La réputation de la grande entreprise est-elle un actif spécifique ?

, par Michelle Graziani

La réputation de l’entreprise est considérée aujourd’hui comme l’actif stratégique le plus important sur le plan de la création de valeur. Elle procure à la firme un avantage compétitif unique qui lui permet de se différencier de ses concurrents. Elle constitue néanmoins un capital fragile et c’est pourquoi, l’entreprise doit mettre en place un management de la réputation destiné à la protéger durablement.

 Introduction

« Les deux choses les plus importantes n’apparaissent pas au bilan de l’entreprise : sa réputation et ses hommes ! ». Par cette citation, Henry Ford souligne l’importance que revêt la réputation de l’entreprise comme élément stratégique de sa réussite. Celle-ci constitue, en effet, une ressource essentielle que l’entreprise se doit de gérer au mieux afin d’en retirer un avantage concurrentiel. Pourtant, certaines entreprises n’ont pas su anticiper et éviter les risques de réputation qui ont, par la suite, plus ou moins terni leur image aux yeux du public.

En 2002, les scandales qui ont éclaboussé les sociétés américaines Enron et Worldcom ont montré comment l’absence de respect des pratiques éthiques dans le domaine financier pouvait nuire à la renommée de grandes entreprises entraînant, par là-même, une perte de confiance des parties prenantes.

Plus récemment, entre 2011 et 2013, certaines grandes entreprises françaises ont été la cible des médias prenant ainsi le risque de mettre à mal leur réputation et ce, pour diverses raisons : Findus pris à partie dans le scandale de la viande de cheval, Carrefour assigné en justice pour non-respect de la législation en matière de travail de nuit, Petit Bateau soupçonné de sexisme ou bien encore Mattel accusé de participer à la déforestation Indonésienne…. Toutes ces entreprises, et bien d’autres encore, parce qu’elles n’ont pas adopté des comportements conformes à la morale, aux valeurs partagées ou bien qu’elles n’ont pas su répondre aux attentes du public, ont vu leur réputation se fragiliser, à des degrés divers, entraînant une détérioration plus ou moins importante des relations qu’elles entretenaient avec leur environnement.

A contrario, de grandes entreprises, parmi lesquelles Google, Michelin, Danone, Yves Rocher, Décathlon, Veolia … jouissent d’une bonne réputation auprès des différentes parties prenantes dont elles conservent la confiance et ce, parce qu’elles respectent le « contrat social » qui existe entre elles et la société.

Selon la réglementation française, une « grande entreprise » (GE) se définit comme une entreprise qui emploie au moins 5 000 salariés. Une entreprise qui a moins de 5 000 salariés mais plus de 1,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires et plus de 2 milliards d’euros de total de bilan est aussi considérée comme une grande entreprise (source Insee). Il s’agit d’une entreprise mondialisée dont la forme juridique est la société anonyme et dont la stratégie d’internationalisation la conduit à réaliser des opérations de conception, de production et de distribution dans de nombreux pays dispersés sur l’ensemble des continents.

La « réputation » de la GE est un actif incorporel, une ressource intangible bâtie avec le temps et qui représente la valeur et la confiance accordées à l’organisation par les parties prenantes. C’est un indicateur qui mesure l’estime concédée à l’entreprise par ses différents publics. Elle se construit à travers les expériences et en fonction des relations que chaque personne entretient avec l’organisation, en fonction de ses propres perceptions mais aussi au travers des influences sociales. Elle correspond à la somme ou à l’ensemble des évaluations des stakeholders (G. Davies). Elle prend appui sur des valeurs prônées par l’entreprise telles que l’authenticité, l’honnêteté, la responsabilité et l’intégrité mais également sur l’identité de l’entreprise, reflet de sa culture et de son histoire. Ainsi, selon que la firme respecte ou non ces valeurs, selon qu’elle est capable de mettre en accord ce qu’elle est, ce qu’elle dit, ce qu’elle fait et ce qu’elle représente, la grande entreprise peut bénéficier soit d’une bonne réputation soit d’une mauvaise réputation.

Au sens comptable, dans un bilan, un « actif » est, ce qui, figure l’ensemble des biens matériels et immatériels détenus par une entreprise. Cependant, parmi les actifs immatériels, il convient de distinguer, d’une part, les actifs incorporels qui sont comptabilisables par le prix d’acquisition et d’autre part, les actifs intangibles, dont fait partie la réputation de l’entreprise, qui ne sont pas toujours comptabilisables du fait même qu’ils sont difficilement identifiables et mesurables. « Spécifique » signifie « qui appartient en propre à une espèce, à une chose en particulier ». Selon O. Williamson, « Un actif est dit « spécifique » lorsque sa valeur dans une autre utilisation possible est inférieure à sa valeur dans son utilisation actuelle ». C’est donc un actif non redéployable ou redéployable à un coût élevé.

Dès lors, peut-on considérer la réputation de la grande entreprise comme un actif spécifique ?

La réputation de la grande entreprise : un actif spécifique fondé sur sa performance globale … (I) … mais un actif spécifique fragile qu’il convient d’entretenir (II).

 I - LA RÉPUTATION DE LA GRANDE ENTREPRISE : UN ACTIF SPÉCIFIQUE FONDÉ SUR SA PERFORMANCE GLOBALE …

 A/ Les déterminants de la réputation de la GE

La réputation de la GE est conditionnée par la façon qu’elle a de prendre en compte les intérêts de ses différentes parties prenantes. E. Freeman, en 1984, définit la (les) partie(s) prenante(s) -ou stakeholder(s)- comme « Un individu ou groupe d’individus qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs organisationnels ».

1. La création de valeur pour le client et pour l’actionnaire

a) La création de valeur pour le client

Dans un environnement concurrentiel, l’entreprise, dont l’objectif économique est de réaliser des profits et d’assurer sa pérennité, se doit de procurer aux consommateurs le plus haut niveau de satisfaction. En effet, dès lors que ces derniers perçoivent, de la part d’une entreprise, une création de valeur supérieure à celle créée par ses concurrents, ils vont souhaiter acquérir les produits de ladite entreprise. La plus-value perçue par le client peut concerner la qualité et la sécurité des produits mais aussi l’information et la protection du consommateur ou bien encore l’offre de produits et services associés. Elle devient alors une source de performance concurrentielle pour l’entreprise car c’est une façon pour elle de fidéliser sa clientèle tout en attirant de nouveaux clients.

L’analyse de la chaîne de valeur (M. Porter) consiste, pour l’entreprise, à repérer les différentes étapes de ses processus de création de valeur, de la conception du produit ou du service à sa mise à disposition au client final. La chaîne de valeur, qui porte sur les processus internes à l’entreprise et sur les interactions entre ses différentes composantes, montre où et comment se crée la valeur ajoutée au sein de l’entreprise. Sa capacité à coordonner de manière optimale ses processus tout en minimisant les coûts mais, pour autant, en donnant la priorité à la satisfaction du client, doit lui assurer un avantage concurrentiel. L’analyse de la chaîne de valeur permet à l’entreprise d’estimer dans quelle mesure et dans quelle proportion un maillon concourt spécifiquement à la valeur créée et perçue par le client tout en tenant compte des coûts. L’entreprise doit veiller à ce que toutes les étapes de ses différents processus financiers, administratifs, de production, économiques et commerciaux, culturels et humains ou bien encore décisionnels créent suffisamment de valeur pour le client.

Schéma de la chaîne de valeur (M. Porter)

L’orientation marché propose un cadre cohérent avec la création de valeur pour le client car elle définit les caractéristiques d’une entreprise capable de créer de la valeur client (J.C. Tarondeau et R.W. Wright) :

  • Une structure organisationnelle organique, plus souple qu’une structure mécaniste, et qui, par conséquent, permet une plus grande adaptabilité de l’entreprise à son environnement (H. Mintzberg) ;
  • Une approche systémique, plus dynamique que l’approche analytique, et donc plus adaptée à une gestion complexe de l’entreprise (D. Bériot) ;
  • Un système d’information performant capable de collecter l’information pertinente sur l’état du marché, c’est-à-dire, sur les attentes des consommateurs mais aussi sur la concurrence (J. Narver et S. Slater) ;
  • Une culture d’entreprise qui insufflerait dans l’organisation un certain nombre de comportements créateurs de valeur pour le client et, par conséquent, garants d’une compétitivité à long terme (M. Thévenet).

La maîtrise de la chaîne de valeur doit permettre à la GE de mettre en évidence ses compétences distinctives mais aussi ses faiblesses. Sa capacité à améliorer ses différents processus, à développer de nouveaux portefeuilles d’activités, à trouver de nouveaux débouchés et à développer la R&D, favorisant ainsi les innovations, générera une augmentation de la valeur créée pour les clients et, de ce fait, influera positivement sur sa réputation.

La bonne réputation de Michelin auprès des consommateurs repose sur la confiance et la qualité des produits et prestations offerts. La firme s’est dotée d’un centre de technologies dans lequel ses ingénieurs travaillent sur des solutions techniques innovantes pour créer de nouveaux pneumatiques. En revanche, une moins-value perçue par le client, résultat d’un dysfonctionnement ou bien du manque de qualité d’un produit ou d’un service, entamera sérieusement la réputation de la GE. En 2012, tandis qu’Orange mettait sa réputation en péril à cause d’une panne importante survenue sur le réseau mobile, la réputation du croisiériste Costa était sérieusement entamée après le naufrage du Costa Concordia suivi, quelque temps plus tard, d’une panne subie par un autre navire de la flotte.

b) La création de valeur pour l’actionnaire

Les actionnaires sont des parties prenantes essentielles à la survie de l’entreprise puisque ce sont eux qui apportent les capitaux dont la GE a besoin pour financer ses investissements. Détenteurs d’actions, titres qui leur confèrent un droit de propriété sur l’entreprise, leurs intérêts doivent également être pris en compte. Ces derniers, dans le cadre de la répartition de la valeur ajoutée, exigent de percevoir des dividendes importants et ils fixent comme objectif aux dirigeants de créer de la valeur actionnariale.

Les dirigeants doivent alors agir dans l’intérêt des actionnaires tout en préservant les intérêts des autres parties prenantes, notamment ceux des salariés, mais ils se heurtent à des difficultés pour opérer des choix permettant de concilier des intérêts divergents et ce, en raison de leur rationalité limitée (H. Simon).

Des profits conséquents, une croissance profitable, la protection des investissements financiers et la diffusion d’une information exacte et sincère à l’attention des actionnaires préservent la réputation de la firme. De même, une rentabilité actionnariale acceptable ainsi que la pertinence des arbitrages effectués en matière de partage de la valeur ajoutée entre salariés et actionnaires impactera la réputation de la grande entreprise de façon positive ou négative selon que cette répartition sera plus ou moins équitable. Dans les faits, la financiarisation de l’économie amène les entreprises à privilégier le facteur de production capital au détriment du facteur de production travail. Les dividendes augmentent tandis que les salaires stagnent ! La réputation des entreprises du CAC 40 pâtit du conflit qui oppose le capital et le travail. Tandis que l’Oréal, LVMH, Total, Air Liquide et quelques autres publiaient en 2012, des rendements et un dividende en hausse faisant ainsi le bonheur de leurs investisseurs, des sociétés comme EDF, Alstom ou bien encore Renault diffusaient, quant à elles, des rendements et un dividende en baisse prenant ainsi le risque de voir leur réputation se dégrader aux yeux de leurs actionnaires.

La valeur créée par la GE, pour le client comme pour l’actionnaire, n’est qu’une composante s’inscrivant dans un concept plus global, celui de système de valeurs. Celui-ci regroupe un ensemble d’éléments auxquels sont sensibles, à des degrés divers, les consommateurs et les actionnaires, notamment les relations que l’entreprise entretient à la fois avec ses autres partenaires internes et externes mais aussi avec l’environnement.

2. La responsabilité sociale et sociétale

a) La responsabilité sociale

Les évolutions constantes qui surviennent dans l’environnement de la GE la conduisent à opérer des changements dans son fonctionnement, qu’il s’agisse de changements stratégiques, technologiques ou bien organisationnels. Ainsi, la firme, dans sa recherche incessante de création de valeur pour le client, tend à substituer une organisation par processus à une organisation par service. Les salariés voient alors leurs conditions de travail modifiées avec notamment la mise en place d’un management par projet, la mise en réseau du système d’information et l’instauration d’un travail coopératif qui impliquent le partage des ressources mais aussi des connaissances.

Tout l’enjeu, et il en va alors de la réputation de l’entreprise, consiste à piloter les changements qui s’imposent aux salariés de façon à ce qu’ils soient acceptés par tous. Le leadership des dirigeants, la culture d’entreprise et l’instauration d’un dialogue social jouent un rôle prépondérant dans la réussite ou l’échec de ce projet. Le personnel est, en effet, un partenaire vital pour la GE et celle-ci a donc une responsabilité forte face à ses salariés. C’est pourquoi, sa réputation dépend en partie de leur bien-être. La GE doit adopter des politiques sociales en matière de recrutement, de rémunération, d’évaluation, de formation, de gestion des carrières ou bien encore de management participatif destinées à favoriser le plein épanouissement de ses salariés. Elle se doit également d’être à leur écoute afin d’anticiper et de désamorcer les conflits avant même qu’ils n’éclatent. La GE mondialisée reconnaît la diversité de ses collaborateurs et s’engage à la respecter. Elle valorise les compétences, l’imagination et la créativité de chacun d’entre eux. La théorie des ressources (G. Hamel et C.K. Prahalad) montre que la main d’œuvre est un actif spécifique sur lequel repose, en grande partie, la réussite de l’entreprise et qui contribue, à ce titre, à bâtir sa réputation (la théorie du capital humain - G. Becker). La responsabilité sociale de l’entreprise s’attache également à attirer et à conserver les talents, à faire progresser les hommes et à encourager la mobilité interne, à évaluer les compétences de façon honnête et fiable, à promouvoir l’équité et la non-discrimination, à favoriser la communication, à veiller à la sécurité des salariés et à protéger l’emploi. En 2012, certains établissements financiers, pour avoir annoncé des plans sociaux, se sont retrouvés au ban de l’opinion. Ainsi, le Crédit Agricole, la BNP-Paribas et la Société Générale ont été rétrogradés aux dernières places du classement réalisé par I&E et Reputation Institute. Quant à Arcelor Mittal, dont le nom est étroitement lié à « l’affaire Florange », sa réputation est au plus bas et l’entreprise occupe, dorénavant, la toute dernière place de ce même classement.

Sauf à respecter ces différents principes, la réputation de la GE peut être malmenée notamment si, pour répondre aux exigences des actionnaires, elle n’hésite pas à élaborer des plans sociaux, voire à délocaliser, privant ainsi de nombreux individus d’un revenu d’activité essentiel au maintien de leur niveau de vie.

b) La responsabilité sociétale

La responsabilité sociétale de la GE vise à améliorer la vie et le développement des collectivités locales qui dépendent toujours largement des retombées économiques générées par les entreprises en termes d’emploi, de vie des associations, de maintien des services publics et des commerces. La contribution de l’entreprise relève parfois de notions de services publics et ses activités touchent l’ensemble de la société civile. La réputation de la GE est aussi fonction des efforts qu’elle fournit pour protéger l’environnement. En effet, la protection de l’environnement est devenue une préoccupation majeure à l’échelle de la planète et bien évidemment, la responsabilité de la GE, dans les dégâts qu’elle peut causer à l’environnement, s’est vite imposée. L’activité industrielle, l’utilisation des technologies mettent en œuvre des procédés de production qui présentent des risques directs ou indirects, immédiats ou différés, sur l’environnement et sur les ressources naturelles. C’est pourquoi, dans le cadre de sa responsabilité sociétale et environnementale, la GE doit s’engager à fabriquer des produits de telle manière que l’environnement n’en subisse pas les conséquences négatives. L’objectif est de faire en sorte que procédés utilisés et produits fabriqués aient le minimum d’impact sur l’environnement. Il s’agit, pour l’organisation, de diminuer au maximum les externalités négatives générées par son activité économique. A l’inverse, la GE doit privilégier les activités génératrices d’externalités positives. Ainsi, le commerce équitable, l’investissement solidairement responsable, l’investissement socialement responsable, le mécénat, la création d’une fondation, les partenariats avec les ONG, les actions humanitaires… sont autant de moyens qui s’inscrivent dans le cadre de la RSE et qui sont à la disposition des entreprises qui souhaitent bénéficier d’une excellente réputation.

En 2012, selon un classement réalisé par I&E et Reputation Institute, les trois meilleures réputations RSE du Cac 40 sont Danone, Michelin et LVMH. Cette année-là, tandis que Danone participe à la 23e édition du Téléthon en hypermarchés avec pour objectif la collecte de dons pour la recherche génétique, Michelin se voit décerner le Prix du mécénat d’entreprise pour le développement durable et LVMH est distingué pour ses nombreux soutiens à la réalisation d’événements culturels et artistiques à travers le monde.

Réputation et responsabilité sociétale sont étroitement liées et, selon l’importance que la GE attachera à la RSE, sa réputation sera plus ou moins bonne auprès des différentes parties prenantes. Or, la firme ne peut se permettre d’ignorer l’image qu’elle véhicule compte tenu des retombées économiques que cela génère.

Les déterminants de la réputation de la GE

Source : Rayner

 B/ La réputation comme source de valeur

Lorsqu’une entreprise jouit d’une grande crédibilité auprès de ses partenaires, elle peut envisager le développement de stratégies auxquelles il lui aurait fallu certainement renoncer dans le cas contraire. L’entreprise est considérée comme crédible dès lors qu’elle inspire la confiance, qu’elle est perçue comme étant fiable. Ses compétences sont reconnues et son comportement éthiquement responsable est apprécié.

1. L’impact de la réputation sur la stratégie et sur le marketing

a) La réputation et la stratégie

La réputation, bien que n’ayant aucune valeur comptable, constitue néanmoins un facteur essentiel dans la détermination et la mise en place de la stratégie de l’entreprise et, à ce titre, elle s’inscrit dans le cadre du management stratégique.

A. Chandler définit la stratégie comme « La détermination des buts et objectifs à long terme d’une entreprise et le choix des actions et de l’allocation des ressources nécessaires pour les atteindre ». La théorie évolutionniste de la firme (R. Nelson, S. Winter) énonce que le comportement adopté par l’entreprise découle directement des signaux informationnels qu’elle perçoit dans son environnement. Or, la complexité et l’instabilité de l’environnement rendent plus difficile la mise en place d’une stratégie qui garantirait assurément la bonne réputation de la GE (la théorie de la contingence – P. Lawrence et J. Lorsch). Dès lors, les décisions stratégiques qui sont prises par l’organisation peuvent agir de manière positive ou négative sur sa réputation. Pour exemple, une stratégie d’internationalisation réussie avec éclatement de la chaîne de valeur et division internationale de la production permettant ainsi de réaliser des économies sur les coûts de production et de profiter d’une main d’œuvre qualifiée et bon marché consoliderait la réputation de la GE considérée comme performante, au moins du point de vue des actionnaires. En revanche, dans un environnement de plus en plus concurrentiel, la GE peut choisir de privilégier sa performance économique et ce, au détriment de sa responsabilité sociale et sociétale. Ainsi, la firme qui opte pour une stratégie d’externalisation, voire même de délocalisation, peut faire du tort à sa réputation si ses choix ne sont pas approuvés par le public puisqu’ils se traduisent concrètement par des fermetures d’usines et des suppressions d’emplois.

Nike, leader mondial de l’industrie du sport, est régulièrement accusé de faire appel à des sous-traitants indonésiens qui ne respectent pas les droits des salariés. Sa stratégie d’externalisation, telle qu’elle est pratiquée, nuit à sa réputation dans la mesure où la main d’œuvre des sous-traitants qu’elle emploie doit supporter de mauvaises conditions de travail et ce, pour des salaires dérisoires. La GE doit entretenir avec ses fournisseurs des relations basées sur la confiance, l’idée n’étant pas d’obtenir le meilleur prix en écrasant les marges de ces derniers et en en changeant régulièrement mais plutôt de bénéficier de produits ou de services de qualité constante dans un bénéfice mutuel pour les deux parties. En matière de stratégie de communication, une publicité choquante risque de desservir la réputation de l’organisation. Pour exemple, les campagnes de publicité lancées par Benetton depuis une vingtaine d’années sur le thème de la guerre, du sida, de la discrimination ou du racisme n’ont pas été comprises par tous les marchés qui les ont considérées comme une opération de mauvais goût et destructrice pour la valeur de la marque. Enfin, la capacité de la GE à mettre en place une stratégie du changement efficace destinée à anticiper puis à conduire les changements que lui imposent les fluctuations de son environnement conditionne également sa réputation.

S’il est démontré que la stratégie influence la réputation, l’inverse se vérifie également puisque la réputation influence la stratégie en ce sens que la réputation peut faciliter, ou au contraire empêcher, la mise en œuvre de la stratégie.

Lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre une stratégie d’alliance, un partenariat avec une entreprise ou bien de développer un nouveau réseau d’approvisionnement ou de distribution, la réputation de l’entreprise va peser dans la relation interentreprises. Le dirigeant, considéré comme le principal responsable de la réputation de l’entreprise, va profiter de la bonne image que renvoie sa firme pour renforcer sa légitimité, pour accroître son pouvoir de négociation et ainsi conclure la signature de nouveaux partenariats stratégiques. A contrario, la réputation peut faire barrage à l’adoption d’une stratégie dès lors que celle-ci n’apparaît pas conforme aux valeurs qui ont permis la construction de la réputation de l’organisation. Par exemple, les dirigeants peuvent renoncer à délocaliser la production lorsque, dans le cadre de la RSE, ils ont pris l’engagement de préserver les emplois. Enfin, la réputation peut constituer une barrière à l’entrée en décourageant les nouveaux entrants de s’implanter sur un marché. En effet, si l’entreprise déjà installée parvient à différencier ses produits de telle sorte qu’elle réussit à les rendre uniques aux yeux du consommateur, celui-ci deviendra alors dépendant de la réputation des produits. Attaché à la marque, le consommateur ne souhaitera pas acquérir des produits provenant de la concurrence. En l’absence d’un avantage comparatif, les entrants potentiels peuvent, dans ce cas, décider de renoncer à leur stratégie d’implantation.

b) La réputation et le marketing

La réputation de l’entreprise influence le comportement d’achat des consommateurs car elle diffuse des signaux en direction de ces derniers au sujet de la qualité des produits. Les dirigeants recherchent avant tout de nouveaux moyens d’offrir à la clientèle une valeur supérieure à celle offerte par leurs concurrents dans l’espace de marché. C’est pourquoi, le « capital marque » est un élément important dans la construction de la réputation de la GE basé sur l’idée qu’un consommateur sera toujours prêt à payer plus cher la qualité et la valeur d’un produit ou service portant le nom d’une marque réputée, celle-ci garantissant la qualité des biens et services mis à sa disposition. La réputation contribue ainsi à assurer l’évolution du chiffre d’affaires de la GE.

Parce que les clients sont considérés comme les meilleurs porte-parole de la réputation, les entreprises génèrent de la fidélité à la marque en se construisant une forte réputation à laquelle se fient les consommateurs pour renseigner leurs décisions d’achat. La communication commerciale et institutionnelle doit contribuer à fidéliser la clientèle, élément constitutif essentiel du fonds de commerce et sans lequel aucune entreprise n’est viable. Les consommateurs sont sensibles à la façon dont se comporte la GE envers ses parties prenantes. Ils deviennent progressivement des « consom’acteurs » qui utilisent le « pouvoir de leurs caddies » pour réaliser des achats responsables et ainsi obliger les entreprises à offrir des produits et des services de valeur tout en respectant leurs engagements sociaux et environnementaux. Ils peuvent s’ériger en contre-pouvoir et décider de boycotter les produits d’une marque stigmatisée par une ONG. Danone en a fait la triste expérience en 2001, après l’annonce de la fermeture en France de deux usines et de la mise en place d’un plan social. Choquée par cette vague de licenciements provenant d’une entreprise en bonne santé et perçue comme responsable socialement, une partie des salariés, relayée par la CGT, a appelé à boycotter ses produits. L’effet boycott a eu un impact significatif sur ses ventes en France.

La réputation, à condition de bien la protéger, permet à la GE de générer de la valeur perçue par le client qui se traduit par de la confiance et qui, par la suite, crée de la valeur économique pour l’entreprise.

2. L’impact de la réputation sur les ressources humaines et financières

« Les ressources regroupent tout ce qui peut être pensé en termes de force ou de faiblesse pour une firme donnée. De manière plus formelle, les ressources d’une firme à un moment donné peuvent être définies comme les actifs tangibles ou intangibles qui sont associés de manière quasi-permanente à la performance de la firme. » (E. Penrose)

a) La réputation et les ressources humaines

De même que la réputation de l’entreprise influe fortement sur les ressources humaines, ces dernières constituent l’un des paramètres internes à l’entreprise qui influence le plus sa réputation.

La réputation de la GE constitue un atout qui lui permet de recruter des salariés de qualité. La firme peut se montrer sélective et ne retenir que les candidatures des meilleurs d’entre eux avec pour objectif d’atteindre les meilleurs rendements possibles. Les salariés sont, en effet, désireux de débuter leur vie professionnelle ou de rejoindre, durant leur parcours professionnel, une entreprise qui jouit d’une bonne réputation car ils pourront toujours, par la suite, mettre en valeur cet argument et en faire un avantage pour le déroulement de leur carrière. Ils seront donc enclins à postuler dans des sociétés dont la réputation n’est plus à démontrer afin d’offrir à celles-ci leurs compétences en termes de savoirs et savoir-faire. La réputation permet ainsi de fidéliser la main d’œuvre et d’élever le niveau d’engagement des employés (E.R. Gray et L. R. Smeltzer). C’est le cas chez EDF, entreprise publique française, qui se classe au premier rang, devant la SNCF et devant Google en matière de bonne gestion de ses ressources humaines (Trophées de la Réputation – Syntec RP 2013).

En interne, les salariés sont les premiers ambassadeurs ou, à l’inverse, les premiers détracteurs de la marque selon qu’ils parlent en bien ou en mal de leur entreprise. Ainsi, l’enjeu, pour les managers, consiste à mettre en place des politiques de gestion des ressources humaines qui font naître, chez les employés, un sentiment fort d’appartenance au groupe. La GE doit apporter des réponses pertinentes aux besoins exprimés par ces derniers (pyramide des besoins d’A. Maslow et théorie de F. Herzberg sur la motivation au travail et l’enrichissement des tâches). Les salariés, quel que soit leur niveau hiérarchique, doivent être en mesure de dire qu’ils sont fiers de travailler dans une entreprise économiquement et socialement responsable. Satisfaits de l’image positive que renvoie leur société et, parce qu’ils souhaitent préserver sa réputation, ils tiendront un discours qui contribuera à la mettre en valeur auprès des différents publics. Au contraire, la réputation de la GE se trouve affaiblie lorsque des salariés critiquent la façon dont elle gère le personnel, et c’est le cas de France Telecom où des employés, interrogés sur leurs conditions de travail à la suite d’une vague de suicides survenus entre 2008 et 2013, ont révélé leur mal-être, conséquence du stress, de la surcharge de travail et du management autoritaire auxquels ils étaient soumis en permanence. De même, une mauvaise gestion des ressources humaines qui se traduirait par un taux important de turn-over, d’absentéisme, d’accidents du travail, voire de conflits sociaux, contribue à donner une image négative de l’entreprise. Pour exemple, la SNCM, dont l’échec est principalement imputé à sa réputation de manque de fiabilité, les navires étant régulièrement bloqués à quais à cause des grèves à répétition, renvoie une vision négative d’elle-même.

b) La réputation et les ressources financières

Au plan externe, la communauté financière (analystes financiers, investisseurs…) se situe au 3e rang des acteurs capables d’influencer la réputation de la GE, après les clients et après la presse.

Une entreprise doit, pour assurer sa pérennité, se développer et pour cela il lui faut trouver les capitaux nécessaires à son développement. Parce que sa capacité d’autofinancement est insuffisante, elle a recours à l’emprunt et elle se finance soit directement auprès des marchés financiers soit indirectement auprès des institutions financières. La voix des actionnaires ne cesse de s’affirmer, celle des investisseurs institutionnels comme celle des petits porteurs. Détenteurs d’une partie du capital de l’entreprise, ces actionnaires, quel que soit leur poids, exercent de plus en plus leur droit de regard sur la politique menée par l’entreprise y compris dans ses aspects sociaux et environnementaux. La réputation de la GE va influencer positivement leur décision d’investissement dès lors qu’elle constitue un signal de marché qui les rassure et les conforte dans l’idée que la prise de risque est limitée. Sensibles à la réputation de l’entreprise, ils seront prêts à acquérir des actions si celle-ci bénéficie d’une bonne image, reflet d’une bonne gouvernance d’entreprise qui leur garantit le versement de dividendes élevés. Ainsi, à niveau de profit égal, une firme dotée d’une bonne image pourra lever jusqu’à vingt fois plus de capital en Bourse qu’une entreprise à plus faible image. De même, lors d’une première émission de titres en Bourse, les investisseurs sont plus disposés à les acquérir s’il s’agit de titres émanant d’une GE réputée qui inspire confiance.

La réputation de la GE impacte le cours des actions sensible à la loi de l’offre et de la demande. Ainsi, la valorisation boursière peut être affectée par un changement de réputation de la firme et la légitimité du dirigeant, étroitement liée à la réputation de l’entreprise, fait varier le cours de l’action dans un sens ou dans un autre. La réputation contribue à stabiliser les résultats financiers d’une entreprise et même à prévenir la perte de valeur lors des fléchissements du marché et des turbulences économiques. Ainsi, lors des krachs boursiers de 2001/2003, de 2008/2009 puis de 2011, les valeurs à forte réputation ont chuté mais dans une moindre proportion que celles à faible réputation. En revanche, l’incidence financière d’une perte de réputation peut être catastrophique pour la GE dans la mesure où elle se présente sous la forme d’une baisse des revenus, d’une réduction de la valeur boursière, d’une augmentation du coût des capitaux voire même d’une faillite. La réputation influence aussi les prêteurs, qu’il s’agisse des obligataires ou des banques plus enclins à prêter des fonds à l’entreprise pour financer l’un de ses projets si sa solvabilité est assurée. Ainsi, la prime de risque, représentée par le taux d’intérêt, est plus ou moins élevée selon que le risque encouru par le prêteur est plus ou moins important. Le coût du crédit sera moins onéreux si la GE jouit d’une réputation qui donne au créancier la garantie du recouvrement de sa créance.

Les attentes des parties prenantes qui fondent la réputation d’une entreprise

PARTIES PRENANTES (STAKEHOLDERS)ATTENTES
Clients Confiance, respect, admiration Service, traitement équitable Qualité du produit
Employés Culture d’entreprise Environnement du lieu de travail, sain et sûr Traitement juste et équitable Opportunités de carrière
Fournisseurs et Partenaires Volume d’affaires satisfaisant Stabilité financière Réactivité et souplesse des opérations Solidarité du management
Investisseurs Rentabilité des investissements Gouvernance d’entreprise Respect des normes légales
Société Implication dans la société civile Contribution fiscale Respect de l’environnement Traitement juste et équitable des populations
Source : Patrice Cailleba – L’entreprise face au risque de réputation - 2009

S’il est indéniable que la réputation de la GE constitue à elle seule l’actif stratégique le plus important sur le plan de la création de valeur, pour autant, elle peut également constituer le plus important moteur de destruction de valeur et c’est pourquoi, il convient de la préserver le mieux possible.

 II - … MAIS UN ACTIF SPÉCIFIQUE FRAGILE QU’IL CONVIENT D’ENTRETENIR

« Il faut 20 ans pour construire une réputation et cinq minutes pour la détruire. Si vous gardez ça à l’esprit, vous vous comportez différemment. » W. Buffett.

 A/ La gestion des risques et des crises

1. L’évolution et la gestion des risques

a) L’évolution des risques

Le « risque de réputation » peut être défini comme « Tout événement susceptible d’avoir un impact, au travers de la réputation de l’entreprise, sur ses résultats financiers ou sur sa capitalisation boursière ». Il accompagne tous les risques qu’encourt une entreprise car ceux-ci, une fois survenus, affecteront assurément sa réputation. Il apparaît donc que le risque de réputation résulte de la conséquence de la survenance d’un autre risque mais il peut également provenir d’un écart entre la représentation que se donne l’entreprise vis-à-vis d’une partie prenante et la perception de cette partie prenante. Le risque de réputation devient alors un risque à part entière.

La réputation de l’entreprise a, pendant de nombreuses années, dépendu principalement de ses actifs matériels, essentiels à la création de richesse et qu’il fallait assurer contre une éventuelle défaillance comme le risque de panne (les machines) ou bien contre des aléas pouvant porter atteinte aux locaux de la firme (risque d’incendie….). L’entreprise assumait également, mais dans une moindre mesure, des risques financiers comme le risque d’insolvabilité ou des risques humains dès lors qu’elle n’était pas à l’abri de la survenance d’accidents du travail ou de maladies professionnelles. Aujourd’hui, avec la mondialisation de l’économie, de nouveaux dangers sont apparus qui ont accru le risque de réputation de la GE. L’organisation est confrontée à de nouveaux risques économiques (consommateurs de plus en plus exigeants sur la qualité et la sécurité des produits), à de nouveaux risques naturels (des catastrophes naturelles de grande ampleur ayant un impact négatif sur l’environnement) et à de nouveaux risques humains (actions terroristes, boycott, développement de l’intelligence économique…).

Ces nouveaux risques sont de nature stratégique lorsqu’ils sont liés aux processus de décision engagés sur le moyen et le long terme, de nature éthique et juridique lorsqu’ils renvoient au respect de la vie privée ou à la confidentialité des données et de nature informationnelle dès lors qu’ils touchent au contrôle des systèmes d’information, qu’il s’agisse de données de l’entreprise dérobées, altérées ou modifiées. Ils peuvent aussi être liés aux ressources humaines (hostilité des salariés vis-à-vis des politiques de management mises en place), être liés au marketing (dégradation de l’image de la GE entraînant une diminution de ses ventes) et enfin, découlés de la dématérialisation des rapports humains affectant les relations entre collègues ainsi qu’avec les différents partenaires. Un autre risque contemporain, et non des moindres, provient du développement des nouvelles technologies, en particulier de l’internet. La vitesse de la couverture médiatique et l’émergence des réseaux sociaux font surgir de nouvelles menaces sur la réputation des entreprises. Les parties prenantes se sont très rapidement emparées de ces outils numériques pour véhiculer des informations susceptibles de porter atteinte à la réputation de la firme. Ainsi, les entreprises sont aujourd’hui soumises au risque de « e-réputation ».

Ce nouveau risque se définit comme « La représentation que les internautes se font de l’entreprise en fonction des informations qu’ils collectent sur le Net ». Ces informations sont produites par l’organisation elle-même mais aussi par les acteurs de son environnement économique proche (ses salariés, ses fournisseurs, ses concurrents, ses clients…) et par toute une écosphère réputationnelle (blogueurs, journalistes, internautes fans, détracteurs, polémistes…). Ainsi, la participation des parties prenantes devient plus active à la construction de la réputation de la firme via les nouveaux supports qui permettent l’accès et le partage de l’information (Twitter, médias participatifs, réseaux sociaux, forums, plateformes collaboratives…). De ce fait, la réputation de la GE, en plus d’être tributaire des médias traditionnels, devient aussi très largement dépendante des médias numériques qu’ils soient individuels ou collectifs. C’est pourquoi, en plus de continuer à gérer les risques traditionnels, la firme doit, maintenant, également gérer les nouveaux risques, ceux induits par l’utilisation des TICE.

Les parties prenantes peuvent nuire à la e-réputation de l’entreprise par le biais des atteintes informationnelles (la diffusion d’avis négatifs, le dénigrement, la rumeur et la diffusion de fausses informations), par le biais des atteintes touchant à l’identité (le détournement de logo, l’usurpation ou le détournement de marques ou de produits) ou bien encore par le biais d’atteintes d’ordre technique (le phishing, le piratage de site, le flog, le splog, le cybergriping ou bien le cybersquatting). Pour autant, le risque d’e-réputation ne touche pas toutes les entreprises de la même façon. Certaines, parce qu’elles ne bénéficient pas au départ d’une grande notoriété, sont beaucoup moins vulnérables, le public faisant preuve d’une certaine indifférence à leur égard. D’autres sont tellement soutenues par leurs clients que ces derniers, même confrontés à des informations négatives, auront du mal à changer leur évaluation de la réputation de l’entreprise. Par ailleurs, si Internet est un espace de liberté d’expression, il n’en est pas pour autant un espace de non droit. Le dénigrement, la diffamation ou l’injure sont des attaques passibles de sanctions civiles et pénales. Enfin, une information ne peut affecter la réputation de l’entreprise que si elle est bien référencée et massivement diffusée par des sources fiables.  

Les parties prenantes à la construction de l’e-réputation

Source : Cigref – Réseau de grandes entreprises<*p>

b) La gestion des risques

La gestion des risques permet à la GE de s’assurer qu’elle connaît et comprend les risques auxquels elle s’expose. L’entreprise a pris soin de les identifier, de les recenser, de les évaluer et de les hiérarchiser afin de mieux les anticiper. Pour ce faire, il lui aura fallu répondre aux trois questions suivantes : A quel type de risque est-elle confrontée ? Quelles mesures peut-elle prendre pour prévenir les dommages ? Quelles mesures prendra-t-elle si le sinistre survient et qu’il lui faut réparer les dommages ? Tandis qu’une gestion efficiente des « risques traditionnels », liée principalement à la protection des actifs matériels, paraît relativement aisée dès lors qu’elle consiste principalement à souscrire une assurance qui couvre les biens de l’entreprise et prend en charge les dommages, le caractère intangible de la réputation rend la gestion du risque de réputation difficile à appréhender notamment lorsqu’il s’agit, pour les entreprises, de quantifier l’impact financier de ce risque sur leurs activités. Elles estiment, en effet, que le risque de réputation est difficilement mesurable et qu’il est difficile de se procurer des informations et d’obtenir des conseils sur la façon de le gérer. De même, elles ont, pour la plupart d’entre elles, le sentiment d’être insuffisamment couvertes en matière d’assurance contre le risque de réputation. Pour autant, gérer le risque de réputation se révèle être indispensable et, c’est pourquoi, la firme va devoir mettre en place un management de la réputation. Dans un premier temps, puisque la réputation est liée à la performance globale de la GE, la gestion des risques implique, de sa part, qu’elle assume pleinement et sérieusement son rôle économique, via la création de valeur destinée aux clients et aux actionnaires, et ses rôles social et sociétal par le biais d’une RSE performante favorable aux salariés et à la société civile en général. Ces facteurs de performance doivent faire l’objet de toutes les attentions de l’organisation qui doit chercher en permanence à les développer et à les améliorer. Dans un second temps, la GE doit appliquer le principe de prévention, principe qui vise les risques avérés, ceux dont l’existence est démontrée ou connue empiriquement sans toutefois qu’on puisse en estimer la fréquence d’occurrence. L’incertitude ne porte pas sur le risque, mais sur sa probabilité de réalisation. La mise en œuvre de ce principe consiste, d’une part, à prévenir les risques professionnels et les risques sanitaires sur la santé publique et, d’autre part, à prévenir les risques pour l’environnement. C’est pourquoi, le respect de certains principes doit guider les actions des entreprises : éviter les risques ou, à défaut, évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités, combattre les risques à la source, adapter les postes de travail, tenir compte de l’évolution de la technique, remplacer ce qui est dangereux par ce qui ne l’est pas ou par ce qui l’est moins, planifier la prévention, prendre des mesures de prévention collective et enfin, donner aux salariés les informations nécessaires à l’exécution de leurs tâches dans des conditions de sécurité optimales.

Par ailleurs, dans le cadre de son activité économique, tout produit jugé dangereux pour la santé ou pour l’environnement ne doit pas être commercialisé ou, dès lors qu’il l’est déjà, il doit être impérativement retiré du marché. Ainsi, pour exemples, en 2013, General Motors diffusait un avis de rappel concernant plusieurs types de véhicules présentant des défauts de fabrication, Danone rappelait certains produits laitiers soupçonnés de contenir du lait contaminé, Bosch appelait les propriétaires de lave-vaisselles à venir faire changer gratuitement une pièce défectueuse altérant le bon fonctionnement de l’appareil et Dia se voyait contraint de rappeler et de retirer de ses rayons des lots de steaks hachés contaminés à l’E. Coli…

La prévention peut aussi donner lieu à la mise en place d’une « stratégie d’évitement » qui va consister, pour la GE, à renoncer à poursuivre une activité ou bien à renoncer à utiliser certains matériaux ou substances considérés comme risqués pour la santé ou pour l’environnement. En guise d’exemple, Fleury Michon, spécialiste des plats cuisinés, s’engage à produire des recettes sans conservateur, sans colorant et sans arôme artificiel et avec le moins possible d’additifs en excluant systématiquement les additifs potentiellement allergisants et ceux issus de culture OGM afin de proposer aux consommateurs une alimentation à la fois de qualité et respectueuse de l’environnement.

Pour autant, malgré tous ses efforts pour anticiper les risques qui pourraient porter atteinte à sa réputation, la GE peut être confrontée à une situation de crise et voir ainsi sa réputation ternie. Il lui faudra alors trouver rapidement, en son sein, les moyens d’y faire face car, comme l’affirme P. Drucker « Durant une crise, une entreprise doit pouvoir rester à flot sans aide extérieure sinon, elle court le risque de couler. »

2. La gestion d’une situation de crise

a) La crise et ses impacts

La crise se définit comme « Un événement inattendu qui met en péril la réputation et le fonctionnement d’une organisation ». Elle n’a ni limite géographique ou temporelle, ni déroulement logique prévisible. Lorsque la crise est déclarée, il convient de la gérer au mieux pour en limiter les effets négatifs, d’où la nécessité de reconnaître et d’assumer son existence pour réduire l’impact traumatique de l’événement et prévenir les dysfonctionnements psychologiques et opérationnels en cascade. Les crises revêtent un caractère multiforme, elles peuvent être classées selon leur type (crises structurelles, sectorielles, sociales, accidentelles, financières…), selon leur caractère (interne ou externe) ou bien encore selon les cibles qu’elles atteignent (aspect institutionnel et industriel, aspect produit …). Dans les grandes entreprises, les salariés, à tout niveau, sont confrontés, quotidiennement, à des situations à problèmes. Certaines de ces situations se résolvent rapidement tandis que d’autres, en s’amplifiant, sont porteuses de crises déclarées qui ont pour conséquences d’affaiblir, en interne, l’efficacité des collaborateurs et d’endommager durablement, en externe, la réputation et la crédibilité de la firme.

En 1999, alors que Total vit une situation de crise avec le naufrage de l’Erika, Coca Cola doit surmonter une période critique avec l’interdiction de la vente de ses sodas, en France et en Belgique, à la suite d’intoxications alimentaires dues à la dioxine. En 2012, les laboratoires pharmaceutiques Servier font la une de l’actualité avec le scandale sanitaire du Médiator. En 2013, Ikea France est confronté à une crise car le groupe est accusé d’avoir fouillé dans la vie privée de certains de ses employés et clients en utilisant des moyens illégaux et, début 2014, Mc Donald’s se retrouve pointé du doigt car soupçonné de fraude fiscale. Par le biais d’internet et des réseaux sociaux, les crises sont couvertes par les médias internationaux, en général, dans l’heure qui suit l’événement et celui-ci sera, dans tous les cas, commenté dans les 24 heures. Via les TIC, la propagation des informations est extrêmement rapide et les entreprises ont peu de temps pour trouver la meilleure attitude à adopter face aux commentaires de la presse mais aussi à ceux des internautes qui s’expriment via la diffusion de buzzs, de tweets ou encore de vidéos. Lorsqu’en juillet 2013, Air France-KLM annonce un plan social qui prévoit la suppression d’environ 2 500 emplois dès 2014, la réputation de l’entreprise accuse le coup d’un buzz négatif. En l’espace d’une semaine, l’indicateur de mesure de son image de marque s’effondre faisant chuter son score de 45.6 points à 20.9 points. Pour autant, une situation vécue comme une situation de crise par certaines parties prenantes n’est pas forcément vécue comme telle par d’autres parties prenantes. C’est ainsi que l’annonce du plan social d’Air France-KLM a été accueilli très favorablement par les investisseurs dont la valeur actionnariale reste la principale préoccupation. Cependant, dans la majorité des cas, une situation de crise a pour conséquence une perte de confiance des actionnaires qui se traduit immédiatement par une dévalorisation de la capitalisation boursière de la firme. En effet, la capitalisation boursière prend en compte tous les actifs corporels et incorporels ainsi que la capacité de l’entreprise à utiliser ces actifs pour générer des revenus futurs. Parce que la capitalisation boursière reflète la vision qu’ont les investisseurs de la firme dans sa globalité, celle-ci subit inévitablement des variations induites par des variations de niveaux de réputation de la firme. La crise est, la plupart du temps, mal vécue par l’ensemble des parties prenantes et notamment par les consommateurs qui peuvent alors décider, en accord avec les associations et les ONG, de boycotter les produits de la GE entraînant une diminution de ses ventes et par conséquence, de ses profits.

« Sans réputation, nous ne sommes rien ! » W. Buffett affirme que la GE doit protéger sa réputation à tout prix et, puisque la crise, qu’elle qu’en soit son origine, constitue un véritable danger, il convient de la gérer au mieux et au plus vite.

b) Les outils de gestion

Toutes les GE, confrontées à des événements graves mettant en péril leur réputation, ont mis en place un management des situations de crise qui s’est révélé plus ou moins satisfaisant selon qu’elles ont su réagir avec plus ou moins de rapidité et d’efficacité.

La gestion de la crise est confiée à une « cellule de crise » constituée d’un nombre limité de personnels préalablement choisis pour leurs compétences et leur expérience et aussi pour leurs qualités psychologiques et microsociologiques et spécialement formés aux différentes tâches du pilotage des crises. Les membres de cette cellule doivent abandonner provisoirement leurs postes et leurs fonctions habituels pour se consacrer exclusivement à la résolution d’une situation dégradée. Leur rôle consiste à prospecter les signaux pertinents, à évaluer les dégâts et les enjeux, à recenser les moyens disponibles, à identifier les nombreuses solutions possibles, à choisir celle qui paraît la plus satisfaisante (modèle IMC d’H. Simon), à organiser sa mise en œuvre, à en assurer le suivi et enfin, à reconnaître et à décréter la fin de la crise. Par ailleurs, coordonner les différentes actions avec les intervenants externes se révèle indispensable, par exemple, avec les psychologues qui vont décider des actions à mener pour apporter une aide psychologique aux salariés ou bien vont mettre en place des dispositifs destinés à venir en aide aux différentes parties prenantes qu’elles soient elles-mêmes victimes ou qu’elles aient un lien avec les victimes. C’est ainsi, qu’Air-France, à la suite du crash du vol AF 447 Rio-Paris survenu en juin 2009, a mis en place toute une équipe de psychiatres et de psychologues chargée d’organiser l’accueil des familles et des proches des passagers afin de leur apporter l’aide psychologique nécessaire. Parallèlement, une autre cellule d’accompagnement a été ouverte pour le personnel navigant commercial et un numéro vert a été mis en service pour toutes les personnes concernées par l’accident. Lorsqu’un évènement dramatique se produit, la communication devient l’un des piliers de la stratégie de gestion de crise. La GE doit, de toute urgence, élaborer un plan de communication qui indique la marche à suivre pour produire et diffuser les messages qui accompagnent nécessairement la gestion d’une situation de crise.

La communication de crise correspond à l’ensemble des techniques et actions de communication entreprises pour lutter contre les effets négatifs d’une crise sur l’image de l’entreprise concernée ou de ses produits. Les réponses et réactions aux messages diffusés sont prises en considération et conduisent à une adaptation du plan de communication. Un seul interlocuteur, désigné comme le porte-parole et appartenant à la cellule de crise, sera habilité à diffuser les messages en interne et en externe. La communication interne a pour objectif de protéger l’entreprise et ses collaborateurs de la pression des médias, des clients et de la société en général. Le personnel est concerné par la crise et en subit les conséquences. C’est pour cette raison qu’il doit être mis au courant des méthodes et moyens déployés pour résoudre celle-ci afin de ne pas avoir le sentiment d’être tenu à l’écart ce qui contribuerait à alimenter les rumeurs et nuirait à la cohésion du groupe. La mobilisation des salariés nécessite qu’ils se sentent impliqués afin qu’ils aient envie d’apporter spontanément leur contribution à la résolution du problème. C’est pourquoi, la communication interne ne doit pas seulement transmettre des informations, elle doit également susciter l’adhésion des salariés. L’intranet constitue alors le principal outil qui va permettre aux dirigeants de tenir régulièrement informés les collaborateurs de l’évolution de la situation et ce, afin de les rassurer sur leur devenir et celui de l’organisation.

La communication externe doit aider la GE à préserver son image auprès de tous ses publics et les communiqués diffusés par le porte-parole donnent la possibilité à l’entreprise de se positionner comme l’interlocuteur de référence. La firme joue la carte de la transparence en diffusant une information fiable, sincère et régulière. L’utilisation de l’extranet favorisera la diffusion de l’information destinée aux partenaires privilégiés à savoir les actionnaires, les banques ou bien encore les fournisseurs. Quant aux conférences de presse et messages diffusés sur le site de l’entreprise via internet et sur les réseaux sociaux, ils permettront la publication des annonces à l’ensemble des autres parties prenantes et à la société civile. Tous les messages délivrés, quelle que soit leur cible, doivent être cohérents et coordonnés. En outre, selon l’étendue et la gravité de la crise, il peut s’avérer indispensable qu’un responsable présente rapidement des excuses publiques par l’intermédiaire des médias et des réseaux sociaux mais aussi qu’il propose un dédommagement, sous la forme d’un geste commercial, destiné aux clients qui ont subi un préjudice. Par exemple, Orange, victime d’une panne survenue sur son réseau en juillet 2012, a su gérer cette situation de crise en mettant en place une communication efficace. La diffusion de l’information en temps réel, l’intervention du président de la société en personne qui a présenté des excuses et a rassuré les clients en insistant sur le caractère exceptionnel de cet événement et qui a offert, en guise de dédommagement, une journée de communication gratuite ainsi qu’une place de cinéma aux milliers d’abonnés, a permis d’atténuer les effets négatifs de cette fâcheuse affaire. A contrario, la gestion de la crise s’est révélée désastreuse pour France Telecom dans l’affaire des suicides en 2009, la direction ayant multiplié les erreurs entraînant, par là-même, une perte de confiance envers le management : une incapacité à identifier la crise, considérée comme un simple incident parce que les signaux d’alerte sont mal interprétés et donc sont minimisés et insuffisamment pris en compte, des décisions qui tardent à être prises, un déni de responsabilité de l’entreprise qui réfute le lien entre les suicides et les conditions de travail et enfin, une absence de communication suivie d’une communication mal maîtrisée qui se traduit par l’annonce de mesures contradictoires. D’autres outils peuvent également servir en situation de crise tels que le reporting qui consiste, pour les différents intervenants, et notamment pour les personnels composant la cellule de crise, à rendre compte auprès des dirigeants des actions menées, le benchmarking qui permet à la GE de reprendre à son compte des pratiques efficaces testées par d’autres organisations placées dans une même situation de crise ou encore le coaching qui permet de soutenir le « top management » ainsi que les partenaires internes pendant tout le temps que dure la crise. Enfin, des débriefings peuvent être régulièrement organisés avec les partenaires concernés pour faciliter, tout au long de la gestion de la crise, la mise en œuvre des ajustements nécessaires en fonction de la tournure que prend l’évènement.

 B/ La recherche d’une réputation pérenne

1. Les clés pour une réputation solide et durable

a) Les actions dédiées

La recherche de la performance globale, le souci de la préservation des intérêts des différentes parties prenantes, la gestion efficace des risques et, le cas échéant, d’une situation de crise doivent permettre à la GE de conserver, de façon permanente et stable, sa notoriété. Pour cela, la firme peut mettre en place certaines actions qui vont l’aider à gérer, sur le long terme, les principaux déterminants de sa réputation.

L’instauration d’un système de veille informationnelle doit permettre de capter les signaux d’alerte et de sensibiliser les partenaires internes et externes à la gestion des risques et des crises. La pratique de la veille informationnelle s’avère indispensable pour identifier les leaders d’opinions, surveiller ce qui est dit sur l’entreprise et réagir immédiatement à des propos négatifs en communiquant régulièrement et en publiant le plus possible du contenu positif. Pour être efficace, la communication de crise doit impérativement s’inscrire dans la stratégie globale de la communication de l’entreprise. L’audit « pré-crise » et « post-crise » est un outil indispensable pour détecter les vulnérabilités, la nature des risques encourus par les collaborateurs, leurs provenances, et pour évaluer les capacités à gérer la crise éventuelle. Les audits internes et externes vont renseigner la firme sur ses résultats quantitatifs et qualitatifs mais aussi sur l’image qu’elle véhicule auprès des différentes parties prenantes. Ils permettront de déterminer les actions spécifiques à mener sachant que seul le « sur-mesure » élaboré avec les personnes concernées sera efficace.

La culture d’entreprise doit intégrer la culture du risque de même que le risque doit s’intégrer dans les objectifs qui sont fixés aux salariés, ces derniers ne devant pas appréhender la prise de risque mais, au contraire, considérer qu’elle est incontournable et, qu’à ce titre, mieux vaut l’aborder sereinement et ce, de manière multidisciplinaire, afin de mieux la gérer. Les méthodes de management des ressources humaines peuvent, s’il y a lieu, faire l’objet d’un renouvellement car la crise peut être imputée à une culture d’entreprise qui privilégie la minimisation des coûts et ce, au détriment de la sécurité et du travail bien fait. Les travailleurs sont récompensés en fonction de leur rapidité d’exécution et des économies réalisées et non pas en fonction de l’amélioration de la qualité. Les marques doivent être protégées par un dépôt effectué auprès de l’Inpi. Il s’agit d’une protection juridique qui confère à la GE, titulaire de la marque, l’exclusivité de son exploitation et permet ainsi d’éviter les utilisations et les imitations nuisibles pour la réputation de la GE. De même, les noms de domaine sont une véritable cible pour les détracteurs et les cybercriminels et, c’est parce qu’ils font partie intégrante de l’image et de la réputation de la société, qu’ils doivent également faire l’objet d’une protection juridique toute particulière.

Une réputation pérenne passe par l’anticipation des risques et des crises mais, à défaut de pouvoir éviter leurs apparitions, la GE doit éprouver, en temps de paix, le dispositif qu’elle a l’intention de mettre en place lorsque surviendra une catastrophe. Il s’agit, d’une part, de s’assurer que l’ensemble des outils et des procédures est opérationnel et adapté et, d’autre part, de mettre en situation la cellule de crise pour évaluer son fonctionnement global, sa capacité de réaction, de prise de décision et de gestion de la communication. Les retours d’expériences vont aussi permettre à la GE de tenir compte des erreurs passées afin de ne plus les reproduire à l’avenir. En capitalisant sur l’expérience, elle va pouvoir réduire l’impact d’une autre crise éventuelle en faisant preuve d’une meilleure réactivité. Les formations-actions, proposées aux managers et cadres-dirigeants et destinées à les aider à mieux appréhender des problèmes complexes, contribuent à rendre le « top management » plus efficace dans la gestion de la crise. Celles-ci ont pour objectifs de leur apprendre à négocier et à communiquer en mode dégradé, à identifier les conduites à adopter et celles à proscrire, à débriefer pour apprendre de la crise vécue mais aussi à maintenir leur pouvoir d’influence et à gérer et contrôler leurs réactions et émotions personnelles. Le recrutement des salariés revêt une dimension stratégique lorsqu’il s’agit de rendre pérenne la réputation de la GE.

W. Buffett disait « Quand vous cherchez des gens à recruter, vous devez rechercher trois qualités : l’intégrité, l’intelligence et l’énergie. Et s’ils ne possèdent pas la première, les deux autres vous tueront." Le personnel de la firme contribue fortement à la réputation de l’organisation dans la mesure où les agissements des salariés, selon qu’ils sont honnêtes ou malhonnêtes, impactent de manière positive ou négative la réputation de la firme. La Société Générale en a fait les frais lorsque, en 2008, elle est victime de la malhonnêteté de l’un de ses salariés, J. Kerviel, un trader jugé responsable des pertes colossales enregistrées par la banque et condamné pour malversations. Face à ce scandale fortement médiatisé, si la réputation de la Société générale est restée intacte, c’est grâce à la condamnation exemplaire de l’ancien trader ainsi qu’à la reconnaissance, par la justice, du statut de victime de la banque.

b) Les documents dédiés

L’élaboration d’une charte éthique, contenue dans le projet d’entreprise, explicite les règles de bonne conduite applicables à l’ensemble des collaborateurs d’une entreprise. Elle précise les objectifs généraux, les valeurs, la philosophie de l’organisation tout en affirmant son identité. Elle nécessite au préalable l’établissement d’un référentiel de valeurs partagées par l’ensemble du personnel. Pour exemple, la Charte Ethique de L’Oréal est le document de référence, la « Constitution » qui guide l’action, inspire les choix et fait vivre les principes éthiques du groupe dans le quotidien professionnel de chaque salarié. Elle concerne l’ensemble des salariés du groupe et de ses filiales à travers le monde. Publiée pour la première fois en 2000, la Charte Ethique a été actualisée en 2007 avec l’appui de collaborateurs réunis dans des groupes de travail internationaux en Asie, en Europe, en Amérique du Nord et en Amérique latine. Tous les collaborateurs en reçoivent personnellement un exemplaire à l’embauche et ces derniers sont vivement encouragés à proposer des améliorations à l’occasion de revues régulières.

L’élaboration d’un livret d’accueil destiné aux stagiaires et au nouveau personnel, en plus de délivrer des informations pratiques sur le fonctionnement de la GE, doit également renseigner sur les droits mais aussi sur les obligations et les devoirs que chacun se doit de remplir. En matière de e-réputation, une charte sociale élaborée par la GE doit permettre de définir le périmètre de ce que les collaborateurs sont autorisés à dire ou non sur l’entreprise. La diffusion de messages via l’intranet doit orienter et encadrer leurs contributions dans les médias sociaux de façon à éviter tout dérapage pouvant nuire à l’image de la firme. De même, les documents diffusés via l’extranet et l’internet et destinés aux parties prenantes externes doivent transmettre une publication régulière sur la façon dont se conduit la firme tout en donnant la possibilité aux internautes de s’exprimer en retour. Ainsi, alors que La Redoute devait gérer, début 2012, une crise dont l’origine était la diffusion d’une photo indécente sur son catalogue en ligne, elle a réussi à retourner le bad buzz à son avantage en lançant un jeu qui consistait à demander aux internautes de traquer les éventuelles autres erreurs de photos sur le site laredoute.fr. Le Groupe est alors apparu comme une entreprise réactive et proche de ses clients et de ce fait, les bad buzz ont très rapidement cessé. L’établissement d’un plan de veille doit aider à la production de documents qui recensent et identifient la nature des menaces encourues par la GE favorisant ainsi leur anticipation et leur maîtrise. Ce document permet, en effet, de mieux structurer les sources d’informations web à surveiller et de lister les mots-clés associés selon un plan de classement dans lequel seront rangées les alertes. Les logiciels de gestion de crise doivent aider à l’élaboration de documents qui explicitent les procédures à suivre lorsque survient le sinistre, les moyens à mettre en œuvre et les comportements à adopter pour résoudre au mieux la crise. Enfin, pour que les actions entreprises par la GE, et qui contribuent à préserver sa réputation, puissent être considérées comme durables et continuer à fonctionner efficacement par la suite, la conception d’un plan de continuité peut s’avérer être pertinente. Ce plan est un document stratégique, formalisé et régulièrement mis à jour, qui permettra à la firme de fonctionner même en cas de crise.

2. L’évaluation des performances

a) Les outils et techniques de contrôle

L’analyse de la performance, étape cruciale du processus d’évaluation, consiste pour l’organisation à mesurer le niveau de réalisation des objectifs poursuivis en termes d’efficacité mais surtout d’efficience c’est-à-dire, sa capacité à atteindre ses objectifs en tenant compte des moyens mis en œuvre avec, pour but, celui de minimiser ses coûts. La réputation de la GE sera, par la suite, le reflet des résultats obtenus de ces différentes évaluations, celles-ci concernant tous les domaines : financier, économique, social, organisationnel et sociétal. Tandis que la performance financière se mesure à l’aide d’indicateurs tels que le ROI (Return On Investment), le ROE (Return On Equity) ou bien encore l’EVA (Economic Value Added), la performance économique mesure les composantes de la compétitivité-prix et de la compétitivité hors-prix de l’entreprise.

La performance organisationnelle se mesure à partir d’indicateurs qui évaluent la qualité de la production, la flexibilité, les délais, les coûts…, la performance sociale prend en compte des indicateurs sociaux (montant des rémunérations, nombre d’accidents du travail, maladies professionnelles…) et la performance sociétale utilise les outils de la RSE (indicateurs environnementaux). Les tableaux de bords sont des documents élaborés par la GE et qui récapitulent l’ensemble des critères qu’elle a retenus pour jauger ses performances. Cet outil va lui permettre d’évaluer ses apports face à ses différentes parties prenantes. L’analyse de ces documents lui permettra ensuite d’engager une réflexion sur les améliorations à apporter et sur la manière de piloter au mieux le changement. Ainsi, qu’ils soient stratégiques ou opérationnels, les tableaux de bord, établis par les contrôleurs de gestion et destinés aux dirigeants, permettent à ces derniers de mesurer les écarts entre les prévisions et les réalisations et, le cas échéant, de prévoir la mise en place de mesures préventives et correctives. La réputation de la GE est fortement dépendante de la note qui lui est attribuée par les agences de notation. Certaines agences ne prennent en compte que des critères financiers qui leur permettent d’évaluer le risque d’insolvabilité de l’entreprise. C’est le cas de Standard & Poor’s, Fitch Ratings ou bien encore Moody’s dont les notations sont étudiées très attentivement par les marchés financiers. En 2012, l’agence de notation Moody’s relève d’un cran la note de Michelin qui passe de « Baa1 » contre « Baa2 » auparavant confirmant ainsi les bons résultats financiers du groupe. Les effets positifs se font sentir immédiatement à la Bourse, le cours de l’action Michelin s’envole en prenant plus de 5,90 % le jour même de cette annonce.

D’autres agences notent les entreprises selon des critères sociaux, environnementaux et de gouvernance déterminant ainsi le niveau de responsabilité de l’entreprise au regard du développement durable. On peut citer, parmi elles, Vigéo, CoreRatings ou bien encore Innovest. En 2012, Vigeo classe première l’Oréal considérée comme l’entreprise française championne en matière de RSE talonnée par Danone et PSA. Tandis que L’Oréal est distinguée pour l’amélioration des conditions de travail, d’hygiène et de sécurité de ses salariés ainsi que pour les efforts réalisés en matière d’égalité professionnelle, Danone est choisie pour la qualité du dialogue social et des droits humains et PSA pour sa politique salariale. L’obtention d’un label permet à la GE de communiquer sur la qualité de ses produits ou de ses procédés de production. On peut citer, pour exemples, et la liste est loin d’être exhaustive, le label ISR Novethic, le label Fonds vert Novethic, l’écolabel NF environnement, le label rouge, ou bien encore le label AB qui certifie que les produits sont issus de l’agriculture biologique…. Ces différents labels permettent de donner aux consommateurs, aux investisseurs et autres parties prenantes, une information claire sur l’origine d’un produit, sur l’application des principes du développement durable aux placements financiers ou bien encore sur les efforts réalisés en matière de protection de l’environnement. Les différentes certifications délivrées par l’Afnor aux entreprises prouvent que celles qui en sont bénéficiaires respectent les exigences requises en matière de management de la qualité de l’organisation, des produits, des services (ISO 9001), de management de la santé et de la sécurité au travail (OHSAS 18001) ou bien encore en matière de management pour l’environnement (ISO 14001). On peut citer, à titre d’exemples, les sociétés Air Liquide, Sanofi Aventis France, Schneider Electric et bien d’autres encore, toutes étant certifiées ISO 9001 « management de qualité ». Dès lors que labels et certifications ne sont pas attribués de façon permanente mais peuvent être retirés d’une année à l’autre en cas de non-respect du cahier des charges défini par les organismes certificateurs, les entreprises doivent maintenir invariablement leurs efforts si elles veulent conserver durablement cet avantage concurrentiel.

Enfin, les questionnaires d’enquêtes et les sondages réalisés par des organismes spécialisés auprès des différentes parties prenantes, notamment auprès des consommateurs, doivent permettre d’identifier en permanence les attentes des différents publics et ce, afin de s’assurer que l’offre de produits satisfait parfaitement la demande et que le comportement adopté par la GE est conforme à celui attendu.

b) L’analyse coûts/avantages du management de la réputation

Certes, le management de la réputation représente un coût pour la GE du fait même que celle-ci va devoir réaliser des investissements à la fois matériels et immatériels en vue de développer sa performance globale, gage d’une réputation à la fois honorable et pérenne. Ainsi, les investissements en capital technique, en capital humain, en R&D… destinés à assurer la croissance de la firme vont peser lourds sur le budget de la GE mais ils sont indispensables à la création de valeur. La protection des marques et des noms de domaines génère également un coût que doit supporter la firme, de même que, dans le cadre de la RSE, il lui faut également budgétiser des dépenses destinées à financer des actions de nature sociale, sociétale et environnementale. A ces dépenses viennent s’ajouter celles liées aux moyens mis en œuvre pour anticiper et prévenir les risques tels que, par exemple, le financement d’audits ou bien celui de la veille informationnelle…La GE peut également être amenée à supporter les charges financières liées à la gestion même de la crise et qui seront, par la suite, suivies de celles liées à la reconquête de sa réputation et de sa e-réputation. La GE peut même aller, en tout dernier recours, jusqu’à envisager un changement du nom de la marque même si cette mesure est exceptionnelle parce que extrêmement coûteuse. Ce fut pourtant le cas d’Anderson Consulting, entreprise internationale de conseil en management, entaché par le scandale d’Enron en 2002 et devenu aujourd’hui Accenture. A l’époque, 175 millions de dollars ont été consacrés en campagnes publicitaires afin d’imposer cette nouvelle identité.

La crise, lorsqu’elle survient et parce qu’elle est un phénomène déstabilisateur, génère des problèmes qui vont inévitablement apparaître lors de la mise en œuvre des actions destinées à l’enrayer. Néanmoins, dans une vision plus optimiste, la crise, bien que sa gestion représente un coût non négligeable, peut être considérée comme une opportunité avec un fort pouvoir d’évolution qui se révélera favorable pour l’organisation puisqu’il lui permettra de progresser. La crise aura, par conséquent, des effets bénéfiques sur la réputation de la GE puisqu’elle l’aura contrainte à opérer de nombreux changements à l’origine d’une amélioration de sa performance globale. Une sortie de crise réussie peut donc être bénéfique pour la réputation de la GE qui s’en trouve alors grandie. C’est le cas de Dior, filiale du groupe LVMH, qui, en licenciant son directeur artistique John Galliano en 2011 parce que celui-ci avait tenu des propos injurieux, a démontré qu’elle condamnait fermement les déclarations faites par son ex-salarié. L’entreprise a fait preuve de réactivité, d’honnêteté mais aussi d’opportunisme car elle a su profiter de la crise pour repartir de plus belle sur une nouvelle base de création stylistique en remplaçant son ancien couturier par un jeune recru talentueux. Juste après que Dior se soit séparé de John Galliano, l’action LVMH était en hausse de 0,26 %, la communauté financière ayant salué la réactivité du groupe. Bien sûr, toute décision stratégique prise par les dirigeants, si elle s’avère être un échec, peut conduire la GE à la faillite car ce type de décision, qui influence directement l’avenir de l’entreprise et donc sa réputation sur le long terme, est par nature irréversible ou difficilement réversible c’est-à-dire que l’organisation, si elle renonce à un projet déjà bien avancé et qui a déjà fait l’objet de lourds investissements, devra supporter des pertes financières importantes et abandonner tout espoir de retour sur investissements. Pour autant, l’entrepreneuriat est fortement lié à la prise de risques car celle-ci permet de saisir des opportunités telles que la création de valeur ajoutée ou bien encore la création d’emplois. C’est pourquoi, le droit à l’erreur doit être reconnu et considéré de telle manière qu’il ne constitue pas un frein au dynamisme entrepreneurial car le dirigeant qui échoue alors qu’il était de bonne foi a le mérite d’avoir au moins essayé. La réputation de la firme ne devrait pas, en conséquence, être trop salie par un échec si celui-ci a été commis en toute honnêteté, sans mauvaises intentions. Si l’application positive du droit à l’erreur ne vise pas à déresponsabiliser les décideurs, elle vise néanmoins à délivrer ces derniers d’un sentiment de culpabilité qui les ferait, par la suite, hésiter à prendre des décisions pourtant avantageuses pour l’entreprise.

 Conclusion

En conclusion et en réponse à la problématique posée en introduction : « Peut-on considérer la réputation de la grande entreprise comme un actif spécifique ? », il est possible d’affirmer que la réputation de la GE est un actif spécifique en ce sens que chaque entreprise a une réputation unique qui ne peut être copiée. La réputation est, en effet, difficilement imitable par la concurrence parce qu’elle est le résultat de la mobilisation spécifique des ressources de l’organisation. Elle représente un élément distinct et différenciateur au sein d’un marché, un élément difficilement duplicable, car elle découle à la fois des caractéristiques intrinsèques de la grande entreprise mais aussi de la perception qu’en a l’observateur extérieur. Elle est un actif spécifique car elle est liée, en partie, à la façon dont l’organisation gère ses changements. Or, chaque firme déploie des stratégies différentes pour répondre aux évolutions et aux modifications de son environnement. La réputation de la GE dépend de son implication dans la société civile et, en cela, elle constitue un actif spécifique car cette implication diffère d’une entreprise à l’autre.

O. Williamson a d’ailleurs apporté sa propre réponse à la problématique posée puisque, aux quatre actifs spécifiques identifiés initialement (spécificités de sites, spécificités relatives aux équipements physiques, spécificités relatives aux compétences humaines et spécificités dédiées qui relèvent d’une personnalisation de l’investissement en vue de répondre à un besoin particulier d’un client) l’auteur, par la suite, en a rajouté un cinquième lié au « capital réputation » de la firme. Cet actif semble d’autant plus important que les biens et services véhiculent de fortes asymétries d’information. Dans ce cas, le « capital réputation », permet de minimiser les risques liés au caractère incomplet des contrats. Le « goodwill », appelé aussi « survaleur » ou « écart d’acquisition », représente la différence entre l’actif du bilan d’une entreprise et la somme de son capital immatériel et matériel valorisée à la valeur de marché. Cet écart, qui diffère d’une entreprise à l’autre et démontre ainsi le caractère unique de chaque entité, se justifie notamment par les ressources immatérielles que renferme l’entreprise, à savoir, la qualité de sa clientèle, ses compétences foncières mais aussi et surtout sa réputation. Pour autant, la réputation est un actif fragile et, si bâtir la réputation de la firme demande beaucoup de temps, il en faut peu pour la réduire à néant. C’est pourquoi, il n’est pas chose aisée pour un dirigeant de bonne réputation d’entretenir celle de l’organisation et comme le souligne W. Buffett « Lorsqu’un dirigeant qui a bonne réputation rencontre une société qui a mauvaise réputation, c’est la réputation de la société qui reste intacte ! ».  

 Bibliographie :

  • E.W. Anderson et M.W. Sullivan, The antecedents and consequences of customer satisfaction for firms, Marketing Science, (1993)
  • D.B. Bromley, Reputation, Image and Impression Management (1993)
  • A.B. Caroll et A.K. Buchholtz, Business and Society : Ethics and Stakeholder Management (2000)
  • R. De Bruin, Communication financière : image et marketing de l’entreprise (1999)
  • P. D’humières, Management de la communication d’entreprise (1994)
  • R.E. Freeman, Strategic management : A stakeholder approach (1984)
  • C.J. Fombrun, Reputation, Realizing Value from the Corporate Image (1996)
  • G. Hamel et C.K. Prahalad, Competing for the future (1994)
  • M. Hamori, The impact of reputation capital on the career paths of departing employees (2003)
  • P. Herbig et J. Milewicz, The relationship of reputation and credibility to brand success (1995)
  • R. Nelson, Why do firms differ and how does it matter ? (1991)
  • E. Penrose, The Theory of the Growth of the Firm (1959)
  • J.P. Piotet, La réputation au-delà de l’image, Observatoire de la réputation (2003)

 Sitographie :

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