge : « Comportements organisationnels », Pearson Education
  • Hellriegel, Slocum et Woodman : « management des organisations », de boeck
  • Darbelet, Izard et Scaramuzza : « notions fondamentales de management », Foucher
  • Leban : « management de l’entreprise », Editions d’organisation
  • Saussois (sous la direction de ) : « les organisations », éditions Sciences humaines
  • Rouleau, « théorie des organisations », presses de l’université du Québec (2007)
Sur les théories critiques :
  • Harry Braverman « Travail et capitalisme monopoliste », éditions Maspero (1976)
  • JŸrgen Habermas : « Théorie de l’agir communicationnel », Fayard (2001)
  • Paola Talbet : « La Construction sociale de l’inégalité des sexes ». Des outils et des corps, l’Harmattan (1988)
Critique générale de l’approche classique :
  • Dupuy : « lost in management » et « la faillite de la pensée managériale », Seuil

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